28 juin 2008

Où il est question de commissaires en gondole…

Posté par Paul dans la catégorie : mes lectures .

L’interview de Fred Vargas que j’ai lue l’autre jour sur le site de L’Express m’a fait bien plaisir et elle m’a en même temps rasséréné (dans la mesure où, à mes yeux, Fred Vargas est loin d’être n’importe qui !). Le mépris dans lequel certains intellectuels tiennent le roman policier ou le roman fantastique (au sens large, SF ou historique – je crois que je pourrais dire d’ailleurs le roman « populaire » dans son ensemble) finissait presque par m’intimider et j’hésitais de plus en plus à exprimer à (trop) haute voix mon goût prononcé pour un certain nombre d’œuvres appartenant à l’un ou l’autre de ces deux genres littéraires. Je ne m’étais pas encore remis, bien que deux ans au moins se soient écoulés, de la lecture de ce texte d’un journaliste du « Monde Diplomatique » (journal pour lequel j’avais parfois à l’époque de fortes sympathies), condamnant de façon péremptoire la littérature policière comme « sous-littérature » et qualifiant les lecteurs qui s’abaissaient à ce vice comme étant des « non-lecteurs », ou tout au moins des lecteurs « fragiles » en train de « s’offrir une dernière étape romanesque avant la sortie » (de la lecture sérieuse à ses yeux). Ce Monsieur s’appelait Pierre Lepape, si mes souvenirs sont bons, et son analyse à l’emporte-pièce, moi qui me considère comme un lecteur acharné, m’avait quelque peu ébranlé ! Si lire consistait à se pencher avec des binocles et un air constipé sur le dernier prix littéraire (Femina, Goncourt ou autre « choix des libraires ») ; si lire c’était considérer que « hors des grands classiques, il n’y avait point de salut », alors ce Monsieur Lepape avait certainement raison, je n’étais plus lecteur. Heureusement qu’en plus il n’était pas curé ce Monsieur et que je n’ai jamais été obligé de lui confesser qu’il m’arrivait (parfois) de « lire » des BD… Comme Pepe Carvalho, le héros de Montalban, il ne me serait plus resté qu’une alternative : allumer ma chaudière avec les « bijoux » de ma bibliothèque. Excusez cette réaction un peu épidermique, mais j’ai horreur des gens qui mettent tout et n’importe quoi dans le même panier, puis étiquètent sans discernement et condamnent sans appel… Comme s’il y avait un quelconque point commun entre Tony Hillerman et Gérard de Villiers…

J’apprécie quelques auteurs de romans dits classiques, mais relativement peu, trouvant que beaucoup de ces gens n’ont rien d’autre à dire qu’à parler d’eux-mêmes, qu’ils n’ont comme fil conducteur que la découverte contemplative de leur nombril, et que leurs problèmes introspectifs m’indiffèrent totalement. J’essaie de ne pas avoir d’a priori, mais c’est parfois difficile. Je ne saurais en tout cas pas expliquer facilement pourquoi certains auteurs ont trouvé grâce à mes yeux : peut-être parce que la rencontre s’est produite au bon moment et que la trame de leurs livres échappait peut-être à certains poncifs. Quand j’ai lu Fred Vargas (que j’apprécie et que j’estime beaucoup) expliquer que « à partir de la seconde moitié du XXème siècle on est entré dans une phase de pauvreté littéraire assez spectaculaire », que cela explique « le grand reflux vers le roman policier, à partir des années 1970, une littérature où les gens pouvaient vraiment lire une histoire et non les problèmes existentiels de l’auteur » et que « le besoin de se raconter des histoires est le propre de l’homme », je ne pouvais qu’applaudir des deux mains. Je cous conseille d’ailleurs de lire cette interview dans lequel, en quelques paragraphes, elle aborde pas mal de problèmes importants (dont, au passage, ceux de son engagement politique et de l’extradition de Cesare Battisti). Maintenant que je suis passablement décomplexé, je peux vous parler, sans aucune retenue, de la « sous-littérature » dans laquelle je me vautre. Je vais passer définitivement à la trappe les poncifs du « commissaire du peuple en gondole de librairie », pour vous parler, tout de suite, de deux autres commissaires en gondole, originaires, en ce qui les concerne, de la cité des doges.

Deux séries policières se déroulent à Venise et présentent de nombreux parallèles, tant dans le caractère de leur personnage principal que dans le déroulement assez complexe des enquêtes et leur dimension sociologique. Leur différence principale se situe dans le contexte historique. Brunetti, le commissaire de Donna Leon, n’aurait sans doute jamais eu l’occasion de rencontrer le comte Tron, de Nicolas Remin. Le premier évolue dans la société vénitienne contemporaine ; le second habite la cité des doges à l’époque de l’occupation autrichienne, de l’impératrice Sissi et de son auguste époux François-Joseph. Un siècle et demi sépare nos deux héros ; ils sont pourtant confrontés à des problématiques singulièrement ressemblantes. Tous deux ont des liens avec la haute société aristocratique et fortunée de la ville, mais n’ont pas ou plus les moyens financiers d’en faire vraiment partie. Tous deux font sans cesse l’expérience douloureuse du papillon qui se brûle les ailes en s’approchant trop de la flamme de la bougie. Dans la Venise contemporaine, il n’est pas bon de se frotter de trop près au pouvoir politique, aux barons de l’économie corrompus, aux trafiquants de la Mafia qui ont leurs entrées partout. Dans la bonne société du XIXème siècle, les enquêtes s’arrêtent à la porte des palais, à l’entrée des bureaux militaires, ou au seuil des demeures luxueuses de l’occupant autrichien. Les chefs sont serviles, carriéristes et soumis au bon vouloir de leur hiérarchie. Le policier n’est toléré que tant qu’il traque le crime dans les milieux populaires, arrête les voleurs à la tire, les immigrés clandestins et ne s’occupe pas des manigances de ceux qui gouvernent.

