16 septembre 2013

« Un Français sur trois se sent proche des idées de Marine Le Pen » ?

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .

Tout va bien à bord ? Euh non pas vraiment…

Une rentrée guère réjouissante, marquée par les bruits de bottes du côté de la Syrie, et le pilonnage médiatique concernant l’état de grâce des droites populistes en Europe et plus particulièrement du Front National en France. Il ne se passe pas une journée sans que l’on ait droit à un communiqué de presse évoquant la sympathie d’une large couche de la population pour les idées nauséabondes du FN. Cela va du « un Français sur trois se sent proche des idées de Marine Le Pen » à « 16 % des électeurs envisagent de voter FN aux prochaines élections municipales », en passant par une large couverture des moindres propos, des moindres faits et gestes de la patronne de la boutique.

 Tout cela est plutôt décourageant pour les militants qui se battent pied à pied contre cette progression rampante des idées fascisantes ; en ce qui me concerne, une envie de plus en plus forte aussi de gueuler « les cons ! », en pensant à un certain nombre de mes concitoyens. C’est le point de vue qui domine dans la première partie de cet article ! S’arrêter à ce stade là dans l’analyse serait une erreur et je vais essayer de positiver un peu plus dans la seconde partie… Il est clair qu’une fraction non négligeable de la profession journalistique contribue à la promotion volontaire ou involontaire des thèses du Front National… Il faut néanmoins garder tête froide et donner à ce matraquage de communiqués et d’informations plus ou moins tapageuses la place qui doit être la sienne : il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil, mais c’est sacrément inquiétant. Le discours frontiste se situe à un niveau de démagogie rarement atteint. Grâce aux propos tenus successivement par les représentants de la droite comme de la gauche depuis 1981, ses idées les plus répugnantes ont été largement banalisées. On peut glisser sans peine des propos tenus par un présentateur de JT à une allocution télévisée des leaders populistes ou de leurs marionnettes. Les idées les plus réactionnaires du moment bénéficient d’un fort courant de sympathie dans l’opinion et les leaders de la droite classique comme ceux de la gauche molle surfent dangereusement sur cette vague.

Le fait que l’on préfère le niveau de réflexion des conversations de bistrot à celui des conférences universitaires n’est pas une nouveauté. Dans tous les pays, à toutes les époques (je suis prêt bien entendu à recevoir des contre-exemples !) la majorité de la population s’est toujours plus préoccupée de sa survie quotidienne que d’un combat pour des idées tout aussi nobles qu’abstraites, parce que d’application lointaine. Les tendances les plus radicales du Front Populaire en 1936 n’ont jamais été soutenues par un raz-de-marée populaire ; quant à la Résistance contre le nazisme – certes héroïque – elle n’a été soutenue que par une fraction de la population. Comme le fait remarquer si justement Emilie Carles dans « la soupe aux herbes sauvages », en 1945, nombre de familles françaises se sont contentées de remplacer le portrait du Maréchal Pétain par celui du Général de Gaulle. Les idées de Pétain et Laval étaient simples, faciles à expliquer et donc faciles à adopter. On avait perdu la guerre ; c’était la faute des autres – non pas les Maghrébins à l’époque mais les Juifs, les Anglais, les étrangers… On devait accepter l’occupation allemande et la vengeance contre ceux qui avaient provoqué la débâcle était tout à fait légitime. On ajoute à cela une pincée de ruralité, une pincée de bon sens près de chez vous plus une pincée de nostalgie du bon vieux temps et la potion de sorcière est prête.

Si je fais cette brève allusion au discours pétainiste, c’est que les mots ont quelque peu changé, mais le fond du discours reste le même : le montage d’illustrations ci-dessus, volé à Patrick Mignard sur son blog « Fédérer et Libérer », le montre bien. Les responsables du mal-être actuel sont les « immigrés » pour l’essentiel, les Juifs pour un peu mais on ne le dit pas (faut bien faire plaisir à certains gros bras nostalgiques d’Hitler), la finance internationale et apatride pour le reste (mais on se garde bien de l’attaquer). C’est plus simple de s’attaquer à l’Arabe, au Turc ou au Sénégalais de l’immeuble d’à côté que d’aller traquer le vrai responsable du licenciement dont on est victime, ou de la crise économique dont on paie les pots cassés. Le film « Louise Michel » constitue une très bonne illustration de mon propos. Le patron (que connaissent les ouvrières) a fermé l’usine de textile… Il est facile à abattre, mais le problème c’est que derrière le patron de la firme, il y a le patron du groupe industriel, puis le fond de pension domicilié fiscalement aux îles Caïman ou ailleurs, qui contrôle toute la situation économique de la filière.

