9mars2023
Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures.
Jacques Poulin, bien sûr… Je vous en ai déjà parlé ! Cet auteur admirable a été mon passage obligé pour découvrir la littérature québecoise. Son ombre plane sur toute une kyrielle d’écrivaines et d’écrivains que je découvre ces derniers temps : Gabrielle Filteau Chiba, Charles Sagalane, Juliana Léveillé-Trudel… Je ne sais quel est l’état de notre belle langue au Québec, mais ces artistes contribuent à la rendre toujours plus belle, plus vivante et, surtout, chargée de poésie. Une découverte à faire sans grands efforts. Je vous invite à me suivre dans mon voyage et j’espère que vous n’en tirerez que ravissement.
Comme préliminaire à tous ces nouveaux auteurs et autrices dont je vais vous parler, j’ai commencé par relire « La tournée d’automne » de Jacques Poulin, pour donner le « la » en quelque sorte. Chez cet auteur, la recette est magique et bien souvent délicieuse. Les ingrédients ? Prenez un fleuve, le Saint-Laurent, une ville, Québec, un invité quasi obligatoire, le chat, un vieil écrivain ronchon, un minibus vrombissant de vitalité et mélangez avec un soupçon de malice… La liste des chefs d’œuvre est longue. « La tournée d’automne », c’est l’un de ceux que j’aurais tendance à mettre en haut de la pile… Quoique « Wolskwagen Blues », « Le vieux chagrin », « Les yeux bleus de Mistassini » aient fort envie de lui disputer cette place. L’attirance que j’avais pour les livres de cet auteur était telle, qu’elle a bloqué pendant des années mon envie de découvrir d’autres signatures. Et il n’en manque pas… Comme dans le domaine du conte ou de la chanson, le Québec n’est pas à la traîne pour ce qui est de la production littéraire et réserve de belles surprises.
J’ai franchi le pas avec Gabrielle Filteau Chiba. J’ai lu avec grand plaisir son « Encabanée », puis « Sauvagines » et j’attends avec une impatience immodérée le troisième opus de cette sorte de trilogie, « Bivouac » que mon complice de lecture, Jérôme, a fait dédicacer pour moi dans une librairie parisienne. Point de Saint Laurent, ni de virée dans les librairies, ni de chats omniprésents dans l’œuvre de Gabrielle. Le décor, c’est, indiscutablement, l’immense forêt canadienne, la faune qu’elle abrite, les cabanes qui s’y blottissent… Mais surtout, les luttes désespérées qu’entreprennent certains courageux pour protéger à tout prix cette splendeur des prédateurs multiples qui la menacent. Un point commun avec Poulin, des personnages qui se croisent et s’entrecroisent, se rencontrent au détour des pages et tentent de nous faire ressentir leur amour du pays. J’ai parlé de « trilogie » au début de ce paragraphe, parce qu’il me semble qu’il faut respecter l’ordre dans lequel je les ai cités pour découvrir ces trois romans, au risque de voir le premier perdre une partie de son charme, si l’on mélange trop les cartes.
« Encabanée » nous permet de découvrir un personnage clé, Anouk, et son combat pour retrouver une vie qui ait plus de sens que celle qu’elle menait auparavant dans la capitale de la Province. Un jour, l’héroïne quitte le confort de sa vie urbaine et s’installe dans une cabane, un ancien refuge forestier en fait, dans le Kamouraska. Elle affronte dans ce lieu difficile les rigueurs de l’hiver au Nord du Québec, et doit faire face, avec ses propres moyens, aux difficultés d’une vie nouvelle qu’il lui faut apprivoiser peu à peu. Au jour le jour, elle partage ses joies, ses malheurs, ses émerveillements, qu’elle note sur un journal de bord plutôt agréable à lire. A l’époque de ma découverte, j’avais trouvé ce volume un peu bref, mais je trouve que la lecture de « Sauvagines » lui a donné tout son sens. Ce deuxième opus reprend d’une certaine façon la thématique du premier, mais le personnage central, Raphaëlle, est cette fois engagé dans un combat, souvent brutal, contre l’un des fléaux qui menace la faune locale, la trappe illégale, le braconnage pour être clair. On approche l’écologie dans « Encabanée » ; l’on s’y plonge dans « Sauvagines ». Un jour, Anouk croise la route de Raphaëlle, et une nouvelle dimension s’ajoute à l’histoire. Je ne vous en dirai pas plus. Je serai moins bavard à propos de « Bivouac » dont j’espère la découverte prochaine. Ce que je sais, simplement, c’est que l’on retrouve les personnages mentionnés dans les deux premiers volumes, ainsi que leur engagement contre un nouveau fléau, le gigantesque gazoduc qui doit traverser, tel une plaie géante, la forêt qu’habitent nos deux écologistes. La lutte est d’une grande envergure, et elles n’en sont plus les rouages isolés. Les communautés autochtones, trop souvent oubliées, sont, elles aussi, engagées dans ce combat.
Du Kamouraska au Nunavik, un grand pas vers le Nord et quelques degrés centigrades en moins. Nous suivons l’écrivaine Juliana Léveillé-Trudel dans son périple au pays des inuits. J’ai découvert deux romans de sa plume. Le premier dans l’ordre chronologique s’intitule « Nirliit » (disponible chez Folio) ; le second volume, avec toujours le même personnage central, « On a tout l’automne » aux éditions « La Peuplade ». Les deux se déroulent au Nunavik, dans le petit village de Salluit, pendant l’été. Au Nunavik, nous nous rapprochons du cercle polaire (62ème parallèle) et, pendant cette période, le soleil brille presque toute la journée, ce qui crée une ambiance très singulière. Il se trouve que j’ai lu ces deux histoires dans le désordre et, finalement, je trouve que c’est un bon choix. « Nirliit » est un cri de colère continu et son approche n’est pas évidente. On respire un peu plus en lisant « On a tout l’automne », notamment parce qu’une part non négligeable du récit est consacrée à une réflexion sur la langue des Inuits. Celle-ci fait largement usage de mots valises très allusifs et surprenants pour notre logique. Je vous donne un exemple : pour parler d’une feuille de papier, on la compare à la fine pellicule de glace qui se forme à la surface de l’eau lorsqu’elle gèle. C’est très poétique et un peu ludique aussi. Malheureusement, l’usage de cette langue se perd. On considère comme « naturel » le fait que les autochtones apprennent l’Anglais ou le Français ; en retour, peu de « Blancs » font l’effort de s’initier au parler local comme tente de le faire la narratrice. Il faut dire que c’est une langue extrêmement difficile.
Chaque année, le personnage central de ces deux livres quitte Montréal à la saison estivale pour se rendre dans le petit village de Salluit en tant qu’animatrice sociale, chargée de s’occuper des enfants de la communauté. Au fil du temps, elle noue de plus en plus de relations avec les membres de la communauté, notamment les plus jeunes. Dans les deux volumes, il s’agit avant tout d’une chronique de la vie quotidienne dans un village où le chômage, la perte des repères, la drogue et l’alcoolisme font des ravages. La violence est un fait quotidien ; Salluit est pourtant considéré comme un village relativement « privilégié » par rapport à d’autres. Le chômage est massif et la plupart des familles survivent avec l’équivalent local du RSA ; en complément, la société minière verse une indemnité à chacun des membres de la collectivité, pour compenser le préjudice subi à cause de la présence d’une exploitation sur le territoire communautaire. Sombre tableau, certes, mais ne vous trompez pas cependant, nous sommes loin d’un récit misérabiliste. La narratrice apprécie beaucoup la beauté des paysages et grâce à des descriptions somptueuses, tente de nous la faire partager. Mais le poids du quotidien est là, sans cesse, et, la plonge dans un désespoir qui se traduit par une alternance de colère et de découragement.
Le drame commence dès le début de « Nirliit ». Eva, sa collègue, son amie, celle qu’elle retrouve tous les étés, a disparu. Son corps a sans doute été jeté dans le fjord et n’a pas été retrouvé. Il s’agit certainement d’un acte criminel tant les règlements de compte sont nombreux. Cela ne semble inquiéter personne ; l’enquête des services de police n’a abouti à rien. Tant de morts, de disparitions inexpliquées, la vie humaine a finalement peu de prix, dans cet environnement hostile, sauf pour la narratrice…
« Je ne peux demander à personne parce que personne ne voudra me répondre, c’est votre drame, je n’ai pas à mettre mon gros nez de Blanche dedans, vous n’aimez pas qu’on se mêle de vos affaires, mais je voudrais juste dire s’il vous plaît, je l’aimais moi aussi, s’il vous plaît, expliquez-moi pourquoi je ne la verrai plus. »
A travers le portrait d’Eva, Juliana Léveillé-Trudel nous parle des autres membres de cette communauté : des enfants que l’on conçoit puis qu’on abandonne plus ou moins aux bons soins des grands mères ou de la communauté, femmes, consentantes ou non, qui passent de bras en bras, travailleurs saisonniers cherchant à compenser leur isolement en nouant des relations éphémères… L’alcoolisme, les viols, les mauvais traitements constituent une bonne part de la vie quotidienne et alimentent la colère de notre animatrice dépourvue de moyens pour agir sur cette catastrophe sociale. Un rôle difficile, qu’elle analyse bien par ailleurs : qui est-elle, quels sont ses droits pour apporter la « bonne parole » à une collectivité en perdition ? Ce peuple que l’on a déplacé au fil des besoins de l’administration et des grands chantiers et que l’on a réduit à une vie sous assistance matérielle continuelle faute de perspective à lui offrir, et que l’on voudrait maintenant ramener dans le droit chemin à coup de grands discours moralisateurs… L’histoire d’Eva sert de support à la première partie du livre. En deuxième partie, l’autrice s’intéresse à un personnage masculin, Elijah, totalement dévasté parce que la femme qu’il aime passe l’été dans les bras d’un autre homme, un Blanc, travailleur saisonnier venu compléter ses revenus dans le grand Nord.
