27 février 2013

Le samedi c’est raviolis – intermède culturel et sociologisant

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

 Au risque de décevoir ceux ou celles qui pensaient que la Feuille Charbinoise avait enfin un contenu politique, écologique, botanique, thérapeutique, gastronomique… sérieux, je vais profiter du fait que mon drapeau noir est chez le blanchisseur pour vous parler tout à fait d’autre chose, car ainsi va mon humeur. Je n’aime pas emmerder le monde pour le plaisir, enfin… pas le monde que je côtoie tous les jours, à savoir les gens qui se démerdent avec les gosses, le boulot, les courses, la vie qui n’est pas toujours facile. En tant que bienheureux retraité libre de son temps, j’évite donc d’aller trainer mes groles dans les supermarchés du bonheur le jour où les malheureux travailleurs qui ne chôment pas encore ont la possibilité d’aller remplir leur caddie de boites de raviolis mama mia et de lasagnes imputrescibles, indispensables à la survie jusqu’au week-end suivant. En fait ce n’est pas uniquement par bonté d’âme que j’ai fait ce choix. Je dois dire aussi que j’ai horreur de la foule, des queues aux caisses, des mômes qui braillent et, pire que tout, des animations commerciales incontournables en fin de semaine. Mais on a beau être organisé, je suis parfois obligé de quitter mon refuge de verdure pour aller me plonger dans la jungle des centres commerciaux (si tant est qu’on puisse qualifier de « centre commercial » les quelques empilements de grandes surfaces dont on bénéficie dans nos campagnes urbanisées). Je n’y vais qu’en cas de nécessité et dès que je monte dans ma voiture, ayant une idée quelque peu préconçue de ce qui va se passer, je prends le partie d’en sourire plutôt que d’en pleurer. Sinon, je la jouerais « made in USA », avec un fusil d’assaut.

 Pour être honnête, je dois dire que je regrette parfois de ne pas faire de telles expéditions entomologiques un peu plus fréquemment car il y a quand même de riches observations sociologiques à faire. Une heure de courses un samedi et on a de quoi facilement alimenter une bonne petite chronique pour le lundi. Il semblerait que ce jour-là, ce soit la crème de nos concitoyens qui soit de sortie. Le spectacle commence déjà sur la route… C’est le jour des refus de priorité, des crissements de pneus, des autoradios à fond le « poum poum tam tam poum poum » (j’adore la musique genre disco)… C’est le jour où l’on admire les 4×4 rutilants aussi customisés que les vieux beaux ou les jeunes cadres que l’on aperçoit à l’intérieur. Ce matin, j’en ai vu un vraiment mignon de conducteur : un beau gars avec le chapeau de cow-boy, les écouteurs sur les oreilles, la dégaine à John Wayne, la main en coquille sur les noisettes, genre « on ne sait jamais s’il y a a un écureuil qui traine ». Il a verrouillé son camion japonais surélevé ; il en a fait trois fois le tour, des fois qu’il y aurait une rayure sur la carrosserie, puis il s’est dirigé, fier comme Artaban, vers l’entrée du supermarché de bricolage : il fallait sans doute qu’il rachète un flacon de polish, une peau de chamois et tutti quanti pour pouvoir s’occuper tranquillement de son monstre mécanique le restant de l’après-midi. Sa dégaine avait un effet stimulant sur mon imaginaire et je me disais que sa « grosse » lui avait peut-être demandé d’acheter un balai à serpillère, mais vu l’ambiance, et la fierté du héros, il y avait peu de chance que sa requête soit satisfaite. Ce gars, il avait sa fierté quand même. Ça collait pas avec le Stetson ; elle n’aurait qu’à revenir pour faire ses achats de gonzesse.

