La feuille Charbinoise

26 août 2008

Médias, bavures et entartage

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .

La plupart des journalistes de nos grands médias, que ce soit presse écrite, radio ou, pire, télé, mériteraient de se faire « entarter » au moins une fois dans leur carrière par le célébrissime Noël Godin. On présente souvent le citoyen français moyen, Dupont, avec un béret vissé sur la tête, une clope au bec (enfin plus maintenant c’est interdit) et une baguette de pain sous le bras, le tout accompagné d’un sourire un peu idiot, signe d’une béatitude profonde proche du crétinisme. Ce sont surtout les journalistes qui mériteraient d’être représentés comme ça, dans leur grande majorité. Le problème c’est que si Dupont prête à sourire, lorsqu’il acquiert le pouvoir d’informer ses concitoyens, Super Dupont n’a plus rien de drôle, il est même carrément sinistre et dangereux.

Pour Super Dupont de la télé par exemple, le monde est divisé en deux zones principales : nous et les barbares. Chacune de ces deux grandes entités est subtilement subdivisée. Chez « nous » par exemple, il y a « nous » d’abord, les Français de France et d’Outre-mer (pas ceux qui sont trop colorés, les autres…), puis les Européens tout autour, civilisés quoiqu’un peu différents (sauf les Irlandais dont il y a lieu de se méfier), et les Américains du Nord (sauf le Mexique qui pour beaucoup de journalistes se trouve au Sud), que l’on considère un peu comme de « grands enfants très joueurs » qu’il faut parfois guider par nos sages conseils. Puis il y a le camp des barbares, un peu plus complexe… ll y a d’abord les méchants qui font peur parce qu’ils sont nombreux, qu’ils maltraitent quelqu’un (au choix, femmes, opposants, minorités, Tibétains, Juifs…) : ce sont, dans le désordre, les Arabes (ouh les Arabes !), les Russes (bouh les Russes !) et les Chinois (Argh les Chinois !). Pour ces deux derniers grands ensembles de population c’est assez simple : on les a toujours appelés Russe et Chinois… Pour les Arabes, ce qui montre bien leur perversité c’est qu’ils se dissimulent sous différentes appellations que nos chroniqueurs confondent allègrement : au petit bonheur, Islamistes, Musulmans, Mahométans (passé de mode, de même que Sarrasins), Talibans, Afghans, Algériens, voire même Turcs pour les plus incompétents. Tous les barbares ne sont pas méchants : les Africains prêtent plutôt à sourire, tellement leur vie tribale est compliquée ; les Américains du Sud jouent bien de la flûte, portent de beaux costumes folkloriques et essaient un peu de nous singer et d’évoluer. L’Inde est une entité négligeable : ces gens-là ont tellement de problèmes avec leurs inondations qu’ils ne sont pas vraiment inquiétants.

Vous trouvez que je vais un peu loin dans ma caricature ? Prenons quelques exemples récents dans l’actualité, en vrac, et sans hiérarchie, comme savent si bien le faire nos présentateurs de la messe du 20 h. La façon dont les médias français dans leur ensemble présentent la guerre en Géorgie est tellement caricaturale qu’elle fait sourire nos voisins allemands. On insiste sur les dégâts commis par les troupes d’occupation russes, à Gori par exemple, en n’évoquant pratiquement plus l’état dans lequel les Géorgiens ont mis la capitale de l’Ossétie du Sud, Tskhinvali, soumise à un tir d’artillerie nourri dans la nuit du 7 au 8 août (avec l’aide active d’officiers étatsuniens, ainsi que le révèle le Canard Enchaîné cette semaine). Le présentateur interroge le journaliste « sur le terrain » en faisant les questions et les réponses : « Pouvez-vous nous confirmer que les troupes d’occupation russes se sont livrées à des exactions sur la population civile ? – Certes, oui, j’ai entendu dire que… Il paraît que…. » Encore quelques semaines d’infos de cet acabit-là et on aura totalement oublié qui est l’agresseur. Quant au rôle joué par la CIA dans cette agression, et aux tentatives de déstabilisation que connaît la Russie sur sa frontière Sud, dans le Caucase, c’est un thème réservé au minimum à l’émission « le dessous des cartes », lorsqu’elle sera à nouveau diffusée vers 23 h. Il est proprement scandaleux pour nos braves nemrods de l’information (quelle que soit la chaîne) que les Russes soutiennent la volonté d’Indépendance de l’Ossétie du Sud ou de l’Abkhasie, et parfaitement normal que l’OTAN ait approuvé et soutenu la sécession du Kosovo. Deux poids, deux mesures : ce sont les Russes qui veulent agresser Dupont et pas l’inverse.