« On a tout l’automne » nous permet de retrouver le village de Salluit quelques années plus tard et d’observer comment la communauté a évolué. Ce n’est guère optimiste, mais le témoignage de l’auteur se fait sans doute plus nuancé, et accorde une large place à son amour pour cette contrée où la vie est si difficile. Les enfants ont grandi et sont maintenant des adolescents rêvant d’une autre vie que celle que leur offre leur terre glacée. Avec certains, le contact est facile et des brouettées de souvenirs remontent à la surface. Il y en a d’autres qui se sont renfermés sur eux-mêmes et qu’il faut à nouveau apprivoiser. De belles tranches de vie, marquées aussi par les humeurs de la narratrice. Elle a laissé un « chum » à Montréal, un homme pour qui elle a de l’estime mais qui peine à vouloir s’engager dans un itinéraire de vie commune… De nouveaux bonheurs, de nouveaux drames viennent pimenter ce récit, appréciable par dessus tout par la chaleur humaine qui s’en dégage. Juliana Léveillé-Trudeau nous fait ressentir très fortement ses émotions et dresse un portrait éblouissant de cette contrée qu’elle admire tant et à sa lumière à nulle autre pareille.
Je termine par un ouvrage un peu moins difficile d’abord. Dans son livre, une histoire vraie, « Journal d’un bibliothécaire de survie », publié également aux éditions La Peuplade, Charles Sagalane nous invite à le suivre dans l’exécution du projet plutôt délirant qu’il a conçu : installer des bibliothèques d’ouvrages à lire dans les endroits les plus sauvages et les plus reculés possibles. Son long périple part du Lac Saint Jean et de la rivière Saguenay et l’amène à explorer la Gaspésie ainsi que d’autres régions francophones au Canada et dans le Sud des Etats-Unis. Ce « road movie » littéraire en plusieurs épisodes (il a fallu des années pour constituer peu à peu le réseau) nous permet de découvrir une foule d’écrivaines et d’écrivains francophones, des poètes, des créateurs originaux, en bref un vaste mouvement artistique dont je pense que nous sous estimons l’importance de ce côté-ci de l’Océan. L’auteur souhaite que chaque bibliothèque portative qu’il installe ait, en quelque sorte, un parrain ou une marraine, chargé•e de veiller à sa maintenance. Juliana Léveillé-Trudel fait d’ailleurs partie des écrivaines croisées au fil de ce récit.
Le climat du Québec n’est pas celui de l’Espagne et si l’on veut que les livres restent en état pendant quelques temps sur les îles du Nord par exemple, mieux vaut qu’ils soient quelque peu protégés. Charles Sagalane lui-même, veille à la bonne tenue de certaines de ses bibliothèques, à l’occasion des randonnées multiples qu’il effectue dans sa contrée d’origine. On découvre ainsi des endroits aux noms fort sympathiques : on comprend tout à fait que l’île aux fesses, les îles des Cauchon, l’île aux poires ou les îles des béliers aient besoin d’un espace culturel de survie ! Ses visites imprévues lui laissent parfois de belles surprises comme les annotations que certains visiteurs laissent à la fin des livres. Lorsque ceux-ci sont trop endommagés par les intempéries, il les collecte et constitue, chez lui, une sorte de musée d’épaves littéraires ! Un récit très intéressant, parfois émouvant, permettant de faire connaissance en parallèle avec des artistes créatifs et des personnages inspirants. Cela m’a donné envie de découvrir d’autres écrits de cet auteur prolifique.
Toutes ces lectures ont ravivé aussi mes envies de voyage de l’autre côté de l’Atlantique, mais ceci est une toute autre histoire!
13février2023
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....

Chemins trop humides, ciel bien gris, fatigue sous-jacente… L’envie nous prend parfois de renoncer à nos chemins forestiers bien aimés… En hiver, la montagne n’est guère accueillante pour ceux qui ne sont pas inspirés par les randonnées en raquettes ou à skis. Il nous faut alors trouver des solutions de repli afin de pourvoir à notre besoin quotidien d’air pur et d’exercice tranquille. Les bords du Rhône, grâce à la ViaRhôna constituent l’une de ces échappatoires bienvenues, et nous nous y réfugions assez souvent pendant la saison froide. Quelques kilomètre vite parcourus avec la voiture et nous voilà rendus aux stationnements des ponts de Groslée ou d’Evieu. Que ce soit de l’une des destinations ou de l’autre, nous remontons le plus souvent le fleuve à contrecourant. Les deux promenades se ressemblent, ne seraient-ce qu’à cause des aménagements. La présence du Rhône et de son courant impétueux assure aussi la continuité.
Les aménagements du Rhône sont très anciens. Cordon, troisième pont en amont de chez nous, aurait été un point de franchissement du fleuve dès le Néolithique. Les ports étaient nombreux mais n’ont laissé que peu de vestiges. Il existe encore des piles, souvenir des nombreuses trailles (câbles suspendus en travers du fleuve) qui servaient de guidage aux bacs (**). De nos jours, les finalités de ces aménagements ont bien changé ! Priorité à la production d’énergie et aux loisirs. La Compagnie Nationale du Rhône a construit de nombreux barrages hydroélectriques, accompagnés de canaux, d’écluses et de digues. La ViaRhôna profite de ces aménagements. La piste cyclable utilise la grande digue sur une partie de sa trajectoire. Elle est accompagnée d’espaces de loisirs : aires à piquenique ou panneaux informatifs. Autrefois les aménagements étaient conçus en fonction des besoins quotidiens : embarcadères pour les pêcheurs, digues et chenaux pour les Rigues (*) qui transportaient les pierres et autres marchandises, quelques gués et surtout des bacs à traille pour faire passer d’une rive à l’autre passagers et ballots de fournitures diverses. Des vestiges de cette vie ancienne subsistent, mais ils n’ont plus d’intérêt actuel que comme illustration d’activités abandonnées pour informer et/ou distraire les touristes.
Dans le secteur qui nous intéresse les lônes (bras du fleuve) sont nombreuses, et délimitent une multitude d’îles et d’îlots. Ce réseau complexe, aujourd’hui bien simplifié, avait pour mérite de réduire de façon naturelle le côté fougueux de ce fleuve agité. Il permettait aussi d’épancher les fortes crues, régulières en période de fonte des neiges ou de pluviométrie surabondante. Depuis un siècle, le fleuve a été sévèrement encadré. Les premiers aménagements, tels les rectifications de berges ou la création de canaux bien droit, avait eu pour défaut le fait d’accélérer le courant et de rendre les crues plus violentes. Depuis quelques décennies, il a fallu faire en partie machine arrière et mettre en place de nouveaux dispositifs permettant des variations moins brutales du débit. Lorsque l’on avance sur la ViaRhôna entre Groslée et Evieu, on peut voir une illustration de mon propos. Un système de canaux et de portes a été mise en place, permettant une circulation réversible de l’eau. L’excédent charrié par le fleuve, en période de hautes eaux, peut être entraîné, de manière plus ou moins contrôlée vers les campagnes avoisinantes. En période calme, le fleuve effectue son travail de collecte et de drainage de ses berges, permettant une baisse relative des nappes phréatiques et rendant le travail agricole possible. Si l’on prolonge l’exploration sur les deux rives, on s’aperçoit que de tels dispositifs existent en plusieurs lieux. L’inondation est ainsi plus facilement contrôlable et moins fréquente qu’autrefois. Revers de la médaille, elle est aussi plus rapide et plus importante, lorsqu’elle a lieu. Il n’y a plus d’inondations à Lyon ; il y en a encore dans nos campagnes…
J’apprécie beaucoup ces promenades tranquilles. Le fleuve crée une animation constante, et il y a toujours des observations inédites à faire : niveau de l’eau, objets portés dans le courant, présence ou absence des colonies de cygnes, signes divers d’activité des nombreux représentants de la faune peuplant l’espace fluvial. Les berges ont un côté artificiel à cause des nombreux terrassements qui ont été réalisés, mais le fleuve lui-même a gardé son côté sauvage et son aspect change à chaque nouvelle visite. La présence des lônes et des ilots pousse aussi à la rêverie. C’est le propre des espaces plus ou moins cachés, inhabités, sauvages, que de permettre d’imaginer quelques instantanés d’une vie de Robinson. Il faut saisir ces moments fugitifs, car le retour à la réalité est souvent rapide, si ce n’est brutal. Nous avons aussi nos repères comme cette barque rouge arrimée non loin du pilier signalant la présence d’une traille. Un chemin quitte la piste cyclable et permet de suivre un ancien lit que le fleuve a abandonné, le méandre du Saugey. Ce changement de tracé est relativement récent puisqu’il a modifié certaines données administratives. La superficie de terre incluse dans le méandre situé côté Ain, fait toujours partie du département de l’Isère sur l’autre rive du fleuve… Le Rhône ancien n’avait aucun respect pour les frontières établies par les politiques !
Deux poules d’eau se disputent et semblent fort en colère… Drame conjugal, pitance difficile à partager, conflit entre mâles outragés ? Deux arbres fraichement coupés sur le bord du canal : quelle idée à bien pu saisir un bûcheron de s’amuser à transformer l’extrémité de sa bûche en pointe de crayon ? L’homme n’a pas le temps de s’amuser, mais le castor, lui, aime le travail bien fignolé. Un barrage non agréé par la Compagnie Nationale du Rhône serait-il en cours de construction ? Nous croisons un cygne isolé, bien éloigné de ses consœurs et confrères qui préfèrent évoluer au soleil vers l’autre rive. Pourtant, son plumage est aussi blanc que celui du reste de la compagnie. Son exclusion est-elle choisie, volontaire, ou bien s’agit-il d’un hors-la-loi refusant de se plier aux règles de la tribu, un vilain cygne non vacciné que son chef de clan a décidé de punir ? Si l’on veut bien se prêter au jeu, tous les cent mètres, l’imagination a de nouvelles raisons de dériver et des histoires improbables font surface au milieu des remous du tumultueux cours d’eau. Les images qui défilent évoquent plus « Robinson Crusoë » que Pirates des Caraïbes… On peut aussi se contenter d’observer les nombreux humains que l’on croise, à pied, en trottinette ou en vélo. Par chance, les engins propulsés par des moteurs de tronçonneuse qui polluent certaines de nos forêts sont ici interdits. Le contexte est suffisamment riche pour se lancer dans une réflexion plus ou moins bougonne sur l’état de l’humanité.