  Je vous fais grâce du défilé des téléphones portables et des conversations qui s’égrènent au fil des rayons du magasin… A une époque j’avais envisagé d’écrire un pamphlet là-dessus mais je me suis fait piquer l’idée. Il faut dire que c’est gratiné.. « Je suis contente qu’on divorce, il baisait vraiment mal… L’avocat m’a dit que ça passerait comme une lettre à la poste… Je vais lui faire cracher un max, y’a pas de raison ». « C’est quelle taille que tu mets comme slips… Ouais, je te demande ça parce qu’il y a des promos là dans le rayon ». « La gamine je l’ai fourguée à ses grands-parents. Là j’ai vraiment pas le temps. Je suis stressée un max… ». Bon ce n’est pas la peine que j’insiste, vous connaissez déjà. C’est dans ce genre d’occasions que je me dis que je suis vraiment arriéré question cellulaire. Il va falloir qu’on en achète un, sinon je ne saurai jamais s’il vaut mieux prendre des lasagnes Findus ou des Picard. Je plaisante bien sûr : la suppression des plats cuisinés à base de viande dans nos listes de course ça a été l’une des premières mesures écologiques que l’on a prises ; il y a plus de 30 ans que l’on a renoncé aux raviolis et autres cannellonis en boîte. Déjà, à l’époque c’était fait avec les pires morceaux de barbaque. C’est rigolo d’ailleurs, si j’en voulais des lasagnes surgelées, j’aurais du mal à en trouver car les bacs sont vides. Pour ce qui est des cellulaires, il paraît que ça fait vingt ans qu’on échange des SMS sur la planète. Je n’en ai pas encore envoyé un seul et je ne voudrais pas mourir illettré (pour un gars qui a rédigé – en son temps – une « histoire de l’informatique » suivie d’une « histoire des communications », ça la foutrait mal pour mes nombreux biographes !).

Ma BA effectuée, je peux sortir du supermarket, que je trouve de moins en moins super. Je préfère le « market » tout simple du dimanche matin. C’est plus frais, moins cher et globalement plus sympa comme ambiance. Mais quand même… ce qu’il y a de bien sur le parking des zones commerciales, c’est que c’est comme au cirque Pinder : dès qu’un artiste a terminé sa prestation, un autre s’avance. En plus c’est un art relativement minimaliste et les places sont gratuites. Le prestataire n’a besoin que d’un costume assez simple et de quelques accessoires courants (bagnole, téléphone, pop corn…) pour proposer au bon public que je suis un numéro hilarant. Dès que je franchis la porte de sortie le spectacle reprend. Quelques scénettes choisies presque au hasard pour enfoncer le clou…

 Le papa, crâne rasé façon skinhead, comme c’est la mode en ce moment, descend de voiture, ouvre le coffre et en sort une moto électrique miniature. Fiston descend à son tour et se précipite sur l’engin de ses rêves qu’il va pouvoir enfin essayer sur le parking (un terrain de jeu pour les grands, pourquoi pas pour les enfants ?). Le portable collé à l’oreille, maman se joint à cette sympathique réunion. Elle est indiscutablement très « class », copie conforme des minettes qui défilent dans les émissions de baise-cuisine réalité de M6. Ayant terminé sa conversation d’une importance sans doute vitale, mais que je n’ai pas la joie d’entendre, elle immortalise la scène touchante qui se déroule sous ses yeux, avec le même engin technologique fluorescent, à grands renforts d’éclairs lumineux. On se croirait à la descente des marches au festival de Cannes. A moins qu’elle ne filme ce qui lui permettrait de conserver, pour la postérité, le bruit de casserole du moteur de la moto. Cela me rappelle une histoire vraie collectée dans la classe maternelle de ma compagne. Lors du traditionnel étalage des cadeaux de Noël, un enfant raconte qu’il a trouvé une moto électrique au pied du sapin. Une moto « à ta taille » ? commente la maitresse toujours branchée… « Non, pas Atataï M’dame, une Yamaha… »

