19 décembre 2013

Un fauteuil, une p’tite verveine et un bon bouquin

Posté par Paul dans la catégorie : Des livres et moi; l'alambic culturel .

 Quelques suggestions pour traverser l’hiver sans attraper un torticolis du cerveau

Le fauteuil paraît incontournable à moins que l’on préfère lire sous la couette. La verveine peut être alcoolisée ou non ; un thé savoureux, un Armagnac ou un p’tit rhum agricole peuvent se substituer à la verveine (côté breuvage je suis assez tolérant, à part le gin-tonic ou le coca-cola qui n’ont pas leur place ici). Quant aux livres, je vous en ai suggéré quelques-uns il y a un mois ; je complète ma liste précédente avec quelques nouvelles découvertes ; pour une fois, ma sélection est composée d’ouvrages récents – pour tous les goûts (ou presque !), pour toutes les bourses, sauf les plus plates. Pour ne pas (trop) heurter les âmes militantes sensibles, on commence par du sérieux, on termine par du « récréatif ».

 « Viva la Social ! »
Collection America Libertaria, coédition Nada, Noir et Rouge et les Editions Libertaires, rédigé par un collectif d’auteurs (Joël Delhom, David Doillon, Hélène Finet, Guillaume de Gracia, Pierre-Henri Zaidman, avec une préface de Ricardo Melgar Bao). « Y’en a pas un sur cent, et pourtant ils existent ! » disait ce bon vieux Léo… En tout cas, en Amérique du Sud, ils étaient présents, plutôt nombreux et plutôt vindicatifs, surtout dans les années 1860 – 1930, période dont traite cet ouvrage historique très intéressant à parcourir. « Viva la Social » dresse un portrait du mouvement anarchiste au tournant du XIXème siècle. L’ouvrage est organisé de façon géographique, avec un chapitre consacré aux pays dans lesquels les porteurs du drapeau noir et rouge étaient les plus présents. Une place particulière est accordée aux militantes avec notamment un chapitre très intéressant rédigé par Hélène Finet et intitulé « Ni dieu, ni patron, ni mari » consacré aux militantes les plus actives en Argentine. Ce texte détaille notamment l’aventure éditoriale du journal « La voz de la Mujer » et les heurts que la volonté de certaines femmes de ne pas rester sur le bord du chemin a provoqués jusque dans le mouvement libertaire lui-même. Certains compagnons n’appréciaient guère que leur « moitié » se mettent trop en avant. L’ouvrage montre aussi de quelle manière l’idée anarchiste s’est propagée dans le prolétariat urbain, souvent à partir des migrants et donc fréquemment dans les villes portuaires. Elle a connu aussi une implantation importante dans plusieurs zones agricoles, notamment au Mexique. Si vous n’avez jamais entendu parler de la « semaine tragique » de Buenos Aires, en janvier 1919, ou de la Commune d’Encarnación au Paraguay et que l’histoire d’Amérique du Sud vous intéresse, alors je pense que vous devez lire « Viva la Social », d’autant que le style n’a rien d’universitaire et qu’il est d’une approche facile. Il s’agit bien entendu d’un simple coup de projecteur et non d’un traitement exhaustif du sujet. Celui-ci est si vaste qu’il faudrait sans doute plusieurs gros volumes pour en faire le tour. La collection s’intitulant « America Libertaria », on peut espérer qu’il y aura des suites !