Parfois, l’envie me prend de faire des comparaisons. Je me suis déjà promené au bord de la Loire par exemple et je trouve que les deux fleuves ne se ressemblent guère. A deux pas de chez nous, le Rhône reste un fleuve de montagne, même si les hommes ont multiplié les efforts pour lui briser les reins et le domestiquer. Il faut voir la vitesse à laquelle il est capable de charrier un tronc d’arbre lorsqu’il est à son débit maximum en période de fonte des neiges par exemple. Michelet compare le Rhône à « un taureau furieux descendu des Alpes et qui court à la mer »… Il n’avait pas tort, même si cela reste plus vrai en amont de son cours.
Les termes de langueur ou de paresse qui viennent à l’esprit lorsque l’on observe la Loire s’étalant au milieu de sa plaine, ne peuvent en aucun cas s’appliquer à notre Rhône régional. Je peine d’ailleurs à imaginer à quoi il pouvait ressembler avant qu’on le musèle avec tous ces aménagements. Pour en avoir lu plusieurs récits, je sais que le transport des pierres du Haut-Bugey jusqu’à la métropole lyonnaise constituait un véritable défi pour les marins qui embarquaient sur les Rigues (*) lourdement chargées. Les courants étaient particulièrement traitres, et il était quasiment impossible de redresser un esquif qui se mettait en travers. Les rapides se succédaient et les pilotes de chaque bateau devaient faire preuve d’une connaissance exceptionnelle du lit du fleuve pour acheminer leur marchandise à bon port. Les naufrages étaient fréquents et peu de marins survivaient lorsqu’ils se retrouvaient « au bouillon ». De nombreux édifices lyonnais doivent leur existence au courage de ces hommes. Malgré l’existence de chemins de halage, il était rare que les Rigues soient ramenées à leur point de départ. Il était plus rentable de les démonter et de les vendre comme bois d’œuvre aux entrepreneurs de la grande ville.
Habiter sur les berges du Rhône n’était pas chose facile autrefois. Dépendre des humeurs du fleuve pour sa survie économique encore moins. La vie du promeneur nonchalant que je suis est heureusement plus simple. De belles journées ensoleillées se profilent à l’horizon en ce mois de février. Les prémices du printemps s’annoncent aux observateurs attentifs. Nous allons sans doute commettre quelques infidélités à nos visites au bord du fleuve. D’autres lieux enchanteurs nous attendent. Peut-être reviendrons-nous bientôt sur la ViaRhôna mais en vélo cette fois !
(*) J’ai consacré un billet à ces mystérieuses Rigues. Je vous incite à vous y reporter si vous souhaitez étancher votre curiosité.
(**) Si la question vous intéresse je vous recommande de consulter ce site, très complet.

1février2023
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....
Cela ne m’était jamais arrivé à ce jour. C’est maintenant chose faite. Quand je parle de repas dans une librairie, je ne parle pas de pause thé ou café, ni de tartelette dégustée sur un comptoir, comme l’ont fait (ou le font encore ?) certaines librairies de notre région. Il existe aussi des établissements qui portent d’origine une double casquette, notamment en Bretagne. Quelques exemples me reviennent en mémoire. Nous avons fait un tour, il y a quelques années à « La déferlante » à Morlaix, librairie-café où l’on peut déguster de succulents petits plats… « Raconte moi la Terre » à Lyon propose plats du jour et jus de fruits divers. Je sais aussi qu’il y a une librairie tartinerie à Sarrant dans le Gers. Mais ces établissements affichent leur particularité dès le départ. Ce n’est pas le cas pour la librairie lyonnaise où nous nous sommes rendus, « La Virevolte ». Sa vocation première est de vendre des livres. La transformation occasionnelle en salle de restaurant nécessite donc de bouleverser quelque peu le décor habituel !
Les deux animateurs du lieu, Sophie et Martin (leur troisième complice, Olivier, était absent), ont décidé d’expérimenter le concept de « dîner débat » dans un espace improvisé. Les derniers clients partis, il faut déménager une partie des livres exposés et dresser la table au sens médiéval du terme. Le local n’est pas bien vaste et une quinzaine de participants sont attendus ; il faut donc faire de la place et ce n’est pas chose facile bien que ce soit fait de façon rapide et efficace par les deux complices à l’origine de cette idée.
Je vous rassure tout de suite. Il ne s’agit pas d’un banquet gargantuesque où les convives abondamment abreuvés risquent de rouler sous la table. La tenue de la clientèle et des maîtres des lieux est exemplaire, et il y a peu de chance que les verres volent dans toutes les directions ou que la sauce des rôtis n’éclabousse les gloires littéraires de la rentrée de Janvier. Comme il s’agit de discuter en mangeant, le repas ressemble plutôt à un pique-nique avec une abondante assiette de mets variés genre « tapas » ou buffet végétarien.
Mais, me direz-vous, on nous appâte avec la littérature et on ne parle que de nourriture ! Il serait peut-être temps de dévoiler qui étaient le ou les invités de cet événement et de quel sujet nous avons débattu ? C’est vrai que ma présentation manque un peu de sérieux et qu’il eut été plus opportun de parler belles lettres d’abord puis arts de la table dans un second temps. De même que j’ai tenu à faire la surprise de ma présence à la personne que j’allais rencontrer, me gardant bien de dévoiler dans nos échanges de courriels mon intention de monter à Lyon avec ma compagne pour cette occasion. Même traitement pour mon lectorat : j’ai préféré vous laisser mariner un peu avant de vous révéler l’identité des invités. Mais si je veux conserver votre attention, il faut bien que je lève le rideau…
J’ai eu le plaisir de rencontrer pour la première fois, en présenciel (comme on dit maintenant dans les lieux branchés), Joël Cornuault et sa compagne. Quant à l’appât utilisé en complément pour me ferrer et m’obliger à me rendre à cette soirée, eh bien il s’agissait d’un échange sur les écrits de David Henri Thoreau et d’un certain nombre d’écrivains étatsuniens de cette époque sur lesquels Joël a travaillé. Il a notamment traduit des œuvres de Rexroth ou de Burrough. Son étude sur Thoreau, intitulée « Thoreau, dandy crotté » se démarque de nombre d’études publiées sur le même sujet.
Joël Cornuault a décidé de prendre le contrepied de tous ceux qui veulent transformer le philosophe américain en « père de l’écologie, théoricien de l’anarchisme, ou précurseur de ceci ou de cela ». Il a choisi de nous présenter sa propre vision d’un écrivain naturaliste qu’il connait plutôt bien. L’exposé sur la vision que l’on peut avoir de Thoreau fournissait donc la matière pour introduire le débat. Une discussion intéressante et un point de vue original ne suscitant que peu d’opposition. Rappel intéressant sur le fait qu’au XIXème siècle, période à laquelle a écrit Thoreau, le terme d’écologie n’existait pas ; complément intéressant aussi sur les lacunes que cette volonté de classification a entrainées dans la manière d’apprécier l’apport de cet auteur dans divers domaines tels que l’humanisme ou la poésie. Joël a rappelé la poésie qu’expriment les premières pages de Walden, et déploré qu’une lecture trop analytique a conduit certains chantres de Thoreau à des approximations dans l’interprétation de ses propos. Un discours quelque peu iconoclaste. Comme Joël me l’a dit lui même : « Je signerais plutôt » un prolétaire » ou « un simple passant », par provoc et toujours aussi agacé par la confusion faite entre monde intellectuel (et la bohème, alors ?) et université ; entre penseurs indépendants et « experts » à longueur d’émissions de radio et de TV.»
« Thoreau, dandy crotté » n’a pas eu le succès qu’il méritait à mon avis.
Parmi les personnalités évoquées, bien entendu, figurait aussi Elisée Reclus. Je vous rappelle que Joël Cornuault a écrit trois ouvrages sur mon géographe anarchiste préféré et qu’il a aussi rédigé plusieurs préfaces à des livres sur Reclus proposés par d’autres écrivains (l’introduction à « Histoire d’un ruisseau » publié chez Actes Sud notamment). Pendant de nombreuses années il a été aussi responsable des « cahiers Elisée Reclus » dont la publication est interrompue. Ces fascicules sont malheureusement difficiles à trouver, mais fort intéressants à lire.
Cette rencontre a été l’occasion pour moi de replonger le nez dans ma bibliothèque. J’en ai profité pour relire «Thoreau, dandy crotté » et pour en apprécier la lucidité. La discussion était fort bien menée par le maître de cérémonie, Martin ; les digressions ont été nombreuses et enrichissantes. L’œuvre d’auteurs comme Morris ou Rexroth a été brièvement évoquée. Joël Cornuault a pu aussi parler, avec beaucoup de modestie, de sa propre carrière et de son parcours varié dans le milieu de la librairie et de l’édition. Je n’ai regretté qu’une chose, c’est de ne pas prendre quelques notes, mais lorsque je suis pris dans une discussion, j’ai bien du mal à faire un pas de côté. Je savais aussi que dans nos futurs échanges, je pourrai compléter mes lacunes nombreuses dans ce domaine littéraire qui m’intéresse de plus en plus. J’aurais aimé aussi parler, avec l’auteur, de ses propres créations dont j’apprécie la diversité. C’est le problème quand il faut satisfaire ses papilles en plus de faire « ronronner ses neurones » !
Alors, au final, satisfait ? Oui, tout à fait… Mon seul regret c’est la brièveté de nos échanges… Mais j’ai le ferme espoir que d’autres occasions de « papoter » ensemble se présenteront. Nous avons dû abandonner le champ de bataille assez tôt. Je ne suis plus guère enthousiaste pour les soirées à rallonge et l’idée de me coucher des heures après les poules m’inquiète toujours… Un grand merci en tout cas pour les joyeux lurons de « la Virevolte » d’avoir su créer les conditions idéales pour une si belle première rencontre.
19janvier2023
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....
Lorsque notre rame ICE s’arrête en grinçant sur les quais de la gare centrale de Brême, cela fait déjà quatre heures que nous naviguons dans l’obscurité. Nous n’avons aucune idée du paysage dans lequel se situe la grosse boule de lumière qui va nous servir de refuge pendant une petite semaine. On a un peu la sensation de descendre d’avion dans un aéroport lointain. Avant d’atterrir, de jour, à Montréal, nous avions une idée globale du décor dans lequel nous allions évoluer. La nuit noire, ainsi que les vitres assez boueuses de notre wagon, ne nous ont permis aucune observation. Les images que nous avions en tête nous permettaient certes de prévoir que nous n’étions ni au pied des Pyrénées, ni ceinturés par le désert de Gobi… A cinquante kilomètres des côtes de la Mer du Nord, on ne s’attend pas à un décor très montagneux non plus.