Le réflexe primaire de taper sur plus petit que soi est un réflexe de survie élémentaire. Je me souviens d’une scène à laquelle nous avons assisté dans un charmant hôtel-restaurant d’une délicieuse ville provinciale. Lors du dîner, pris dans une salle à manger gracieusement meublée, entourés de retraités distingués (comme nous maintenant), l’un des serveurs a commis une maladresse et laissé tomber le contenu du plateau qu’il transportait. Nous étions près de la porte des cuisines et nous avons entendu la remarque faite par le maître d’hôtel : “ vous souriez maintenant ; vous verrez tout à l’heure, cela ne se passera pas comme ça ; reprenez votre service ! « . Nous avons alors eu une pensée émue pour le pauvre garçon… Le lendemain, nous avons croisé notre héros de la veille dans une toute autre posture : il traversait à grande vitesse la salle à manger, bousculant une femme de ménage espagnole qui passait la serpillère. Les propos pour s’excuser ressemblaient à un « pousse-toi salope » proféré avec haine… Certes je ne m’attendais pas à ce qu’il rédige un tract appelant à l’expulsion des exploiteurs et à la collectivisation de l’entreprise… Mais je fus quelque peu désappointé. Cette histoire, qui date un peu, est toujours restée dans un coin de ma mémoire.

 La force du discours du Front National c’est donc de s’appuyer sur un certain nombre de lieux communs, faciles à admettre, d’autant que finalement il n’y a plus de complexes à avoir puisque la majorité des politiciens et des animateurs de show télévisé, tiennent le même à quelques nuances près. Que le reste du programme s’appuie sur une analyse économique tout aussi délirante qu’incohérente n’a aucune importance. Il ne s’agit pas de cohérence mais de démagogie. L’artisan qui a du mal à assurer la survie de sa petite entreprise est ravi d’entendre que l’on va baisser ses impôts de moitié, relâcher les contrôles fiscaux, lui offrir une mallette gratuite pour transporter ses économies au Lichtenstein et qu’on fera payer l’addition aux Maghrébins qui volent le pain des Français. Point final, on lève les yeux vers le ciel pour admirer le coq sur le clocher de l’église bleu blanc rouge. Tant que l’extrême-droite ne va pas trop loin dans son programme haineux, et tant que l’on ne touche pas aux intérêts majeurs des grands groupes industriels, le grand capital est prêt à recourir à ses bons et loyaux services. Ne jamais oublier qu’Hitler est arrivé au pouvoir de façon tout à fait légale et avec le soutien massif des patrons de la grande industrie comme de la petite. Certes ses gesticulations exagérées l’ont poussé à aller un peu trop loin, ce qui fait que même les pétroliers américains qui l’ont soutenu jusqu’en 43/44 ont fini par le lâcher. On peut lire à ce sujet l’excellent ouvrage « le mythe de la bonne guerre » de Jacques R. Pauwels, publié aux éditions Aden. En général les financiers soutiennent la droite extrême tant qu’ils ont besoin d’elle pour « remettre de l’ordre » dans la population travailleuse. Après, peu importe, on solde. Les « droits de l’homme » reviennent timidement sur le devant de la scène. Le cas Pinochet illustre bien cette théorie. Celui des colonels grecs aussi. Espérons que la population grecque saura réagir intelligemment avant qu’Aube dorée ne lui serve un dessert aussi épicé que moisi.