  « Francisco Ferrer, une éducation libertaire en héritage »
de Sylvain Wagnon, publié par l’Atelier de Création Libertaire. Francisco Ferrer, assassiné par l’église et la monarchie espagnole en 1909, est très vite devenu un « martyr de la cause républicaine », récupéré par divers courants politiques, et parfois encensé par des gens pour qui il n’avait guère d’estime. Son œuvre militante, le travail pédagogique qu’il a effectué à l’école moderne de Barcelone, et ses écrits politiques, ont souvent été mis de côté, « anesthésiés » pour ainsi dire par l’hommage post-mortem qui lui a été rendu. Peu de place a été accordée à ses idées à travers les multiples biographies qui ont été rédigées. Le livre de Sylvain Wagnon a pour objet de changer l’angle de l’éclairage sous lequel on a étudié la vie de ce grand personnage. « Travailler sur Francisco Ferrer, c’est s’attacher à analyser un mythe qui s’est construit sur une mort tragique. A travers cette fin, toute sa vie a été redessinée, réévaluée et parfois mystifiée ; un manichéisme rassurant et confortable a empêché pendant longtemps tout travail historique. Mais travailler sur Ferrer c’est surtout se poser la question de l’engagement et de l’action ; car Francisco Ferrer est avant tout un homme d’action qui a su organiser une pédagogie de combat, ou tout au moins une pédagogie de l’action… ». C’est donc un Ferrer théoricien et praticien pédagogique, libre penseur et militant anarchiste qui nous est présenté dans ces pages fort bien documentées. Un homme capable d’écrire dans la même journée un article pour la revue anarchiste « Huelga general » (« Grève générale ») et un autre pour le « bulletin de l’école moderne »… En seconde partie du livre figure une traduction de l’œuvre majeure de Ferrer, « L’école moderne », édition intégrale.
Excellent choix éditorial qu’a effectué là, comme souvent, l’Atelier de Création Libertaire. Cette maison d’édition, toujours aussi dynamique, fête cette année ses trente-cinq années d’activité et propose à cette occasion une vaste opération promotionnelle pour « arroser » dignement cet événement : tous les livres encore disponibles au catalogue (à l’exception de ceux parus en 2013) à moitié prix et franco de port.

  « Le niglo facétieux »
de Ricardo, aux éditions Wallada, recueil de dessins humoristiques. On commence par une petite devinette… Savez-vous ce qu’est un niglo ? – pause réflexion – Eh bien… un niglo c’est un hérisson chez les Tsiganes. Le héros de l’histoire, lui, il est sacrément facétieux. Il se moque gentiment des uns et des autres, des « gadjos », mais aussi des « Manouches », des « Gitans », des « Roms », des « Sinté »… comme les appelle au petit bonheur la chance monsieur Toulemonde. Ricardo, ou plus exactement Richard Viscardi, l’auteur, dessine au crayon depuis qu’il est tout petit, avant de découvrir, plus tard, la merveille de la couleur grâce à l’ordinateur. Les dessins publiés sont regroupés par thèmes : « les aires d’accueil », « les métiers traditionnels », « la débrouille », « les cousins de l’Est »… Selon les cas, l’humour est grinçant ou bon enfant… parfois très émouvant comme dans la poignée d’illustrations rappelant l’holocauste dont ce peuple maudit a été largement victime. Sur ce sujet, les éditions Wallada ont publié il y a quelques années, le très bon ouvrage « Les barbelés oubliés par l’histoire ». Je l’ai lu, attentivement ; j’ai commencé une chronique sur ce thème pour le blog et puis j’en suis resté là, un peu étourdi par l’ampleur du dossier et la difficulté de le traiter. La lecture du « Niglo facétieux » et les déversements de conneries racistes de ces derniers étés, me donnent grandement envie de m’atteler à nouveau à la tache et d’aboutir en 2014. En attendant, je vous recommande vivement de lire et d’offrir ce bel album. Le prix est un peu élevé pour un format BD (25€) mais l’impression et le support sont de grande qualité et je crois que c’est un effort à faire pour soutenir une petite maison d’édition qui marche clairement en dehors des sentiers battus.

  « L’art de mon voisin Totoro »
Si vous êtes comme moi un fan presque inconditionnel des films d’animation du japonais Miyazaki, alors vous aurez sûrement un coup de cœur pour « L’art de mon voisin Totoro », publié aux éditions Glénat. Les esquisses, les aquarelles, les crayonnés publiés sont vraiment magnifiques et le livre leur accorde une très large place ainsi qu’aux techniques diverses utilisées pour l’animation. « Mon voisin Totoro » est l’un des films les plus célèbres de Hayao Miyazaki, avec « le château dans le ciel » et « Princesse Mononoké », mais l’ensemble de son œuvre mérite d’être visionné. Les décors sont somptueux, les personnages attachants, et les scénarios font une large place à la mythologie japonaise abordée sous divers aspects. Miyazaki fait partie de la génération qui a été traumatisée par l’emploi de l’arme nucléaire à Hiroshima et à Nagasaki, et la dénonciation de la violence inutile et de la barbarie inhérentes à tous les conflits armés est une constante de son œuvre. Le réalisateur ne s’adresse pas qu’à un public enfantin ; certains de ses films ne conviennent absolument pas à des spectateurs trop jeunes… Je pense en particulier à des titres comme « Nausicaa et la vallée du vent », ou même « Princesse Mononoké » portés par une réflexion philosophique sur le comportement des humains vis à vis de la nature et de la violence. « Mon voisin Totoro » est certainement une très bonne porte d’entrée dans l’univers fantastique de ce grand cinéaste. Le film « Le vent se lève » sorti au mois d’août au Japon (et visible à partir du 22 janvier en France) est le dernier film de sa carrière a-t-il annoncé.