Au tour des Chinois. Sans même évoquer tout ce qui s’est dit au sujet des droits de l’homme et qui pourrait prêter à de nombreuses discussions. Restons en à du racisme plus ordinaire à la télévision française. Un reportage sur les travaux réalisés à Pékin pour que la ville accueille les Jeux Olympiques… Le commentateur évoque l’importance des chantiers puis glisse rapidement sur leurs conséquences négatives pour une partie des habitants de la cité. En gros, le discours c’est ça : « pour accueillir athlètes et touristes, on a malheureusement rasé les quartiers historiques anciens de la capitale et déporté leurs habitants vers de grands ensembles neufs, mais ô combien inhumains, dans la lointaine banlieue. Le centre de Pékin a ainsi perdu une grande partie de sa singularité et seuls quelques endroits ont été préservés pour promener les touristes autour des vieux palais. » De quoi il parle le gugusse : de Paris, dont la rénovation a été un modèle de respect pour les quartiers anciens sans doute, de Londres, d’Honolulu ? En quoi est-ce que les Chinois ont fait pire que les Français dans ce domaine ? Les Chinois de la télé sont malheureux, les Chinois de la télé sont exploités (pour le plus grand profit de qui ?), les Chinois de la télé polluent… Il paraît que vingt pour cent des émissions de CO2 en Chine sont liés aux produits fabriqués pour l’exportation chez Dupont et consorts.

Vous voulez un peu d’Afghanistan ? On n’étudiera même pas en détail le vocabulaire des baveux pour parler de la « lâche » embuscade, tendue par des barbares suréquipés et surtout « abondamment pourvus en munitions » à nos vaillants professionnels de la guerre mal conseillés, en panne de fléchettes empoisonnées, et envoyés en pleine campagne avec un GPS détraqué. La moindre des politesses aurait été de les remettre sur le chemin de leur base au lieu de les flinguer… Non, chronométrez simplement le temps qui a été consacré à ces héros de la nation et comparez le avec celui qui a été accordé au 90 civils afghans (femmes et enfants principalement) écrasés par un chapelet de bombes jeté avec amour par des pilotes US qui ne savaient pas quoi en faire… Pour les soldats français, on n’est pas loin de parler d’assassinat programmé ; pour les femmes afghanes que l’on a libérées en les envoyant directement au paradis d’Allah, les agences de presse parlent de « bavure » (titre d’une dépêche de l’AFP ce matin : « Kaboul va renégocier le mandat des forces internationales après des bavures »). Si c’est pas du journalisme ça !

Nos journaleux n’ont certainement pas l’impression d’être des agents de propagande de l’Elysée et sont probablement inconscients de la manière dont ils propagent, sans se poser de questions, les « valeurs » de l’idéologie dominante, et ce dans tous les domaines qu’ils abordent. Les raisons de ce comportement sont nombreuses et mériteraient, non pas une chronique de blog, mais un livre complet pour les analyser. François Ruffin l’a déjà plutôt bien fait dans son livre « les petits soldats du journalisme » (il est temps de le lire si vous ne l’avez pas encore fait). Serge Halimi en avait fait une étude d’ensemble dans son ouvrage « les nouveaux chiens de garde » (à lire aussi). Origine sociale lors du recrutement, carriérisme, paresse intellectuelle me paraissent être des facteurs dominants. Dans beaucoup d’articles d’actualité publiés dans la presse ou dans beaucoup de commentaires fait à la radio ou à la télé, on retrouve, à quelques mots près, le texte intégral des dépêches d’agence. Cela simplifie le travail des « chargés de com ministériels » : pas besoin d’infiltrer ou de censurer une multitude de supports d’information. Il suffit que Reuters ou l’AFP multiplie les envois sur un sujet donné pour que celui-ci devienne un sujet de premier plan. Lorsqu’une info a « accroché » l’opinion, on recherche alors tout ce qui pourrait avoir un rapport, de près ou de loin, avec ce thème jugé porteur, et on matraque. C’est comme celà qu’en certaines périodes les trains reçoivent plus de pierres, les enfants meurent plus, les tornades font plus de victimes… La priorité étant donnée, bien entendu, à tout ce qui inquiète, à tout ce qui développe la peur de l’autre, à tout ce qui pousse à réclamer plus de protection, plus d’assurance, plus de gendarmes… Mais ça c’est le boulot de TF1, c’est encore pire que la platitude et l’incompétence étalée sur les autres chaînes…

NDLR : le dessin de Super Dupont est piqué à Gotlieb ; la caricature d’un célèbre dirigeant chinois provient de Chine Nouvelle ; la photo d’île paradisiaque est extraite de la banque de photos Casafree et elle a été prise par Lamia ; la photo de Noël Godin « entarté » provient de la couverture de son livre chez Flammarion (« Entartons, entartons, les pompeux cornichons ! ») ; l’affiche a été dessinée par Monsieur Mai 68, grâce soit rendue à son talent.

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