Je ne m’étalerai pas longuement sur les œuvres de Donna Leon qui sont déjà anciennes et plutôt bien connues par les amateurs du genre. Son commissaire Brunetti est le héros d’une bonne douzaine de romans. L’univers familial et professionnel dans lequel il évolue s’enrichit au fil des pages. Son épouse, Paola, descendante « rebelle » de l’aristocratie vénitienne, joue un rôle important dans plusieurs enquêtes, quand elle n’en est pas elle-même à l’origine. Les discussions entre mari et femme ou les débats passionnés avec leurs enfants, adolescents, ne manquent d’ailleurs pas d’intérêt et Donna Leon a su donner beaucoup d’humanité à ses personnages. Les thèmes choisis pour les enquêtes sont souvent des thèmes d’actualité : trafics mafieux, immigration clandestine, réseaux de prostitution, blanchiment d’argent… Le tout traité avec un savoir faire indéniable et une bonne connaissance des dossiers. Les coups de griffe ne manquent pas même si, dans sa façon d’écrire, l’auteure témoigne d’un attachement profond à l’Italie et surtout à la ville de Venise. « «Venise est belle, les gens y sont aimables: ma vie est ici. J’aime le caractère vénitien, ni exubérant, ni amical, ni heureux: sobre.» Donna Leon, quoique née dans le New Jersey, habite la sérénissime cité des doges depuis 1966. Ses romans ne sont pas traduits en Italien, « pour préserver ma tranquillité » répond-elle lorsqu’on lui demande pourquoi…

L’œuvre de Nicolas Remin, (auteur d’origine allemande) est beaucoup moins connue en France. La traduction de deux de ses titres et leur publication dans la collection « Grands-détectives », chez 10-18, est toute récente. Je viens de terminer leur lecture et j’avoue que j’ai beaucoup apprécié les deux titres, « L’impératrice lève le masque » et « Les fiancés de Venise ». J’étais un peu réticent au départ car j’avais des doutes sur ma capacité à me replonger dans le décor vénitien en faisait abstraction de Brunetti dont je suis un fan. Le résumé faisait référence à l’impératrice Sissi et à la cour de l’empereur d’Autriche… une thématique historique qui me laissait un peu de marbre. Et puis, j’ai lu un chapitre, deux chapitres et j’ai été « happé » par l’histoire et son suspens. L’intrigue du premier récit était bien construite ; les personnages avaient une certaine profondeur et on avait envie de s’intéresser à leur cheminement, le style plutôt alerte de l’auteur a fait le reste. J’écris cette chronique : je viens de terminer le tome 2 et j’attends la suite. Une lecture délassante pour l’été. Si vous ne connaissez aucun des deux auteurs, emportez quelques volumes de Donna Leon et au moins le premier des enquêtes du commissaire Tron. Si vous aimez le polar « sociologique » mais pas trop désespéré, vous apprécierez, je pense.

NDLR : avec l’été, la chaleur et la paresse ambiante, les nombreux visiteurs et visiteuses dans notre petit palais, je ne vous garantis pas un fréquence de chroniques très régulière. Je voudrais, de plus, mettre une dernière touche à la réalisation de mon site internet, et j’envisage de vous proposer une « histoire de l’Oncle Paul » en plusieurs épidsodes (je crois que ça s’appelle un feuilleton). Il paraît, pour finir, que « travailler plus ou moins » n’aura pas d’effet sur ma rémunération pour les mois qui viennent, alors, soyez à la fois patients et indulgents !

2 Comments so far...

Lavande Says:

28 juin 2008 at 21:23.

J’adore les Donna Leon ; je crois que je suis amoureuse de Brunetti…même si face à sa Paola je suis foutue d’avance. Il faut essayer de les lire dans l’ordre car on voit grandir les enfants et vraiment c’est pas mal du tout. La famille Brunetti (grands gastronomes, entre autre, comme Pepe Carvalho) est très attachante .
Quant aux histoires, souvent liées à la pire actualité italienne (seulement italienne?) de maffieux, de corruptions, et autres scandales écologiques en tous genres, elles se terminent toujours en eau de boudin et plus ou moins en non-lieu ce qui se comprend facilement dans un pays où le chef de l’Etat considère les juges comme des « métastases » (citation exacte!).
J’ignorais que ces romans n’étaient pas traduits en Italien. Il m’est arrivé d’en lire en Anglais, c’est à dire en VO mais c’est un peu surréaliste de lire en Anglais des histoires tellement ancrées dans la lagune et les canaux vénitiens!

leirn Says:

6 juillet 2008 at 11:07.

Très bonne interview de Vargas, en effet. Même si j’aime bien Anna Gavalda.
Je viens d’avoir son dernier bouquin (à Vargas), ce sera ma prochaine lecture de vacances.

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