La fatigue s’est accumulée et le premier regard que nous jetons sur la ville est plutôt distrait. De larges avenues, d’innombrables voies réservées aux vélos, aux piétons, aux trams. La vie nocturne semble très limitée et on ne sait trop ce que cherchent les rares piétons déambulant sur les trottoirs. L’accès à la chambre que nous avons réservée se fait grâce à une serrure électronique, et notre esprit est largement occupé par la résolution de ce problème angoissant auquel nous ne sommes guère accoutumés. Notre dernier séjour de vacances, c’était un gîte des plus conviviaux où nous étions accueillis, selon les convenances, par une créature aussi souriante que dévouée. Je réalise que la ville, ainsi qu’une certaine forme de modernité technicisée, ne semble plus faite pour nous. Mais il faut parfois se confronter à une problématique inhabituelle, histoire de stimuler les neurones, si l’on veut que les voyages forment aussi la vieillesse. Quelques menues énigmes résolues, nous nous vautrons sur un couchage confortable, décidant de remettre à demain la recherche d’une réponse aux questions qui n’en ont encore point.
J’ai la tentation de penser qu’il aurait mieux valu que les quatre animaux musiciens du conte des frères Grimm choisissent la montagne de Lure comme terrain d’aventure et deviennent emblématiques de Manosque ou de Forcalquier. Mais il faut se rendre à l’évidence : Giono n’avait pas de frère et, s’il s’est intéressé au folklore de Provence, il n’a point rédigé de contes pour les enfants. De surcroit, dans mon sac de motivations, il n’y avait pas que ce conte classique de la littérature enfantine ; il y avait aussi l’envie de découvrir une ville allemande moyenne et les singularités du mode de vie de ses habitants. La faute à une exposition prolongée à l’émission franco-allemande Karambolage sur ARTE. A quoi ressemble la vie d’un citoyen du Land de Brême (l’un des plus petits d’Allemagne) à l’orée de ce siècle.
Le lit était confortable, effectivement ; le quartier calme… Nous n’étions ni à Marseille, ni à Palerme. Le lendemain matin nous nous sommes levés, reposés, bon pied, bon œil. L’âne, le chien, le chat et le coq avaient bien fait leur travail et les brigands, enfuis dans une lointaine campagne, ne s’étaient pas manifestés. Une remarque au passage : si vous ne vous souvenez plus de ce conte, c’est l’occasion de le relire. Pour une fois que la morale d’une histoire n’est pas trop conventionnelle et que l’on met en exergue les problèmes de la migration et les vertus de l’entraide, cela vaut le détour.
Après avoir bu un café et mangé une délicieuse viennoiserie, nous étions en pleine forme pour aborder notre dure existence de touristes investigateurs, et pour nous lancer à la découverte de la vieille ville. Je ne vous conterai pas le détail de nos aventures. Vous trouverez un témoignage beaucoup plus complet de notre séjour sur le blog de ma compagne. Ne manquez pas d’aller y faire un tour : un simple clic suffit et le voyage se fait en quelques minutes.
Non, moi, ce que je veux partager avec vous ce sont quelques menues observations sur la vie en ville, au XXIème siècle, pour des ruraux endurcis, ainsi que quelques moments singuliers que nous avons vécus. A travers notre voyage ferroviaire, mais aussi de quelques incidents s’étant produits pendant nos errances, l’une des conclusions que j’ai tirées c’est que la véritable aventure de ce siècle, ce n’est point de partir en pirogue ou d’aller dans une île peuplée d’anthropophages. Non. Le comportement à risque maximum, c’est de vouloir voyager sans disposer de cet objet biblique incontournable qu’est le smartphone. J’aurais dû me rendre à cette évidence depuis longtemps. Ce n’est pas sans raison, et ce aussi bien en Allemagne, en France ou en Italie, que le principal accessoire que transportent les autochtones, aussi bien dans la rue que dans le train ou encore sur la confortable banquette où ils déclarent leur passion à leur dernière rencontre, ne peuvent plus se passer de cet accessoire. A quoi ressemble une large proportion des créatures que vous avez croisées ? Un masque pour le Covid, un jean déchiré pour la ventilation, mais surtout un petit boitier magique que l’on accroche à son manteau, ou que l’on pose à côté de la fourchette et du couteau sur la table de restaurant. Lorsque le totem est dissimulé, son existence est trahie par la présence d’un macaroni blanc sortant de l’oreille de son porteur… Il y a belle lurette que je ne m’étonne plus des propos délirants que peuvent tenir mes contemporains marchant seuls dans la rue.
Je pourrais écrire des lignes et des lignes de propos moqueurs à ce sujet. Je ne le ferai pas parce que ce dernier voyage m’a appris l’humilité et que d’autres paroles ironiques pourraient répondre aux miennes au sujet du temps perdu en raison de notre sous équipement volontaire. Certains nous ont observés, nus, sans connexion 24 h sur 24 à la toile mondiale, et en rient encore. Les plus gentils d’entre-eux nous ont simplement pris en pitié. Je pense, entre autres, en disant cela, à cette charmante contrôleuse de la SNCF qui est restée béate d’admiration en découvrant que nous partions dans un pays étranger dont nous ne parlions pas la langue et sans smartphone, à nos âges canoniques. Son aide a été précieuse pour se démêler de l’imbroglio de correspondances ratées et d’itinéraires improvisés auquel nous avons été confrontés, en raison du manque de fiabilité des compagnies ferroviaires.
Pour en revenir à Brême, je pense que la vie dans la région était plus simple au temps des frères Grimm et que les animaux ont pu se sortir de l’impasse dans laquelle ils étaient enfermés, sans faire appel à Google et à Facebook. Notez bien que nous aussi, puisque nous sommes rentrés vivants et dans les délais prévus ! Je trouve finalement que nous nous sommes débrouillés comme des chefs et que nous avons pu profiter largement de cette ville sympathique, de ses nombreux musées et de ses parcs de promenade.
En ce qui concerne les espaces verts je dois reconnaître honnêtement que le fond de l’air était frais et humide et que nous n’en avons pas bénéficié autant que mérité. Des quatre grands musées que nous avons arpentés, j’ai eu un coup de cœur pour le « Focke Museum», musée dédié à la ville de Brême examinée sous toutes les coutures (histoire, art, industrie, vie quotidienne…). Deux choses m’ont particulièrement séduit : des collections très variées, avec parfois un côté foire à la brocante bien rangée, d’une part ; la gentillesse du guide, d’origine grecque, qui nous a accompagnés pendant une heure et demie, de sa propre initiative. Il nous a fait découvrir quelques merveilles cachées dans les recoins. Je me contenterai de vous en signaler une : il y a au moins deux tableaux, exposés dans une salle, présentant un défilé de personnages en costumes médiévaux, à l’occasion d’une cérémonie sur la place du marché de Brême. Sur ces deux tableaux, peints au moins deux siècles avant la naissance des frères Grimm, on observe, en tête de cortège, quatre musiciens portant des masques d’animaux et jouant d’un instrument de musique…
Cette découverte m’a permis de rentrer l’âme sereine. Notre voyage étant lié, au départ, à cette histoire d’animaux musiciens, nous avons peut-être bien résolu une énigme essentielle pour les aventuriers singuliers que nous sommes et ce, grâce à la bienveillance de notre hôte. Les écrivains, même talentueux, ne font jamais que réécrire une fois de plus des histoires que d’autres ont déjà contées avant eux. Le lien entre les contes de Grimm et ceux de Charles Perrault en témoigne. Les gribouillis de l’auteur de ces chroniques également !

3janvier2023
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....
On remet ça comme en 2022, 2021, 2020… Un p’tit coup de blanc à la bonne année et les meilleurs vœux du taulier… Pour 2023 semble-t-il, à moins que l’on ne dise maintenant An VI de la Macronie. Si c’est le cas, pardonnez mon ignorance, je ne prête pas attention à tous les délires du chef suprême.

Faites la liste de tout ce que vous souhaitez ; ce que je peux dire c’est que je vous l’offre de bon cœur mais que mes pouvoirs sont malheureusement assez limités. Heureusement qu’il y a des choses comme l’amitié, l’entraide, le partage qui ne coûtent rien ou pas grand chose et qui donnent un sens bien réel à notre vie quotidienne.
En ce qui concerne notre chère société globalisée, je vais me limiter à quelques pistes raisonnables…, le plus prudent étant, en résumé, de souhaiter que la situation n’empire pas ! Sur le plan social, nos gouvernants ont les dents longues. Il faut dire que leurs potes fortunés leur mettent la pression… Les luttes vont être difficiles, d’autant que de plus en plus d’acteurs de ces luttes sont soit démobilisés, soit entrain d’élaborer des plans B, C ou D, de repli sur des positions préparées de longue date.
J’aimerais aussi que la Faucheuse arrête de faire disparaître n’importe qui (en disant cela je pense – entre autres mais pas que – à l’excellentissime chanteur Michel Bühler). S’il lui faut une liste de victimes potentielles pour satisfaire sa voracité, j’en ai une toute prête, pour le plus grand bien de l’humanité et je suis prêt à la lui communiquer ! Ces dernières années ont été pour nous celles des investissements solidaires, dans la limite de nos possibilités, et je souhaite voir avancer les travaux et les projets de Terre de Liens, d’Enercoop, de Railcoop, de Solarcoop… et autres coopératives de l’économie sociale. Ils ne constituent pas LA solution mais UNE qu’il ne faut pas négliger.
En ce qui vous concerne, vous, chères lectrices et lecteurs, que du bon pour vous et pour vos proches ! Que dans les mois à venir vous fassiez de belles rencontres et que la toile d’amitié dans laquelle on loge si bien devienne plus grande et plus serrée encore autour de vous… Ça c’est important, parce que pour être solide, pour porter de beaux projets, il faut disposer de nombreux points d’appuis. Donner et recevoir, partager et être comblé, renforcer son énergie en allant chercher celle des autres, leur offrir notre propre lumière. «La liberté des autres étend la mienne à l’infini» comme le professait Michel Bakounine, révolutionnaire d’un autre siècle. Réfléchissez-y un peu : c’est beaucoup plus intelligent que l’adage commun «Ma liberté s’arrête…».
