7 juillet 2008

Finie la chasse aux sorcières ?

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire .

Si les derniers bûchers se sont éteints il y a un peu plus de deux siècles en Europe, les procès en sorcellerie et les exécutions sommaires n’ont pas disparu pour autant dans le reste du monde. Deux faits divers récents témoignent du fait que ce problème est toujours bien réel : une mère et son bébé étranglés et brûlés dans un village de montagne au Mexique ; 11 personnes, 8 femmes et 3 hommes, livrées au bûcher à Nyakeo, un village de l’Ouest du Kenya… Certaines pratiques obscurantistes de l’Europe chrétienne du XVIème et XVIIème siècle sont toujours bien vivantes dans d’autres régions du monde et sous couvert d’autres croyances. Les victimes sont, comme à la bonne époque, principalement des femmes. Avant de proclamer bien haut notre indignation devant de tels actes de barbarie, il est intéressant de se pencher un peu sur notre propre histoire, car l’exemple que nous avons donné au monde est édifiant ! On estime en effet que dans nos bons vieux pays « civilisés » une centaine de milliers de procès pour sorcellerie ont eu lieu en deux siècles seulement (le plus grand nombre entre 1580 et 1630), entraînant une bonne moitié d’exécutions capitales. 80% des victimes étaient des femmes, le reste des condamnés étant principalement des mendiants, des juifs, des homosexuels ou des handicapés mentaux. Il est impossible de dresser des statistiques précises concernant les décès survenus à la suite des séances de torture ou des exécutions sommaires sans jugement par des villageois assoiffés de vengeance et rendus hystériques par les prêches de certains curés. Dans tous les cas, les femmes ont fourni, de loin, le plus large contingent de victimes !

Dans l’imagination populaire, la persécution de la sorcellerie est associée surtout au Moyen-Âge, ce qui est une erreur sur le plan historique. Cette époque-là a été relativement clémente et les sorcières ont pu se déplacer sur leur balai et se rendre à leurs sabbats sans être trop inquiétées ! Les croisades contre les hérétiques en tout genre, Cathares, Vaudois et autres, occupaient pleinement les représentants des pouvoirs spirituel et temporel. De retour de croisades, l’envie irrésistible de certains à nourrir les bûchers devait être quelque peu calmée. Curieusement, c’est avec le renouveau de l’humanisme, à la Renaissance, au moment de la généralisation de l’imprimerie, que la chasse aux « suppôts du diable » va se développer de façon massive, au point, diront certains, de constituer un véritable génocide à tendance sexiste nettement marquée. Si le terme paraît un peu exagéré, il faut cependant rapporter le nombre de victimes à la population de l’Europe à cette époque. La France, l’un des pays les plus peuplés, ne compte en effet que 16 millions d’habitants à l’époque de François 1er… En 1484, l’Eglise catholique publie un traité de démonologie, le « Malleus Maleficarum », rédigé par deux inquisiteurs dominicains. Cet ouvrage sera diffusé à plus de trente mille exemplaires et servira de base à de nombreux magistrats dans l’orientation de leur jugement. D’autres publications tout aussi intransigeantes suivront. Il faut attendre le milieu du XVIIème siècle pour que la position de l’Eglise change véritablement. Ainsi, en 1657, le pape publie la bulle Proformandis qui mettait en garde les tribunaux contre les jugements trop hâtifs et les erreurs qui en résultaient dans les affaires de sorcellerie. Il faut dire qu’entre-temps, le zèle des accusateurs était devenu quelque peu excessif et que l’on commençait à mettre en cause non plus des gens du peuple, mais des jeunes filles de la bonne société, et qu’il arrivait même parfois que l’on traque le commerce avec le diable jusque dans les couvents. Il était temps de mettre de l’ordre !