 Le premier moyen à utiliser pour faire rempart aux arguments simplistes employés par les populistes c’est d’agir sur le terreau même dans lequel leurs idées s’épanouissent. Notre société se caractérise par un appauvrissement plus ou moins rapide des couches sociales les plus démunies ainsi que de la petite bourgeoisie. Elle se caractérise aussi par une destruction rapide de toute forme de lien social, ayant pour conséquences le repli sur soi, l’isolement et l’angoisse. Cela est vrai aussi bien dans les grands ensembles d’habitation que dans les quartiers pavillonnaires, dans les zones rurales comme dans les zones urbaines. Cet isolement enfonce un peu plus les gens dans la misère. Les familles maghrébines résistent un peu mieux à la crise car de nombreux réseaux de solidarité fonctionnent encore : échanges de services, d’adresses pour des approvisionnements moins onéreux… Ce mutualisme est trop souvent absent dans les familles « françaises de souche » auxquelles s’adresse le FN. Ces dernières ont donc une forte impression de disparité de revenus, et jalousent fortement leurs voisins de palier, parfois moins bien lotis, mais mieux organisés. Le discours selon lequel les étrangers volent les services sociaux et roulent en BMW grâce aux allocs surgit souvent dans les discussions. Le frontiste du coin arrive, la bouche en cœur, et n’a plus qu’à déclarer : « nous on se préoccupe de votre sort… Ce ne sont point les grands groupes financiers qui sont responsables de votre misère. D’ailleurs, ils sont inaccessibles. Votre voisin basané est une cible de proximité plus facile à atteindre ! »
Un certain nombre d’études montrent que la reconstruction d’un lien social de proximité permet de limiter l’enracinement du F Haine. Au moment où j’écris ces lignes, je découvre un article fort intéressant paru dans le journal « Le Monde », sur les pratiques municipales dans une petite ville de l’Oise, Feigneux. Plutôt que de paraphraser cet article, je vous invite à en prendre connaissance. Je trouve qu’il illustre fort bien mon propos.

 Le second axe de lutte utile pour contrer la progression des idées de l’extrême-droite dans l’opinion publique se situe au niveau du discours. Il ne faut en aucun cas laisser le terrain libre à aucune forme de propagande et s’opposer systématiquement,  sans concession aucune mais en veillant à se placer dans un registre adapté au champ de préoccupations du public concerné. C’est difficile parfois, je l’admets, car il n’est pas évident de lutter contre la mauvaise foi et les énormités, surtout quand on est habitué à manier le verbe et à tenir des propos philosophiques de salon, domaine dans lequel trop d’écologistes politiques excellent. Je comprends fort bien que certains de mes concitoyens ne soient guère réceptif à un discours sur la décroissance alors qu’ils ne trouvent pas les fonds nécessaires pour assurer une alimentation suffisante et surtout équilibrée à leur famille. Je ne dis pas qu’il « suffit de » trouver les bons mots (je rédige en ce moment une chronique concernant les « Y’a qu’à » alors je ne vais pas tomber dans ce piège-là !). Je dis que démonter c’est la seule méthode pour réparer. Il est contre productif de vouloir jeter l’interlocuteur avec l’eau du bain, de vouloir ridiculiser ses idées, ou de sembler les accepter partiellement pour essayer de les faire évoluer par la suite – pratiques courantes dans la rhétorique politicienne.. La gauche française joue à ce jeu dangereux depuis des années et l’évolution des opinions montre à quel point elle se trompe. Tenir un discours droitiste pour appâter l’électeur de droite et espérer qu’il va se bonifier comme le vin en fût est une utopie. L’électeur de droite (extrême) n’a confiance que dans les politiciens de droite (extrême) pour mener une politique de droite (extrême). Les gesticulations de Sarkozy aux dernières élections ont bien fait rigoler la clique fascisante… Puisque l’on parle d’élections, il est quand même bon de s’arrêter sur le fait que le nombre de votes d’extrême-droite progresse en pourcentage, mais comme le nombre d’abstentions ou de non-inscrits s’accroit également à grande vitesse, on peut se demander sur quelle base les sondeurs sont si tranchés quant aux soutiens populaires engrangés par la fille à papa.