A bientôt (sans engagement de ma part va de soi).
17décembre2022
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; philosophie à deux balles.

Petit retour en arrière, un matin de novembre… Le jardin porte les marques des premières froidures hivernales. Quelques plantes semblent moins fringantes, un peu affaissées, fatiguées par leur vivacité antérieure quelque peu prolongée par les chaleurs automnales. Cette arrivée de la fraicheur est une chose parfaitement normale, mais, cette année, nous aussi avons été sensibles à la clémence de l’arrière saison. Nous avons été piégés, mais tout à fait consentants à l’idée que tout cela allait durer des semaines encore. Retour un peu rapide à la réalité.
Mon corps et mon esprit aiment la chaleur douce des rayons du soleil à l’automne et au printemps. Mes articulations grincent moins tant qu’elles ne sont pas soumises à des vagues d’humidité insidieuses. Mon cerveau, lui, fourmille d’idées amusantes lorsqu’il bénéficie encore des rayons du soleil. Notre chatte en profite pour lézarder encore plus et elle me donne l’impression d’avoir tout compris à la vie.
Je ramasse quelques beaux légumes pour le repas de midi, mais je ne cherche pas à prolonger mon séjour, à baguenauder dans le parc comme j’aime le faire ; je trouve la réalité matinale un peu ingrate. Rien qu’un petit détail : laver ses mains pleines de terre à l’eau courante ne procure pas le même bonheur que lorsque les brûlures du soleil sont apaisées par la fraicheur. L’eau froide est particulièrement mordante ce matin. Les poireaux sont vite rincés.
En retournant tranquillement vers la maison, quelques idées me viennent en marchant. En fin de sieste d’après-midi, j’éprouve le besoin de les noter pour les mettre au clair. Ecrire consolide ma réflexion.
Nous vieillissons tranquillement, heureusement sans heurts. Je m’en rends compte non pas à cause d’une quelconque baisse d’enthousiasme : nous faisons toujours autant de projets et nous continuons à avoir envie de mordre la vie à pleine dents, mais je constate que nous ralentissons dans tous les processus que nous mettons en œuvre. Tout ce que nous faisons nous demande des délais rallongés. Par moment, je passe même plus de temps pour trouver une stratégie afin que ce que j’ai à faire soit moins fatiguant, physiquement, plutôt qu’à réellement m’activer. L’entrepreneur, actif sur le terrain, devient bureau d’études et rêve de déléguer tout ce qui est travail pénible.
Il y a une nouveauté aussi pour moi, c’est de faire un certain tri dans ce que j’ai envie de réaliser en utilisant un prétexte que je n’ai jamais pensé employer jusqu’à présent : ce n’est peut-être pas la peine, c’est trop tard, il n’y a peut-être plus assezde temps. C’est à travers des réflexions comme celle-ci, ou aux grincements de ma carcasse, que je me rends compte aussi que j’ai intégré la notion « être plus vieux ». Heureusement, ce n’est pas encore « être trop vieux ». Enfin je l’espère. Quand on habite la même demeure depuis cinquante ans et qu’on a effectué de multiples aménagements, cela devient comme une drogue : les choses imparfaites doivent être améliorées, mais il faut du temps et – soyons réalistes pour une fois – nous ne disposons pas d’un réservoir inépuisable d’années. Surgissent alors ce genre de réflexion : « si on s’y était pris plus tôt, il aurait peut-être été intéressant de faire tel ou tel travail » ; ou encore : « c’est dommage que je n’ai pas dix ans de moins, parce que j’aurais bien lancé tel ou tel projet ». Cette posture intellectuelle ne concerne pas que les travaux mais concerne aussi d’autres projets comme les voyages par exemple. Telle destination ? Trop éloignée (tant mieux pour la planète… au passage)… Tel voyage ? Trop long (mon lit, mon jardin, ma bibliothèque… vont me manquer).
Alors s’insinue subrepticement dans le quotidien, le fait de vivre certaines idées par procuration. Voir les autres s’agiter à sa place et admirer le phénomène avec compréhension et sympathie. D’où, sans doute, mon intérêt, sans cesse renouvelé, pour les projets communautaires, les innovations agricoles, les nouveaux modes d’habitats collectifs… D’où sans doute aussi ma sympathie pour celles et ceux qui, à vingt, trente ou quarante ans, laissent tomber leur vie bien tranquille et ronronnante pour se lancer dans des aventures plus ou moins périlleuses mais ô combien excitantes. J’ai certes de l’admiration (une pointe d’envie sans doute) pour ceux qui entreprennent des voyages hors du commun alors qu’ils ont largement mon âge, pas aussi canonique non plus que mes propos pourraient le laisser entendre. Je me dis aussi, avec beaucoup de sagesse, qu’il y a des aventures dans lesquelles je ne me serais pas lancé il y a vingt ou trente ans, alors il ne faut pas délirer non plus. Heureusement que toutes les vies ne se déroulent pas selon un schéma préétabli, le monde n’est pas peuplé que de John Muir ou d’Alexandra David-Néel !
Cet intérêt pour ce qui se passe chez les autres a un côté très positif : celui de m’amener à avoir envie de les rencontrer, de les écouter, bref de garder une vie sociale importante. Je ne fais pas partie des gens que le fait de vieillir pousse à un repli sur soi et à un besoin d’ermitage. Très peu pour moi. Je m’enthousiasme facilement encore et je supporte difficilement les tempéraments grognons de ceux qui dénigrent sans arrêt les travaux entrepris par les plus jeunes qu’eux. Je ne considère pas que les plus jeunes sont des cons car je ne considère pas que j’ai fait des conneries quand j’étais plus jeune. J’assume mes choix et n’exprime que fort peu de regrets. Mon regard autocritique vers les années passées a une portée très limitée et ma philosophie personnelle me pousse plutôt à dire qu’à un moment donné j’ai fait des choix qui n’étaient pas faciles, mais que j’ai toujours choisi le plateau de la balance qui comportait le plus d’avantages. Ce que j’ai fait n’a pas été toujours très réfléchi, mais a posteriori, je n’ai jamais remis en cause mes choix antérieurs. Orgueil diront certains ; moi je pense plutôt simplicité de vie…
Je trouve que mon séjour prolongé dans l’Education Nationale, par exemple, a consommé trop de mon énergie, que j’y suis resté trop longtemps, mais je ne regrette pas ce choix professionnel qui m’a beaucoup apporté et qui me correspondait plutôt bien. Rien ne me prouve, à part quelques fantasmes, que j’aurais été plus heureux en tant qu’historien, journaliste, menuisier, paysan jardinier, écrivain ou autre orientation, tentation passagère aujourd’hui oubliée. J’ai d’ailleurs eu la chance d’avoir quelques fenêtres ouvertes et d’y être passé pendant ma carrière pour aller me promener. Rien de tel qu’un peu d’oxygène quand on a l’impression d’être trop cloîtré entre quatre murs. Le travail du bois, le jardinage, l’agitation syndicale, le métier d’éditeur… m’ont détourné à plusieurs reprises de ma carrière d’enseignant. Ils ont contribué au plaisir que j’ai eu à travailler. Je suis content d’avoir renoncé à ces orientations, excitantes au premier regard, angoissantes vues dans les lorgnettes du « retour vers le passé ». Ce long voyage, nous l’avons vécu jusqu’à présent à deux, ce qui a été très agréable. Cela explique sans doute que certaines options aient été abandonnées, mais je ne vis pas cela comme un coin de ciel gris dans le paysage. Tenir compte de l’autre amène aussi à avoir un nouveau point de vue sur son environnement.
… Trois semaines ont passé depuis cette expédition philosophique au jardin. Trois semaines qui m’ont permis de faire une petite halte à la station Covid, de mesurer la chance que j’avais d’être en bonne santé et de ne pas être trop affecté par les maux du siècle. Pourvu que ça dure ! J’espère maintenant être armé comme il faut pour affronter le « gros » de l’hiver. Je crois que je commence à comprendre un peu le rythme des saisons sous notre climat tempéré, et à accepter l’idée de tirer parti de tout ce qui se présente. Admettre une forme d’hivernage en quelque sorte. Consentir, en quelque sorte, à ce que le printemps ne dure pas douze mois !
Comme conclusion provisoire, je vous offre deux photos des concerts que nous avons organisés à domicile en novembre et décembre. Tous les deux des moments sublimes : le premier avec Martine Scozzesi et sa bande, le second avec nos amis et voisins Nathalie et Laurent. Un répertoire orienté chanson française à texte, et l’autre jazz, bossa et… humour. Des gens formidables à voir et à revoir… Tant de spectacles organisés depuis 2012 ! Les photos illustrant cette chronique n’ont pas de rapport direct avec le jardin (j’ai quelque peu élargi notre environnement), mais traduisent bien l’ambiance de cette saison. Elles sont l’œuvre de ma compagne, Caly. Vous pouvez en trouver plein d’autres, ainsi que toutes sortes d’informations confidentielles et/ou philosophiques sur son blog « pas assez de temps« . Bonnes fêtes comme on dit dans le grand monde. On se retrouve quand c’est le moment !

18novembre2022
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; l'alambic culturel; mes lectures.
La journaliste Séverine (Caroline Rémy 1855 – 1929), eh bien je n’ai aucune honte à dire qu’elle fait partie avec un certain nombre de personnalités d’une sorte de panthéon personnel. A ses côtés, je placerais volontiers des gens comme Elisée Reclus, Célestin Freinet, Vandana Shiva, Claude Tillier, Michel Zévaco, Pierre Kropotkine, Pierre Clastres, Murray Bookchin… et tant d’autres. Ce sont des gens dont j’aime consulter les travaux (divers), que je ne manque pas de citer lorsque j’ai envie d’orner l’une de mes chroniques de quelques arguments qu’ils ont si bien formulés… et qui m’ont parfois servi de modèle et de référence, bien que de ce côté-là je sois plutôt prudent. Je me méfie diantrement des gourous et autres maîtres à penser de tout genre ! Je ne dis pas que toutes et tous soient des penseurs essentiels, mais ce sont des gens qui, à travers le cheminement de leur vie, ont montré qu’ils avaient une certaine éthique et qu’ils essayaient de s’y conformer. Et l’éthique… de nos jours… ! Nombre de nos vedettes médiatiques s’en servent comme d’un essuie-pied quand cela n’a pas, pour elles et pour eux, une utilisation proche de celle de la lunette des WC. Tout cela pour vous parler d’un livre que j’ai grandement apprécié et d’une dame pour laquelle j’ai grande estime.