Un peu plus loin, sur le parking, une autre scène classique : un mec qui cherche sans doute à séduire les écolos. Madame fait les courses. Monsieur a horreur de ça. Il reste donc au volant et lit le journal. Le moteur tourne au ralenti dégageant une magnifique vapeur blanche par le pot d’échappement : climatisation oblige. Monsieur déteste avoir froid lorsqu’il fait le pied de grue. Il doit faire trop chaud dans sa bagnole car il est en bras de chemise. Je serais lui, j’ouvrirai légèrement la fenêtre… aucune importance puisqu’il y a le chauffage. Il paraît que certains débiles, dans un pays lointain, outre-Atlantique, allument un petit feu dans leur cheminée pendant l’été parce que c’est sympa, et en profitent pour mettre la clim à fond parce que sinon la chaleur est insupportable… En fait, la scène à laquelle je viens d’assister est courante, y compris l’été, mais en sens inverse cette fois… On comprend mieux que les besoins énergétiques de l’humanité aillent sans cesse en croissant. J’imagine aisément l’ambiance sur les parkings des zones commerciales chinoises le jour où le nombre de moteurs tournant au ralenti atteindra les quelques centaines de millions. Le mouchoir sur le visage ne suffira plus pour traverser à pied : faudra envisager la combinaison intégrale de plongée avec les bouteilles pour respirer.

 Bruit d’enfer dans mon dos ; je finis par me retourner ; rien de grave en fait, c’est le trappeur du coin qui vient faire ses courses en quad. Depuis que les marchands de moto du secteur en proposent à leur clientèle, ces engins de merde prolifèrent. Ça s’était un peu tassé du côté des tous-terrains dans les bois avoisinants. Grâce aux quatre roues, les sérénades romantiques ont repris de plus belle. Il faut dire que le moto-cross c’était relativement dangereux et plutôt sportif. Le quad c’est plus peinard et adapté aux besoins essentiels de toute la famille. Un quad bleu pour le mari, un rose pour la femme, et pourquoi pas… si les enfants sont assez grands, un quad junior pour le badinguet de 14 ans qui ne sait pas quoi foutre de son temps. Et puis, avec un quad, on est sacrément proche de la nature… aux premières loges pour entendre le chant du coucou : il suffit d’un ipod dans la poche, de bons écouteurs et l’on entend le chant des oiseaux comme si on y était. Notez bien que pour faire les courses c’est pratique aussi : celui que j’observe ce matin s’est garé sur le trottoir alors qu’il y avait au moins trois places de libres pour stationner juste à côté. Ce gars-là est sans doute membre de la confrérie des fanatiques de la marche à pied qui grimpent sur les trottoirs pour accéder aux distributeurs de billets de banque en ville. Moi, si je fais ça avec ma petite bagnole à deux balles, je bousille mes pneus et je racle le plancher juste ce qu’il faut pour arracher deux trois trucs importants. Si ces gens avaient vraiment de la suite dans les idées, ils arracheraient le distributeur avec leur treuil au lieu de se contenter d’y glisser leur carte bancaire comme monsieur toulemonde.

 Une petite dernière pour la route ? Je manœuvre pour quitter le parking et regagner mes pénates histoire de digérer tous les épisodes de ce feuilleton mirobolant. Une grosse voiture genre BMW se gare, non loin de la porte d’entrée du magasin, sur une place réservée aux handicapés. C’est chouette a l’air de se dire le connard qui ouvre la portière et s’extrait du boitier capitonné en s’étirant avec l’élégance de l’orang-outan descendant de sa branche ; ces places là elles sont presque toujours dispos et pas loin des chariots. Ça évite de saloper ses godasses dans la neige… Dommage que ce mec fasse deux fois mon gabarit en hauteur et en largeur, sinon je lui collerais bien mon poing dans la gueule… C’est fou ce que la vie dans la nature rend agressif. Ce que je lui souhaite en tout cas, c’est de se faire renverser par la première Lada de passage. Un petit choc à la moëlle épinière et il pourra éprouver la joie de circuler en fauteuil roulant et de garer son véhicule aménagé sur les jolies places bleu ciel. Si j’avais un tube de rouge à lèvres, je lui décorerais bien le pare brise d’un superbe logo GIC… J’en connais dans ma famille qui ont fait ça sur les vitres des enfoirés qui bloquent les pistes cyclables en ville. Le rouge à lèvres sur une glace, c’est assez coton à nettoyer.

