4 septembre 2008

Connaissez-vous Régis Messac ?

Posté par Paul dans la catégorie : mes lectures .

Si je commence la chronique en disant que Messac est l’un des grands maîtres de la Science Fiction française, certains d’entre-vous risquent d’abandonner prématurément leur lecture, tant les préjugés à l’égard de ce genre littéraire sont nombreux. Si Wells, Huxley, ou Poe par exemple sont admis dans la « cour des grands », beaucoup d’autres écrivains de valeur restent confinés dans le genre « sous-littérature » ou « littérature populaire », ce dernier mot prononcé avec une petite moue dégoûtée au coin des lèvres. Ce serait dommage de ne pas s’intéresser à Régis Messac, auteur de la première moitié du XXème siècle, tant l’œuvre autant que le personnage sont singuliers.

Régis Messac est né à Champagnac en août 1893. Mobilisé comme tant d’autres en août 1914, il est blessé à la tête en décembre, trépané, mais reste incorporé dans l’armée, dans divers services à l’arrière du front, où il fera preuve d’une incompétence notoire qu’il revendique fièrement, tant sa haine de la hiérarchie militaire est grande. Pacifiste convaincu, adepte de la non violence, sympathisant des idées libertaires, Régis Messac déclarera, à la fin de sa vie, n’avoir jamais utilisé d’arme contre l’ennemi. Après sa démobilisation, il commence une carrière d’enseignant et d’écrivain. Il est d’abord nommé professeur de lettres au lycée d’Auch, puis il est lecteur à l’université de Glasgow et à nouveau professeur à l’université Mc Gill à Montréal. Il rentre en France en 1929, soutient avec succès une thèse sur les « Detective Novels et l’influence de la pensée scientifique », un document fleuve, premier ouvrage universitaire réalisé sur le roman policier. Il redevient enseignant en lycée, à Montpellier, mais n’aura jamais accès à une chaire de professeur dans l’enseignement supérieur comme il l’aurait souhaité. Parallèlement à cette carrière dans l’Education, Messac écrit beaucoup, en tant que journaliste, novelliste et romancier. Il réalise aussi des traductions et il collabore à différentes revues. Les trois livres de Science Fiction qui lui vaudront sa plus grande notoriété sont écrits en 1935 (Quinzinzinzili), 1937 (La cité des asphyxiés) et 1973 (Valcrétin, édition posthume). A la fin de sa vie, il écrira un pamphlet contre le régime de Vichy, intitulé « Pot-pourri Fantôme » (édité à titre posthume lui aussi et considéré comme l’une des meilleures analyses de l’époque). Il s’engage dans les réseaux de Résistance, dans la Manche, et il est arrêté en Mai 1943, puis déporté en tant que « Nacht und Nebel ». Il mourra en camp de concentration au début de l’année 1945, mais on ne sait pas où exactement. Comble de l’humour noir, cet antimilitariste forcené recevra la croix de guerre, la légion d’honneur et la nomination au rang de sous-lieutenant.

« Quinzinzinzili », titre bizarre s’il en est (il s’agit en réalité de la reformulation de « qui es in celis » par les héros singuliers de son livre) est un livre précurseur du roman de SF post-apocalyptique. L’action se situe en Lozère. Nous sommes en 1935 et une guerre bactériologique a ravagé le monde. Seuls rescapés à ce désastre, un groupe d’enfants et un adulte (le narrateur). Quinzinzinzili raconte la naissance d’une micro société, reproduisant à son échelle et de façon caricaturale, toutes les tares de celle qui vient de disparaître : naissance d’une hiérarchie, du partage du travail, de la religion, conflits et guerres futures en gestation. La communauté lozérienne se voue au culte de Quinzinzinzili, culte dont les rituels sont inspirés des souvenirs déformés des cours de catéchisme auxquels participaient les enfants avant la rupture. Le narrateur suit cette évolution au regard de ses connaissances historiques et culturelles. Le livre est certes très pessimiste et sa conclusion montre à quel point l’auteur est lucide quant à l’évolution à court terme du monde qui l’environne. Régis Messac porte un jugement assez cruel sur ses contemporains ; voici ce qu’il écrit dans un article en 1919 : « Les bourgeois […] n’ont pas d’idées et ils ont peur d’en avoir. La France est une nation de petits boutiquiers perdus par un esprit de lucre étroit, dont toute la science est de grappiller sur le salaire du travailleur. »