Les éditions « L’échappée » viennent de remettre l’œuvre et la vie de Séverine, la journaliste, au premier plan, en éditant un joli recueil d’articles, parfois peu connus, que cette grande dame de la presse française a écrits au tournant des deux siècles précédents. Joli travail intitulé « L’insurgée » en référence aux écrits de son grand ami Jules Vallès. Le recueil commence par une longue et intéressante introduction de Paul Couturiau, nous dressant un portrait de l’auteure et nous propose ensuite une petite cinquantaine de textes plus ou moins connus rédigés par Caroline Rémy et signés, au gré du vent, Séverine, Caroline, Renée, Jacqueline… Cela va de l’hommage rendu à une personnalité disparue, au reportage sur une catastrophe, en passant par un plaidoyer pour défendre tel ou tel inculpé de la « justice bourgeoise » – justice qu’elle ne manque pas de pourfendre. Certains récits sont très classiques, le style parfois un peu pompeux (mais il faut toujours se référer au contexte, c’est à dire à la fin du XIXème siècle), beaucoup sont drôles et revêtent une forme originale. J’aime beaucoup les textes où, se plaçant dans la perspective de l’un de ses « doubles », elle s’amuse à dresser un portrait critique d’elle-même. Le billet intitulé par exemple « D’estoc et de taille » et signé « Renée » est un petit bijou du genre. Cette chère Renée nous dresse le portrait d’une Séverine qu’elle connaît bien, cette « emballée » que « les années ne corrigent pas » et qui « rêve je ne sais quelle fin romanesque, au fond d’une ambulance en temps de guerre, au fond d’un hôpital au temps de contagion. » Aucun moyen pour qu’elle n’écoute les conseils de sagesse de son amie très chère…
Ce que j’apprécie particulièrement chez Séverine, outre sa personnalité, c’est sa franchise et sa capacité à remettre en cause des opinions qu’elle a exprimées parce qu’elle les estimait valables à un moment donné mais plus à un autre. Ces changements de ligne directrice l’ont parfois amenée à côtoyer des gens peu recommandables comme Boulanger ou Drumont, mais ne l’ont pas empêchée de prendre la défense vigoureuse de Dreyfus ou bien des anarchistes malmenés par les tribunaux. Nous n’avons pas affaire à une girouette, mais à une militante humaniste toujours à l’écoute du malheur des autres ; non point à une politicienne calculatrice, mais à une philosophe ouverte aux idées qui n’émanent pas forcément d’une chapelle quelconque à laquelle elle n’adhère en aucun cas. Féministe, elle l’est indiscutablement, mais ne se place pas sur le terrain électoraliste des « suffragettes »… Dans les textes proposés, il y en a un intitulé « Mon féminisme », daté de Mai 1919, mettant bien ses positions au net. Ses talents de journaliste et surtout de reporter de terrain (l’une des premières) sont indiscutables. Lisez ses reportages sur les accidents dans les mines de charbon à St Etienne (que l’on peut trouver dans un autre recueil : « pages rouges ») ou son analyse des fusillades de Fourmies où elle dénonce la façon dont les journaux ont peu à peu atténué la violence des massacres. On déplore avec beaucoup d’hypocrisie, le fait que des femmes et des enfants aient été fusillés par la troupe, puis l’on minimise la gravité de cette action en insinuant le fait que les femmes abattues ce jour là n’étaient sans doute que des femmes de petite vertu, des gens de rien, des créatures de mauvaise vie…
Il y a tant d’articles intéressants dans ce volume que j’ai l’impression d’accumuler les omissions… Que de lucidité dans son analyse des violences conjugales, ou du comportement des colonisateurs soi-disant civilisés… Proche des anarchistes dans ses convictions, bien qu’elle ne soit encartée dans aucune organisation, son analyse du parlementarisme et des mécanismes électoraux est sans équivoque. Non, elle n’entend pas rejoindre la lutte de certaines de ses consœurs pour obtenir le droit de vote pour les femmes.
“Alors que, réservé au seul usage des hommes, le suffrage universel, l’éligibilité, l’électorat, toute la vieille mécanique parlementaire n’excite en moi qu’une stupeur goguenarde, un dédain plutôt agressif, je ne vois pas trop en vertu de quel miracle mon jugement varierait, envers les mêmes choses, parce que d’une différente application”.
Bref, une lecture incontournable que ce petit volume de 280 pages environ, imprimé sur un papier fin et résistant. Je serais injuste si je ne mentionnais pas aussi la postface « Séverine aujourd’hui » rédigée par deux professeures de lettres modernes, toutes deux engagées dans la « désinvisibilisation des femmes dans la littérature ». Merci à Laurence Ducousso-Lacaze et Sophie Muscianese pour leurs informations complémentaires concernant entre autres l’association récemment constituée des « Amies de Séverine ». Je ne sais pas encore si je vais y adhérer (si je continue à m’écouter, je serai bientôt membre d’une douzaine de confréries diverses ou plutôt contempteur à jour de sa cotisation car je n’ai plus guère de temps pour m’impliquer dans quoi que ce soit !) mais en tout cas, le cœur y est.
Pour faire un beau geste et témoigner de mon engagement (au moins symbolique) je vous informe que j’ai déjà consacré deux longues chroniques à Madame Caroline Rémy, ce qui explique aussi que je ne sois pas plus prolixe dans le billet d’aujourd’hui concernant sa biographie. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez toujours découvrir ou redécouvrir :
– Du « Cri du peuple » à « La Fronde », portrait d’une grande dame du journalisme : Séverine (1)
– De la « grande guerre » à « l’affaire Sacco et Vanzetti », portrait d’une grande dame du journalisme : Séverine (2)
D’ici là je vous souhaite une fin d’automne reposante. Il est rare que mes dahlias soient encore en terre à cette période. J’aurais aimé lire les propos de Séverine sur les changements climatiques.
5novembre2022
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....
Je pense que si je raconte que cet automne on fête deux anniversaires pour « la Feuille », à savoir les 70 ans du blog et les 15 ans de son principal rédacteur, certain•e•s auront du mal à me croire, s’appuyant sur une argumentation scientifique solide, du genre « pff, y’a soixante dix ans, y’avait même pas d’internet ». Dure loi du rationalisme ; tenons-en compte… il se peut qu’il y ait une erreur… dans ce paragraphe d’introduction. Vous êtes d’assez bons détectives alors je vous laisse faire votre boulot de chercheurs d’indices.
Le nombre de billets publiés ces dernières années a considérablement ralenti et une bonne part des 804 articles figurant au sommaire ont déjà quelques temps derrière eux. Tant pis, tant mieux. Quel sens faut-il donner à ce ralentissement de publication ? Je crois qu’il est nécessaire d’employer le pluriel car les causes sont nombreuses. Certaines sont liées à l’état d’esprit du rédacteur, à ses ambitions démesurées (par rapport au ralentissement de ses capacités) ; d’autres sont à chercher du côté du contexte social et d’un échafaudage d’illusions de plus en plus dur à maintenir en place avec le temps. Je renonce à rentrer dans les détails. Je dirai simplement que l’épisode « covid » m’a plutôt estomaqué quant au comportement de troupeau de la population (notamment celle qu’on situe plutôt à la gauche de l’échiquier politique). Même certains copains libertaires m’ont grandement déçus. Je n’épiloguerai pas ; mieux vaut regarder vers l’avenir plutôt que ressasser. Ces dernières années ont été aussi l’occasion de belles rencontres et, plus que jamais, j’apprécie les échanges, de préférence « en présentiel » comme il est de bon goût de préciser. J’ai du mal à serrer un hologramme dans mes bras !

Disons qu’ici tout va bien, même si le jardin a eu un peu trop chaud cet été. Nous avons relancé les spectacles à domicile avec un programme alléchant, comme le prochain concert de Martine Scozzesi. Nous avons dignement fêté une collection d’anniversaires pour lesquels nous avons préféré effectuer un tir groupé en invitant de belles personnes avec qui nous avons partagé un beau moment. Je continue à lire Elisée Reclus, à faire des trous pour planter des arbres, à arpenter les chemins de montagne, à pianoter sur mon accordéon, à faire de nouvelles découvertes littéraires et à rêver d’un monde meilleur. Nous avons fait deux magnifiques séjours au pied de la montagne de Lure en Provence. Nous avons aussi accueilli des stagiaires sympas venus nous aider pour le turbin quotidien. Nous avons fait au mieux pour qu’ils soient heureux de leur séjour et je pense que nous ne sommes pas devenus de « vils exploiteurs », mais je suis mal placé pour en juger ! Je vous en toucherai peut-être un mot quand les tempêtes de neige m’obligeront à rester devant mon écran… Je garde en effet ce blog ouvert, sous le coude, histoire de pouvoir me défouler de temps à autres. Je persévère dans mon absence de rigueur et ne m’engage à aucun rythme de publication.
Portez vous bien, continuez à vous méfier des politiques, de la propagande, et des idées qui font « large consensus ». Achetez un pull-over en bonne laine mérinos. Mon petit doigt me dit que les coupures de courant seront nombreuses cet hiver, histoire d’obtenir un consentement enthousiaste de la population à la relance de l’ineptie nucléaire française. Laissez quelques pots de moutarde sur les rayons s’il vous plait. Comme je ne suis pas devenu collapsologue, je n’en ai pas enterré dans le bunker que je n’ai pas construit sous mon jardin.
Le vieux dans la campagne
24juillet2022
Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; ingrédients musicaux.
Tourner la page,
passer du binage et du bêchage à l’accordéonage,
ça soulage.
Trois notes d’accordéon
pour accompagner une p’tite chanson
valent bien un p’tit abandon
de la chasse au liseron.
M’en va vous conter
en pianotant sur mon clavier
sous quelles notes je suis né,
par quelle portée
je fus guidé.
N’allez pas imaginer
que je vais vous dévoiler
tous mes secrets
sur certains je resterai
muet
même si ça doit vous désoler.