Autant rentrer, le dernier tour de piste ne m’a pas fait rire du tout. Je reviendrai en semaine. Il me semble que le pourcentage d’abrutis se dilue dans la masse et qu’ils sont moins visibles… Ma conclusion, sûrement pas une pirouette genre « tous des cons », simplement un constat : y’a du travail à faire pour réactiver les synapses de certains. Histoire de me remonter le moral, je me souviens d’une petite phrase attribuée à Lao Tseu : «Mieux vaut allumer sa petite bougie que de s’acharner à maudire les ténèbres.» Ainsi vais-je faire…

6 Comments so far...

JEA Says:

27 février 2013 at 16:56.

L’avant dernière fois, au maga ardennais avec deux places bleutées handicapés. Le véhicule confort d’un gaulois occupe les deux emplacements, étalé en largeur. L’épouse du conducteur descend, sort du parking, traverse la rue pour une proche pharmacie. Elle gambade et lui n’a aucun signe handicapant son pare-brise.
Faible de sa plaque d’européen handicapé, un bougre suggère gentiment de partager les deux stationnements. Alors le gaulois de descendre la vitre de la portière avant, pour brandir une espèce de bombe lacrimo ou au poivre ! Y’a de la joie…

Paul Says:

27 février 2013 at 17:17.

@ JEA – Les actes d’imbécillité de ce genre (j’allais écrire incivilité mais le terme me parait trop lissé) sont malheureusement légion et les recours autres que la malveillance (anodine dans un premier temps) peu nombreux… Je pense que d’autres réagiront à ce paragraphe-là de ma chronique, car on passe de la bêtise pure à la nuisance envers autrui.

la Mère Castor Says:

27 février 2013 at 19:00.

Comme on dit, ça te fait du profit, tu en mets plus dans les yeux et les oreilles que dans le caddie. Moi j’aime lorgner dans le caddie des autres…

fred Says:

28 février 2013 at 10:47.

Je suis sous le choc ! Je n’avais plus souvenir de t’avoir lu dans un tel état de rage et utilisant des termes aussi triviaux ! On dirait bien, que toi aussi, cher Oncle Paul, tu n’aimes pas du tout faire les courses ! Par mimétisme avec la foule peut être ? Pourtant, c’est tellement plaisant de consommer ! et puis tu as pourtant tout ton temps pour le faire ! Non ! Je ne comprend pas ce désamour profond pour l’humanité que je sens poindre entre les lignes ! Peut être n’as tu pas croisé dans les rayons les « bons clients » qui peuvent égayer la journée d’un honnête homme !

http://www.youtube.com/watch?v=FZkDX-subds

Patrick MIGNARD Says:

28 février 2013 at 11:15.

Excellent… on s’y croirait. Moi je ne vais dans les « grandes surfaces »,… quand j’y vais,… qu’à l' »heure des retraités »… c’est beaucoup plus calme ! ! ! !

bibiane Says:

5 mars 2013 at 23:25.

je n’aime pas la foule non plus et ne me déplace plus qu’exceptionnellement aux centres commerciaux … et je suis aussi en zone rurale mais en languedoc. Alors j’ai beaucoup rit, parce que c’est très bien écrit et décrit, mais ça ne me fait pas rire tous les jours lorsque je suis confrontée à ces types de comportements … je me dis qu’on ne va jamais s’en sortir et je ne suis pas sûre qu’on puisse réactiver les synapses de certains 🙂
Bonne continuation

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