2 septembre 2008

La petite fille et son grand-père

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; les histoires d'Oncle Paul .

La petite fille est âgée de 2 ans. Elle est vive, mignonne, souriante, comme le sont souvent les petites filles de son âge ; aux yeux de son grand-père, elle est encore un peu plus que tout cela. Tous deux marchent main dans la main et se dirigent vers le jardin. Un grand soleil, jaune, brillant, épanoui, illumine le ciel et les fleurs sont resplendissantes. On entend le vrombissement d’un moteur d’avion dans le ciel. Au début, surtout quand ils passaient un peu bas, la petite fille avait peur de ce bruit singulier, comme elle avait, d’ailleurs, peur d’un peu tous les bruits mécaniques. Elle s’est habituée aux avions et dès qu’elle en entend un elle s’arrête, pousse un cri d’excitation tout en scrutant le ciel pour essayer de l’apercevoir. L’avion passe, loin en dessus de sa tête, et la petite fille lui fait un grand bonjour de la main. Parfois même, elle lui envoie un bisou, comme elle le fait avec d’autres créatures, chats, oiseaux, abeilles… Son grand-père la regarde en souriant. Elle lui rend son sourire, puis se remet à gambader, attirée par de nouvelles aventures… un papillon qui vole, le chat qui passe entre ses jambes. Elle a détourné la tête trop vite pour apercevoir l’ombre de tristesse qui a traversé le regard du grand-père. Tant mieux, les idées noires qui traversaient la tête de pépé ne sont pas pour elle.

La petite fille est âgée de trois, quatre ans, maximum. Elle court nu-pieds en zigzaguant entre les pierres du chemin. Elle accompagne son grand-père, mais comme toutes les petites filles insouciantes de son âge, elle oublie parfois que son grand-père est un peu sourd et qu’il n’y voit pas très bien. Le sable est chaud ; le soleil commence à décliner dans le ciel, mais la fin de journée est encore loin. Soudain, la petite fille entend le bruit d’un avion. Son grand-père n’a rien remarqué. Vite, elle l’attrape par la main et l’entraîne à l’abri d’un mur à moitié effondré. La petite fille a peur de ce bruit. La dernière fois qu’elle l’a entendu, un grand oiseau blanc avec une étoile bleue est passé très bas en dessus du village ; il y a eu un second bruit, encore plus terrifiant, et, quand le monstre s’est éloigné, la maison de grand-père brûlait. La petite fille sait que les avions traversant son ciel ne sont que des oiseaux de malheur apportant la misère et la dévastation. L’avion qu’elle a entendu s’éloigne déjà : aujourd’hui, il n’est pas là pour détruire, car il n’y a plus rien à détruire ; il ne reste plus que le champ d’oliviers de grand-père. Dans son sillage, l’avion laisse tomber une multitude de petites boites de toutes les couleurs qui se posent dans les champs. La petite fille est étonnée ; elle ne comprend pas. Elle dit à son grand-père : « pape, pape, regarde ! il y a des cadeaux qui tombent du ciel ! ». Grand-père n’a rien vu. Le visage enfoui dans les manches de sa veste de toile, il pleure en silence. La petite fille tire à nouveau son grand-père par la manche. Pour lui changer les idées, elle va l’emmener regarder les oliviers. Tous deux reprennent leur promenade. L’homme regarde où il pose ses pieds et il avance précautionneusement entre les pierres du champ. La petite fille se remet à gambader, attirée par de nouvelles aventures. Au pied de l’arbre, il y a une boîte bleue, couverte d’étranges dessins. La petite fille lâche la main du vieil homme, se précipite vers l’olivier, ramasse la boîte et commence à jouer avec. Il y a un fil qui dépasse ; un anneau… La violence de l’explosion est telle que le vieil homme est projeté au sol. Au milieu du champ d’olivier, on n’entend plus que les hurlements d’une fillette ensanglantée. Le grand-père n’a plus assez de vie pour pleurer.

Toutes les petites filles du monde n’ont pas la chance de la mienne. Son sourire n’a pas de prix. L’horreur de la guerre est indicible. Aucune couleur dans la palette des peintres ne peut permettre de reproduire la noirceur de l’esprit de ceux qui veulent nous enfermer dans la spirale de la haine guerrière. Ce texte est écrit à la mémoire de tous les enfants, de tous les adultes du monde victimes de la barbarie, de l’injustice et de la bêtise de toutes les créatures sans âmes qui les survolent un jour à bord de leurs grands oiseaux noirs et gris. Ce texte est écrit à la mémoire des enfants du Vietnam arrosés à l’Agent Orange, à ceux du Cambodge baptisés au napalm, à ceux du Liban qui ont joué avec les sous-munitions meurtières, à ceux d’Afrique centrale que l’on envoie égorger leurs semblables et à tous ceux que notre mémoire enterre malheureusement dans la fosse commune de l’anonymat.

Ce texte est écrit par un jour de beau soleil, alors qu’il fait bon vivre et que MA petite fille est à l’aube d’une nouvelle journée de découvertes et de bonheur. L’absence d’illustrations est volontaire.

5 Comments so far...

Lavande Says:

2 septembre 2008 at 18:50.

Beau texte.
C’est sûr que lorsque l’on entend une info ou voit une image concernant un enfant, immédiatement l’image de son propre enfant ou petit-enfant se superpose à celui dont on parle et on a un flash de douleur encore plus violent.
Que nos enfants sont privilégiés, ici et maintenant!

Lavande Says:

2 septembre 2008 at 19:00.

Ne pas avoir mis d’illustration est méritoire…car ce ne sont pas les « matériaux » qui manquaient!

Paul Says:

2 septembre 2008 at 21:29.

En cherchant des illustrations pour une chronique où je parlais de Monsanto et de l’agent orange utilisé au Viet Nam, je suis tombé sur des photos d’enfants qui m’ont tellement traumatisé que j’ai décidé que je ne voulais plus voir de choses pareilles…

Clopine Trouillefou Says:

5 septembre 2008 at 21:34.

comme d’habitude, impeccable votre blog. Le mien est d’un foutraque… et puis, l’émotion qui vient, là, comme une résurgence. Merci !

Paul Says:

6 septembre 2008 at 11:00.

Merci Clopine pour ce commentaire qui me va droit au cœur. Comme on le dit parfois, ce texte est basé sur des faits réels et j’y tiens beaucoup car j’ai effectivement ressenti ce que j’exprime, lors de la promenade au jardin pour une part, lors du visionnage d’un documentaire d’ARTE sur la Palestine, il y a maintenant quelques mois, voire une année. La caméra se promenait dans un champ de très vieux oliviers, puis on voyait un bulldozer en train de les arracher. Un grand-père pleurait sur le seuil de sa maison et son fils expliquait que les Israéliens, sous couvert de no man’s land de part et d’autre de leur mur de la honte, ravageaient ce qui permettait à la famille de vivre d’une part, mais aussi ce qui avait été le cadre de vie du grand père depuis son enfance. Quant aux bombes à sous-munitions, les Israéliens en ont déversé des tonnes sur le sud Liban lors de leur dernière agression, au point que, quelques temps après la guerre, les orages de grèle ont provoqué des multitudes d’explosions dans les champs. On sait que ces mines larguées du ciel sont dissimulées sous la forme d’objets inoffensifs et que les enfants se font très souvent piéger. Cela montre bien que ces armes n’ont pour but ultime que le massacre de civils innocents. Pour ne pas être accusé de parti-pris manichéiste, j’ajouterai que les Israéliens ne sont pas les seuls à utiliser ces armes, et qu’il y a d’autres pays « vertueux » pour les fabriquer.

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