Je crois que je peux dire que je suis issu d’une famille de musiciens. Point de professionnels patentés mais des amateurs à l’enthousiasme éclairé. C’est à la fois ma chance et mon malheur… Dans un cercle de passionnés, il est difficile d’imaginer que l’un des éléments puisse vouloir prendre la tangente. Dès que j’atteignis l’âge de raison (enfin le premier), je fus donc convié, avec insistance, à m’initier aux joies de la musique. En ces temps canoniques où les idées d’éveil et la pédagogie active ne fréquentaient pas les mêmes locaux que les doctes enseignants de la musique, je dus passer par l’enseignement du solfège et tout son cortège de joyeusetés pour avoir le droit d’approcher un quelconque générateur de sons. A cette époque lointaine, maintenant révolue – semble-t-il – je crois qu’il fallait accepter deux années de dictées musicales, de lectures de notes, de commentaires d’œuvres musicales et de comptines ânnonées pour pouvoir prétendre étudier la pratique d’un instrument. Cela complétait agréablement l’ennui d’une école, où ma seule joie était de trouver les contenus faciles à assimiler ou de gagner quelques billes à « pot » ou au « bouillon ». Pour compléter mon emploi du temps, il me faut aussi mentionner la corvée hebdomadaire et incontournable du catéchisme ainsi que les séances chez le dentiste à la grand-ville. Généralement l’une de ces trois activités annexes à l’école tombait au moment de l’épisode de ma série préférée à la télévision, genre Rintintin ou autre récit fabuleux. Certes, je reconnais que mes goûts audiovisuels de l’époque n’étaient guère prometteurs…
Ce parcours rituel accompli (do ré mi fa sol la si do), je pus enfin m’adonner aux joies du piano : les gammes et la méthode rose à gogo (clé de sol et clé de fa, poil au bras). Je ne me rappelle plus les raisons pour lesquelles j’ai émis l’idée d’abandonner la pratique de cet instrument à l’époque de mon entrée au collège. Je n’avais pas encore lu Bakounine, et rien, dans la lecture du Club des cinq, ne me poussait à une décision aussi extrême. En fait, si, je pense que je vois pourquoi. Je croyais que l’objectif des leçons de piano c’était d’apprendre à jouer de la musique classique et que – à cette époque – ni Mozart ni Schubert ne me faisaient triper. Comme j’étais dans une famille qui vénérait la musique (mon père passait une bonne partie de son temps libre à écouter des opérettes ou des enregistrements des grands classiques), abandonner un instrument, cela voulait dire simplement en commencer un autre. Dans la liste des choix qui me furent proposés ne figuraient ni la guitare électrique ni le saxophone… Je choisis la flûte traversière. Mes parents firent l’acquisition de cet objet de luxe. Dépense somptuaire, d’autant qu’il y avait déjà un piano à la maison, trésor issu d’un héritage familial.
Mon professeur de flûte était sympathique. Il était aussi professeur de gym et de technologie, matières pour lesquelles je n’avais guère le feu sacré. Je soufflais avec peine dans mon long bâton argenté. Mon compresseur interne avait un réservoir de petite dimension. C’est un instrument difficile et j’admire beaucoup celles et ceux qui sont arrivés à un niveau d’expertise que je n’ai jamais atteint, même s’il y a bien eu quelques concours ou épreuves rituelles de fin d’année auxquelles j’ai été présenté. Du collège, je suis passé au lycée et avoir du temps libre pour fignoler mes maquettes d’avion m’attirait plus que la musique « classique ». Pardonnez-moi chers mélomanes lecteurs, je préférais « la poupée qui fait non » au Boléro de Ravel. J’ai pris prétexte de l’assiduité que demandaient mes devoirs scolaires pour taper en touche et remiser la flûte dans une armoire. Ne restaient plus que les cours de musique au lycée qui étaient obligatoires. Dans une famille de musiciens, il est logique que le dernier rejeton fasse preuve d’un peu d’ouverture d’esprit et y assiste. Jusqu’en terminale, dans ces cours, je retrouvais tout ce qui m’ennuyait en musique depuis une douzaine d’années. C’est dire si je m’éclatais.
Réfugié dans ma chambre, je préférais écouter les disques des Beatles, des Stones, puis, plus raffiné encore, de Soft Machine ou Pink Floyd. Mon père faisait l’effort d’essayer de comprendre, mais n’appréciait guère les solos de batterie de Robert Wyatt, alors que Chopin lui paraissait nettement plus harmonieux. Mon année de terminale fut terrible pour tout le monde et pour moi aussi. La lumière d’une bougie apparut dans le long couloir obscur que je traversais depuis des années. Notre prof de musique de terminale, heureuse d’avoir encore quelques participants à son option, nous expliqua qu’aimer la musique cela concernait TOUTES les musiques, et qu’elle nous autorisait à apporter en cours les disques que l’on avait envie de partager avec les autres. Un véritable tsunami dans un univers que je croyais régi seulement par des règles inébranlables et un ennui incommensurable. Mes congénères bénéficièrent alors de l’écoute de quelques grands succès de la pop de l’époque.
Baccalauréat, Ecole normale, envol du nid familial. Encouragé par mon prof de philo (un esprit très ouvert également), j’ai dévoré Bakounine, Kropotkine et tous les saints de mon tout nouveau testament. Passée la borne fatidique des dix-huit ans, un nouveau volet s’ouvrit pour moi en musique. Les années 70, c’est l’époque du renouveau du Folk Song en France. Des clubs se forment comme le « Bourdon » à Paris ou la « Chanterelle » à Lyon. Il y a des stages, des concerts, des festivals… A Malataverne ou à Vesdun, on rejoue Woodstock en écoutant du blues, des bourrées et des valses. Pour moi, les nouveaux visages de la musique que j’aime ce sont Catherine Perrier, Christian Leroi Gourhan, Emmanuelle Parrenin et tant d’autres (« La Bamboche » en photo par exemple)… Marginaux, hirsutes, chevelus barbus… On passe allègrement des manifs contre la répression des manifs, aux rassemblements contre le nucléaire ou pour la libération de l’éducation, puis aux concerts les plus divers… En toile de fond, les créations de la Pop Music me font toujours aussi bien planer. « Revolution » du groupe Jefferson Airplane retentit avec enthousiasme sur ma chaîne stéréo (souvenir ému de mon premier achat avec mon premier salaire !) Bref une période d’exubérance extrême. Je reprends en main flûte à bec, violon ou mandoline. Grâce à mes nouveaux « maîtres à penser », je sais maintenant que c’est en jouant que l’on apprend un instrument, en enchainant des airs plus ou moins simples plutôt que des gammes stériles. Les grands artistes de musique populaire, les violonistes tziganes par exemple, n’ont jamais travaillé avec la méthode Rose, ça c’est sûr.
Un voyage en Irlande vient raviver ma passion pour le violon, mais les années passent et le travail quotidien s’impose peu à peu. La pédagogie, si l’on est tant soit peu impliqué, est une grande dévoreuse de temps. Les vacances, certes plutôt longues ne suffisent pas à combler la brèche. La vie de famille grignote les restes et la fatigue pousse à laisser les instruments dans l’armoire. Je passe à d’autres activités, passionnantes elles aussi : menuiserie, jardinage, bricolage tous azimuts.
Interlude représentant l’écoulement d’une bonne trentaine d’années…
Le jour où sonne l’heure de la retraite, je décide – puisque j’aurai des « milliers » d’heure de temps disponible (douce illusion), de me remettre à la musique. Alors… violon ? guitare ? ou bien un autre instrument classique du folk que je n’ai pas encore pratiqué. L’accordéon diatonique me paraît sympa. Je craque et j’achète mon premier piano à bretelles, mais un piano sans touches, avec des boutons et un soufflet qui vient compliquer mon existence puisque l’on peut jouer les notes de deux manières différentes sur le diatonique. La magie « Maugein » opère et je suis conquis.
Quinze années de pratique déjà… Je devrais avoir atteint des sommets et concurrencer les grands artistes du genre. Que nenni, car je me suis trouvé à nouveau confronté à une corbeille de difficultés… Les « milliers » d’heures de temps libre, c’était de la propagande. D’autant qu’en 2001 nous avions lancé cette idée débile et géniale de parc arboré. Alors il y a eu des hauts et des bas ; j’ai appris et j’ai désappris faute de pratique assidue. Heureusement, depuis quelques années, j’ai décidé d’être un peu plus sérieux et de belles rencontres ainsi qu’un beau projet m’ont permis de m’atteler sérieusement à ma pratique musicale. Depuis, les choses ont bougé, et je commence à tirer des airs intéressants de mon accordéon. D’autant que depuis quelques temps je suis passé à un « trois rangs » (la magie « Castagnari » a opéré) et que cela me permet d’accompagner ma compagne chantante avec deux autres musiciens compétents. Je postule pour une tournée dans les grandes salles de l’Hexagone dès 2050. J’espère être bientôt classé parmi « les jeunes espoirs du folk song »). Je vous tiendrai au courant.
Alors, bilan de cette histoire ? Eh bien je trouve que c’est une bonne chose que les pratiques pédagogiques musicales aient un peu évolué. Ce n’est pas par la contrainte que l’on donne le goût des choses à des garnements. En toute honnêteté, je dois reconnaître cependant que mes apprentissages de jeunesse m’ont grandement facilité la vie de retraité musicien à temps perdu, entre deux chasses au liseron. C’est vrai que je mémorise assez facilement les mélodies, mais que les paroles sombrent dans un trou de mémoire conséquent.
17juillet2022
Posté par Paul dans la catégorie : mes lectures.
Il y en a qui lisent beaucoup pendant les vacances !
Donc la dernière chronique ne suffira pas à les rassasier. Le grand manitou veille à la qualité de vos siestes…
Le serpent à deux têtes de Gani Jakupi
Et une BD pour commencer, histoire de bousculer un peu le traintrain. La rencontre de deux personnages singuliers : M’rrangoureuk, valeureux guerrier aborigène mort par traitrise dans un combat que sa tribu a pourtant remporté, et le bagnard évadé William Buckley, moribond, effondré sur la tombe du héros défunt. Pour conter cette histoire, une bande dessinée « le serpent à deux têtes » et un auteur talentueux, Gabu Jakupi. La construction est originale : un récit à deux voix pour commencer. D’un côté, celui des membres de la tribu, découvrant un homme gisant sur le sol, la lance à la main ; la même histoire ensuite, racontée par le héros ressuscité.