La dernière exécution connue en Europe de l’Ouest a eu lieu en 1782 en Suisse. La victime s’appelait Anna Göldin. Preuve que les tribunaux étaient de plus en plus « éclairés », elle fut décapitée et non brûlée. On lui reprochait d’avoir empoisonné « par des pratiques étranges », l’une des filles de la famille dans laquelle elle travaillait comme gouvernante – le terme « empoisonné » étant choisi par les juges pour éviter d’utiliser « ensorcelé » qui leur paraissait quelque peu démodé… Voici un extrait de « l’avis de recherche » qui fut publié quelques temps avant le procès, afin d’inviter la population à livrer la suspecte : « Le méritant État glaronais, de confession évangélique, offre par la présente, pour la découverte d’Anna Göldin décrite plus loin, une récompense de cent couronnes; de même est demandé aux hautes et plus hautes autorités et à leurs représentants officiels, de procurer toute l’aide possible à la capture de cette personne; ajoutons qu’elle a commis l’acte incroyable, d’apporter une quantité d’épingles et autres choses par des moyens secrets et presque incompréhensibles contre une petite fille innocente de huit ans. » A propos de cette affaire, par ailleurs, Il faut noter que ce sont les pays germaniques et la Suisse qui ont témoigné du plus grand zèle dans la chasse aux sorcières : 35000 condamnations, contre 2800 estimées en France et pratiquement aucune en Irlande.

Nombreux étaient les motifs qui pouvaient vous conduire au bûcher. Les femmes qui exerçaient la profession de guérisseuses ou de sages femmes, par exemple, étaient parmi les plus exposées. Beaucoup de rituels de guérison faisaient appel à une pharmacopée et à des savoirs ancestraux et ils étaient accompagnés de rituels que l’Eglise rejetait en considérant qu’il s’agissait de superstitions. Qu’un enfant meure à la naissance, et ce décès pouvait être porté à la charge de l’accoucheuse qui avait de mauvaises pratiques. D’une manière générale, tout ce qui sortait de la norme, aussi bien sur le plan du comportement que sur celui de l’aspect physique, pouvait engendrer une accusation de sorcellerie : une femme vivant seule, sans homme, et travaillant pour se nourrir, une femme trop belle ou trop laide, des mœurs sexuelles considérées comme trop libres par la communauté… La rumeur alimentait les dossiers à charge et la torture faisait le reste. Pour échapper à la souffrance, on avouait n’importe quoi et l’affaire était jugée. La grande majorité des accusé(e)s étaient des gens du peuple, souvent très pauvres, même s’il y a eu quelques cas de procès d’empoisonneuses célèbres, et ils (ou elles) n’avaient guère les moyens financiers et intellectuels de se défendre. Contrairement à la traque des hérétiques qui était généralement lancée par les puissants, la chasse aux sorciers était bien souvent à l’initiative des villageois qui en profitaient au passage pour régler des querelles personnelles ou des conflits de clochers.

Nos gouvernants actuels ne s’intéressent plus guère à la sorcellerie… Mais avec un peu d’imagination, on trouve toujours une catégorie sociale à persécuter… Aux dernières nouvelles un « concile » des Ministres de l’Intérieur européens serait réuni au palais des « conclaves » à Cannes et mettrait la main à toute une série de « bulles » destinées à agrémenter la vie des immigrés clandestins… N’est-ce pas Monsieur Hortefeux ? Vos anciens condisciples du GUD doivent être fiers de vous !

3 Comments so far...

Evelynej Says:

22 juillet 2008 at 11:12.

Bonjour,

J’avais pris un peu de retard en ce qui concerne la lecture de vos articles… Toujours aussi intéressant de venir feuilleter la feuille charbinoise !

Au plaisir de vous lire

Evelynej
Scribouille et peinturlure

Sarah Says:

3 août 2008 at 22:54.

Il est vrai que cette période fut sombre et oh combien meurtrière pour celles et ceux qui avaient conservé leurs croyances dites « païennes ». Il est surprenant de constater qu’aujourd hui encore il suffit d’aborder des sujets un petit peu « hors des sentiers battus » pour que vous soyez considéré comme une personne peu recommandable, et je ne parle pas de l’Inde ou du Mexique bien que le sort des pauvres suppliciés ne me laisse pas indifférente, bien au contraire.
Nous avons gagné aujourd hui la « liberté d’expression » mais il reste encore à conquérir le Respect des croyances de chacun, tout en restant prudent tout de même vis à vis des mouvements sectaires…

Christine Gamita Says:

5 février 2015 at 00:34.

Quelques histoires de bien mauvais sorts.. (si vous avez la source de votre illustration, je me ferai un plaisir de l’indiquer) http://susaufeminicides.blogspot.fr/2012/01/retour-vers-le-futur-feminicide.html

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