 Le discours est une chose ; la pratique reste essentielle. Il faut aussi recréer les échanges de proximité, la vie de quartier et sortir les gens de leur isolement de plus en plus mortifère. On a moins envie de parquer, d’exclure, de trucider… un être humain que l’on connait personnellement et non en tant que marionnette d’un quelconque fait-divers. Que de fois n’ai-je entendu, dans la bouche d’enseignants ou de parents d’élèves quand je travaillais, cette phrase lourde de sens « oui mais eux ce n’est pas pareil, on les connait ». Dans notre micro-région, le Nord du département de l’Isère où le Front de la Haine obtient des résultats proches de celui énoncé dans le titre de cette chronique, c’est dans les villages où la population immigrée est quasiment absente que les adorateurs de la déesse blonde raciste sont les plus virulents… Cela mérite réflexion, car cela montre que ce sont les rumeurs, les faits-divers montés en mayonnaise, la main tendue des médias au FN qui font le plus de dégâts dans les mentalités. Les réflexes d’entraide, de solidarité, de convivialité ne sont peut-être pas si morts que cela.
Terminons donc sur une petite note d’optimisme : lors des combats menés contre l’expulsion d’une famille étrangère, RESF ne mobilise pas que des intellectuels de gauche ou des militants. Nombre de simples voisins font souvent partie des comités de soutien et cela gêne considérablement les sbires du Ministère de l’Intérieur, que ceux-ci soient les serviteurs d’une officine de droite ou de gauche par ailleurs.

4 Comments so far...

Olivier Says:

17 septembre 2013 at 02:07.

J’avais commencé une longue réponse pour poursuivre dans ton sens, mais telle est la limite du genre : soit on poste un texte (longuement) argumenté, soit on se contente d’approuver d’un petit mot.
Entièrement d’accord avec toi, donc, Paul, quoiqu’il y aurait tellement plus à dire. Un jour, j’étais tellement en colère en lisant des réflexion idiotes qui visaient un gars touchant le RSA que j’ai passé une nuit à pondre une réponse argumentée pour démonter la logique absurde qui tendait à le désigner comme pur profiteur, faignant, tricheur, quasi-voleur, etc. Ses contempteurs en étaient arrivés à la conclusion que, si on versait le RSA à quelqu’un, on devrait contrôler ses moindres dépenses pour vérifier qu’il n’en abusait pas. Sans oublier la litanie sur les hordes de fraudeurs. Je passe les détails, mais avec force chiffres et références aux (trop rares) études sur le sujet, ce maigre effort de pédagogie en a en effet fait réfléchir plus d’un. Non pas qu’ils aient forcément changé d’avis, mais au moins celui-ci était-il moins tranché et haineux.
Reste que la plupart du temps, on a vraiment l’impression de pisser dans un violon et qu’un discours raisonné et raisonnable passe le plus souvent très mal quand les gens se sentent frappés au portefeuille.
@+ Olivier

Paul Says:

17 septembre 2013 at 08:12.

@ Olivier – merci pour ton commentaire fort à propos. L’article mériterait une seconde partie. J’ai centré celui-ci sur les relations entre FHaine et travailleurs immigrés. Il y aurait plus que deux mots à dire sur le discours anti-social, proche de celui du MEDEF d’ailleurs. Haro sur les prestations sociales… La thèse est simpliste mais facile à mémoriser : si on n’assistait plus les fainéants, les étrangers et tous les déviants, on ne paierait plus d’impôts ou presque… Juste quelques miettes pour acheter quelques chars Leclerc et quelques Rafales. Une paille !

Mohamed . Says:

19 octobre 2013 at 22:41.

Vous me faites tous marrer ! Avant la fin de ce siècle, l’ Europe et en particulier, la France, seront sous la domination culturelle de l’Islam. Démographie galopante oblige. C’est mathématique et incontournable.
Il convient de s’y préparer sereinement, c’est tout !…..inch Allah

Paul Says:

20 octobre 2013 at 08:34.

@ Mohamed – Fort étonné que ce message soit passé sans avoir besoin d’être « approuvé ». Soit il s’agit d’un spam, soit de quelqu’un qui s’est déjà manifesté sous une autre identité. En ce qui concerne le contenu, je ne dirai qu’une chose : il est plus que simpliste de résumer l’Europe à la Chrétienté et la culture arabe à l’Islam. Peut-être arrivera-t-il un jour où l’homme ayant enfin atteint l’âge adulte, les cultures pourront coexister et non tenter de se « submerger » les unes les autres. L’auteur semble également ignorer les divergences plus que marquées existant entre les divers courants de l’Islam ! Personnellement, je suis en dehors du match…

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