« Quinzinzinzili » est suivi, en 1937, par « La cité des asphyxiés », autre œuvre majeure à mes yeux. Ce deuxième roman de SF propose une autre vision négative de l’avenir. Son orientation est plus écologique. Régis Messac imagine, avec quelques années d’anticipation, une ville où tout fonctionne « à l’envers ». Le milieu de vie est souterrain, l’atmosphère suffocante : l’un des derniers produits gratuits, l’air, est devenu payant, tellement il est rare. Un bourgeois du XXème siècle, Sylvain Le Cateau, devient, après un voyage spatio temporel, l’explorateur de cet univers. S’il ne peut revenir sur ses pas, il a encore la possibilité de communiquer avec ses proches : « … ça faisait comme dans une immense cave. Plus je regardais plus je m’apercevais qu’elle était immense. Une nef de cathédrale, plusieurs nefs de cathédrale, des douzaines de nefs surajoutées, branchées les unes aux autres, des cathédrales pour géants de Brobdingnag. Mais les piliers et les sculptures étaient curieusement irréguliers. Il y avait des colonnes et même des colonnades ; mais les petites colonnades, serrées en tuyaux d’orgue, et les piliers des grandes arches qui se perdaient dans l’ombre, se succédaient capricieusement… » Dans ce monde, les musiciens sont sourds, les peintres aveugles et les philosophes ont pour occupation principale le remplissage de grilles de mots croisés. Le petit peuple des « Zeroes » se tue à la tâche et donne son « san pour la Pah-Trih ». Derrière le portrait de cette cité des asphyxiés, c’est notre société qui est décortiquée avec une ironie mordante, cela ne fait aucun doute. Le tableau dressé par Régis Messac est sombre, très sombre, mais nous sommes en 1937 et les intentions bellicistes d’Hitler sont très claires, de même que le soutien qu’une bonne partie de la bourgeoisie capitaliste internationale est prête à lui accorder…

Ne comptez pas sur « Valcrétin » pour vous remonter le moral. Au large des côtes du Chili, sur une île inconnue, sans doute absente des cartes maritimes courantes, vit une peuplade aux mœurs étranges. On ne sait s’il s’agit de mutants, d’une peuplade ancienne oubliée, ou d’animaux particulièrement évolués. Leur société est vouée aux cultes de la laideur, de la violence et de l’inceste. Ce sont les « Crétins ». Une expédition scientifique se donne pour mission de les étudier, mais les membres de cet éminent collège de spécialistes subissent, à leur tour, une étrange évolution. Quelle est la cause de cet état de fait : la contagion, le climat ? Je vous laisse le soin d’étudier cette question. Pour vous mettre l’eau à la bouche, je vous propose un extrait de poème crétin, comme dirait l’auteur, « un extrait du Cantique des Cantiques de la Crétinie », transcription la plus fidèle possible des propos de l’un des Roméo de la tribu :

« Ma bien-aimée a un beau goître ;
sa gorge est comme un pis de chèvre
ses pieds sont larges et lourds comme des tatous ;
sa démarche est boiteuse comme celle d’un pingouin ;
comme l’eau bourbeuse est son regard ;
son œil gauche regarde le soleil qui se couche ;
son œil droit le soleil qui se lève… »

Ne trouvez-vous point cette déclaration d’amour et ce portrait de l’être aimé particulièrement ravissant ? Valcrétin, même s’il n’est pas le roman le plus abouti de Régis Messac, vous réserve bien d’autres passages de choix.