Même si l’épouse du défunt refuse d’apporter caution à ce récit, les anciens de la tribu sont formels : ce corps nu, blanc de peau, aux cheveux clairs, est bien celui de M’rrangoureuk. La mort l’a profondément transformé, mais, puisque les dieux ont décidé qu’il devait revenir parmi ses frères, le groupe doit l’aider à redevenir lui-même. De fêtes en pratiques rituelles, de chasses en combats, le revenant trouve sa place dans la tribu. Il est grandement aidé par son « frère » Terreneuk. L’ancien bagnard mène la vie de ses nouveaux compagnons, même s’il éprouve parfois le besoin de s’isoler. Il prend une compagne dans une tribu amie, la belle Djoulibine. Comme le signalent ses compagnons : « la vie de couple opérait des miracles : M’rrangoureuk commençait à récupérer sa couleur. »
Les années passent… La tribu croise à nouveau le chemin des colonisateurs blancs et l’histoire rebondit. Bien qu’isolés dans une région inhospitalière, les Aborigènes rencontrent une pirogue et découvrent la duplicité des nouveaux colons. Le M’rrangoureuk d’emprunt redevient William Buckley et son aventure fait la une des journaux de langue anglaise… Pensez ! Une disparition de plus de trente années ! Que d’histoires à raconter ! Le récit se termine par le retour de Buckley dans la colonie anglaise. Il commence à rédiger sa biographie et bénéficie d’une grâce gouvernementale.
Inspiré librement de faits bien réels, cette histoire va nettement plus loin qu’un simple récit d’aventure. L’auteur, Giani Jakupi, né au Kosovo en 1956, a publié sa première BD à l’âge de 13 ans. Il est également musicien de jazz et organisateur du premier festival de BD au Kosovo. Il s’intéresse, depuis des années, aux crises et aux mélanges identitaires et culturels. Un dossier documentaire de 12 pages est inclus dans l’ouvrage. Une jolie citation pour conclure : « Tous les prétextes pour ôter la vie à l’autre se valent dans leur imbécillité. »
Amalia Albanesi de Sylvie Tanette
La lecture de « Un jardin en Australie » (chroniqué dans mon dernier billet) m’a donné envie de poursuivre ma découverte des romans écrits par Sylvie Tanette. J’ai bien aimé « Maritimes » (cadre géographique : une île de la mer Egée et cadre historique : la dictature des Colonels) mais j’ai décidé de vous parler de l’autre livre : « Amalia Albanesi ». L’auteure a choisi pour décor le petit village isolé de Tornavallo dans la région des Pouilles en Italie, et pour fil conducteur de son récit la création d’un arbre généalogique familial, devoir imposé par une maîtresse d’école voulant impulser quelques recherches pour motiver ses élèves. Dans l’une des branches de cet arbre, la bisaïeule de l’enfant, une femme hors du commun, Amalia. Le récit de l’existence de cette femme constitue la trame principale du roman, et ne croyez pas que la vie d’une enfant issue de la paysannerie « aisée » de ce village perdu aux fins fonds des Apennins se déroule de façon convenue !
Drôle de personnalité en effet que cette Amalia, dont le comportement va tout d’abord étonner, puis irriter ses concitoyens. Dans une période historique finalement assez proche dans le temps, lorsque le comportement d’une femme sort un peu du commun, l’accusation de sorcellerie n’est pas loin. Heureusement que dans les Pouilles, au début du XXème siècle, la pratique des bûchers n’est plus à l’ordre du jour… Certains en viennent à murmurer que si l’on se promène non loin de la falaise avec Amalia, on a des chances de finir comme son âne, mort au pied des éboulis. Amalia, elle, rêve de voyage…
Un jour arrive le prince charmant, le beau Stepan, venu d’un lointain pays, de l’autre côté de l’Adriatique. Il conte de belles histoires et la Belle rêve de Constantinople ou de Dubrovnik. Les deux tourtereaux se marient. Amalia n’a que quinze ans, mais sa réputation de plus en plus sulfureuse la rend difficile à « caser ». De plus, l’étranger est costaud, travailleur et ne rechigne pas à travailler comme ouvrier agricole dans la ferme de ses beaux-parents. Amalia, elle, devient une brodeuse hors pair, et amasse un petit pécule grâce auquel les deux tourtereaux un beau jour, décident de s’envoler. Ils atterrissent à Alexandrie et une nouvelle phase d’aventures, de réussites et de déceptions commence pour Amalia. La suite, je vous laisse le soin de la découvrir. La plume de l’auteure est alerte et les personnages, principaux ou secondaires, prennent vie sous vos yeux au fil des pages. J’ai retrouvé l’ambiance à la fois intimiste et rebelle que j’ai ressenti avec plaisir dans les deux autres romans que j’ai lus et je range Sylvie Tanette dans la grande boîte des auteures à suivre attentivement !
Ensauvagé d’Héloïse Combes
Ce n’est pas une nouveauté puisque ce roman est paru en 2018. Mais vous savez que la chronologie m’indiffère et que cela ne me dérange pas, dans mes chroniques, de passer d’Henry Poulaille à Paolo Cognetti ! Il paraît que dans les librairies, avec le système des « offices », la durée de vie d’une œuvre est de plus en plus brève (sauf si elle atteint des sommets commerciaux). Ce genre de phénomène ne se produit pas dans ma bibliothèque.
Les personnages : un frère, François, et une sœur, Lise, unis par un lien très fort, un père, très occupé par une vie personnelle qui le tient éloigné du domicile conjugal la plupart du temps, une mère, artiste, fantaisiste, plus souvent amie que vraiment éducatrice. L’environnement immédiat : un petit village du Berry, avec ses habitants, quelques figurants ou quelques fortes personnalités qui meublent un peu le vide ambiant. La toile de fond : forêts, rivières et collines, une nature exubérante dont les multiples mystères attirent ceux qui y sont sensibles. Les relations entre les personnages sont parfois conflictuelles. Un mur de plus en plus épais sépare le père de ses enfants. La mère fait ce qu’elle peut pour désamorcer les conflits.
Les années passent et François « s’ensauvage » de plus en plus. Ecole, cours de piano, lycée, toutes ces activités pourtant banales dans un parcours éducatif sont sources de tensions. Les relations avec le père qui a quitté définitivement le foyer pour s’installer dans un ailleurs plus paisible à ses yeux sont sources de frictions plus que de bonheur. François, le grand frère adoré, finit par être « exilé » à Montpellier chez une vieille tante revêche et avare qui n’a pratiquement plus aucun contrôle sur son éducation, se contentant d’encaisser le chèque mensuel de pension alimentaire, de proférer des menaces sans lendemain, et de décréter que les jeunes sont tous des vauriens. François se déscolarise complètement et mène sa vie dans les rues de banlieue. Un jour, sa sœur le rejoint et vient à son tour loger chez la tante. Elle continue sa scolarité mais se joint, lorsqu’elle le peut, aux errances de son frère. Nouveau milieu, nouvelles rencontres et irruption de Sam, une adolescente un peu déjantée, dont le garçon va tomber follement amoureux. Je vous laisse découvrir la fin de l’histoire, pas aussi convenue que l’on pourrait le penser. Beaucoup d’humanisme et une fine compréhension de la psychologie des ados « hors-normes »… L’auteure est aussi adroite à faire vivre ses personnages qu’à décrire les différents milieux dans lesquels ils évoluent… Une belle réussite…
Deux femmes et un jardin d’Anne Guglielmetti
La dernière page tournée, je n’ai pu m’empêcher de penser au livre « la jeune fille et le fleuve », déjà chroniqué dans ces colonnes. Comme dans le livre de Bernard Housseau il ‘agit, pour une bonne part, d’une histoire de rapprochement entre deux personnalités que tout oppose. L’histoire contée par Anne Guglielmetti (encore une romancière que je ne connaissais pas) est profondément touchante parce qu’elle met en scène des êtres simples, sensibles aux petits bonheurs du quotidien. Le récit ne se limite pas à ces deux personnages puisqu’il faut bien trouver un terrain de rencontre, un lieu qui joue un rôle à part entière dans le déroulement des faits. Dans l’autre livre que j’évoque, le troisième luron était le fleuve, la Garonne. Dans ma nouvelle découverte, c’est un jardin abandonné, une mine de trésors ensevelis.
Le fil de l’histoire n’est pas d’une très grande originalité, mais il tient. Un jour, Mariette Copiel reçoit le courrier d’un notaire lui annonçant qu’elle hérite d’une lointaine cousine. L’objet de l’héritage c’est une petite maison abandonnée dans un hameau en plein milieu de la campagne normande. Pour cette femme qui n’a jamais rien possédé, la nouvelle fait l’effet d’un coup de tonnerre terrifiant. Toute sa vie, Mariette a été femme de ménage, plus ou moins domestique, employée par des patrons peu généreux et surtout peu soucieux de son bien-être. Elle loge dans un appartement minuscule sous les toits de la capitale, et cette folie lui coûte déjà plus de la moitié de son revenu mensuel. L’annonce de cet héritage la déboussole complètement, même si elle sait parfaitement qu’il ne s’agit pas d’un château en Espagne. Premier effet : elle donne son congé à sa patronne, plutôt estomaquée, puis organise et finance un voyage à Saint-Evroult-Notre-Dame-des-bois. Pour quelqu’un qui n’a jamais quitté Paris, jamais voyagé, c’est sacrément compliqué. Je vous passe les péripéties de cette entreprise.
Mariette découvre la petite chaumière entre deux grands arbres, au milieu d’un jardin ensauvagé. Elle se prend d’affection pour les lieux (après moult tergiversations) et décide de s’y installer. Bien que le hameau de La Gonfrière soit pratiquement désert, son arrivée n’est pas passée inaperçue. Une jeune adolescente, fille d’un professeur plus occupé par ses femmes successives et son travail que par l’éducation de sa descendance, observe attentivement les premiers efforts désordonnés de la vieille dame pour prendre possession des lieux. Entre elles, progressivement, va se nouer une relation difficile, faite de petits échanges quotidiens, de coups de main, de silences bienveillants et de questionnements multiples. La suite est à découvrir dans les 95 pages de ce court roman. Vous n’aurez pas le temps de vous ennuyer. La fin proposée par l’auteur est à la hauteur de ce récit palpitant. Encore une écrivaine que je vais suivre de près.