J’espère avoir réussi, grâce à ces quelques lignes, à vous donner envie de vous intéresser à cet auteur, pour lequel on ne possède plus qu’un mauvais portait et une photographie, une victime de plus de l’oubli dans lequel sont malheureusement plongés beaucoup de « vrais » grands hommes, peut-être parce que, de leur vivant, ils ont fait preuve d’une grande humilité. Pour lire Messac, il va falloir vous transformer en « chercheur de trésors » ou en « rat de bouquinerie ». Aucune édition récente de ses œuvres n’est disponible sauf pour « Quinzinzinzili » qui a été enfin republié par les éditions « l’arbre vengeur » en 2007, collection « L’alambic » (*). Une biographie détaillée serait en cours de rédaction et devrait paraître en 2009. Peut-être qu’alors les différents ouvrages rédigés par cet auteur (SF et autres) seront tirés de l’oubli !

NDLR : les éléments biographiques sont en partie extraits de la rubrique de Wikipedia consacrée à cet écrivain (bibliographie exhaustive) ; elles sont complétées par les fiches rédigées par Ralph Messac (son second fils, journaliste, décédé lui aussi en 1999) et proposées en introduction aux trois romans.
(*) Je vous jure que je n’ai pas volé le titre de la catégorie « culturelle » de mes chroniques à cet éditeur !

4 Comments so far...

fred Says:

4 septembre 2008 at 16:07.

woah ! Ce Mr MESSAC a l’air d’être aussi un sacré « roi de la Déconne » ! Pour remonter le moral du pékin moyen en cette période de baisse du pouvoir d’achat y’a sans doute rien de mieux ! Si c’est comme ça, je retourne m’installer à ValCrétin tiens !

Paul Says:

4 septembre 2008 at 17:01.

En fait les romans de Messac sont très pessimistes, mais ce que j’apprécie, dans un roman comme Quinzinzinzili par exemple c’est que derrière le cynisme avec lequel il dépeint ces mômes entrain de reconstruire un monde aussi pourri au niveau des valeurs morales que celui qu’ils ont quitté, il y a un point de vue humain et que la tendresse n’est pas absente. Il ne s’agit pas d’une condamnation pure et simple du genre humain. Messac est proche des humbles, des opprimés, auxquels il pardonne pas mal d’erreurs. L’écrivain ne manque pas d’humour non plus. Mais quel portrait au vitriol quand même !

olmes Says:

14 septembre 2008 at 21:58.

Je connais Régis Messac. Enfin… j’ai lu beaucoup de choses de cet homme d’esprit qui n’était pas, loin s’en faut, « le roi de la déconne ». C’était même tout le contraire d’un rigolo au sens où l’entend Fred. Le portrait qu’en fait ici l’ami Paul traduit une des meilleures perceptions que l’on a pu trouver ces derniers temps sur Messac. Voilà un article très bien écrit, un hommage, sans une fausse note sur le fond. La fin cependant apparaît quelque peu erronée, car « Quinzinzinzili » n’est pas le seul titre récemment republié. Je signale donc que les Éditions ex nihilo ont édité en 2005 [ses] Lettres de prison, fait paraître en 2007 « les Romans de l’homme-singe » (étude) préfacé par Marc Angenot, et sorti cet été « le Miroir flexible » (roman inédit) préfacé par Gérard Klein. http://forums.bdfi.net/viewtopic.php?id=1568 . Deux autres études, « Micromégas » et « les Premières utopies », seront livrées d’ici à la fin de l’année. « Le « Detective Novel » et l’influence de la pensée scientifique » est en préparation aux éditions des Belles Lettres. À noter enfin que la Société des amis de Régis Messac amis@regis-messac.fr , créée en décembre 2006, édite depuis janvier un bulletin trimestriel entièrement consacré à Régis Messac : « le journal de Quinzinzinzili » http://forums.bdfi.net/viewtopic.php?id=1416 , dont le numéro 4 est en cours de montage, propose notamment de nombreux articles de Messac encore en prise avec l’actualité. Belle vie à la feuille Charbinoise !

Paul Says:

28 septembre 2008 at 20:25.

Merci pour toutes ces précisions et désolé d’avoir attendu pour valider ce message (vacances obligent).

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