  « Mattéo »
Une bande dessinée de Jean Pierre Gibrat (en 3 volumes). Je ne suis pas un lecteur assidu de bandes dessinées. Certains se diront peut-être que découvrir Gibrat fin 2013 c’est enfoncer une porte ouverte…. En matière de lecture, je suis un peu comme cela, iconoclaste et peu respectueux des chemins tout tracés et des catégories bien balisées. J’ai eu grand plaisir à découvrir, volume après volume, la série Mattéo. Le personnage me plait ; sa personnalité est complexe ; ni héro ni monsieur Toulemonde… Comme tous ceux de sa génération, il est quelque peu bousculé par les événements : difficile d’avoir vingt ans en 1914, d’avoir été éduqué par un père anarchiste dont les propos, les actions, les idées, sont omniprésents dans son esprit… Un père disparu, une mère aigrie qui a intériorisé la misère dans laquelle elle se débat, un amour inaccessible (les classes sociales constituent des barrières bien réelles dans cette France du début du XXème siècle). Pour Mattéo les questions sont nombreuses et les réponses pas toujours évidentes : doit-il prendre le maquis, comme son père l’aurait fait ? Doit-il suivre la masse et partir pour le front pour en revenir estropié comme l’un de ses meilleurs amis…? L’histoire commence par une valse hésitation. Le personnage central ne sait quel chemin prendre, puis un jour il finit par choisir, sur un coup de tête, une direction dans laquelle il n’aurait peut-être pas dû aller. Dans le tome 1, il fréquente les tranchées, côtoie la bêtise des gradés jusqu’au jour où une blessure le fait revenir à la case départ. Hôpital, désertion, fuite en Espagne… Le feu d’artifice de la Révolution de 1917 éclate et notre Mattéo part pour St Pétersbourg envoyé par un groupe d’anarchistes espagnols qui veulent apporter leur soutien aux camarades russes. Les désillusions apparaissent bien vite ; la machine bolchevique, d’une redoutable efficacité, se met en place et gare à ceux qui ne veulent pas que leur rôle se réduise à celui de rouage bien huilé. Retour à la case départ dans les vignes du bordelais. Pourquoi continuer à risquer sa vie pour une Révolution dont il ne comprend plus les enjeux ? Sa désertion va lui coûter cher et sa déportation au bagne va l’occuper jusqu’au dernier épisode, jusqu’à la dernière envolée devrais-je dire : 1936, le Front Populaire, la Révolution en Espagne… Le récit de Gibrat est richement documenté et l’ambiance est toujours forte, que ce soit pour dépeindre un corps à corps amoureux dans les dunes de sable du Médoc, un assaut désespéré sous les obus allemands, ou une soirée de beuverie dans un appartement bourgeois de Pétrograd. Certainement l’une des meilleures séries que j’ai lues ces dernières années, avec « Le magasin général » ou « Hauteville house » (d’un genre totalement différent). Il ne me reste plus qu’à lire « Le vol du corbeau » du même auteur, qui se déroule pendant la deuxième guerre mondiale cette fois.

 Voilà, ce bref panorama d’avant les fêtes est terminé. Peut-être y trouverez vous matière à cadeau (pour vous ou pour les autres). Ce n’est qu’une sélection dans mes lectures récentes. J’ai lu beaucoup ces derniers temps ; les longues veillées hivernales favorisent cette activité ! Certains titres m’ont déçu, d’autres ne m’ont laissé aucun souvenir. Je ne vois pas l’intérêt de vous en parler. Je dois dire aussi que j’ai beaucoup relu histoire de me délasser… Je suis plongé par exemple dans la relecture des premiers volumes du « cycle des dragons de Pern », œuvre majeure de l’une de mes auteures de littérature fantastique préférée, Ann Mac Caffrey… Mais ce sont des livres qui sont parus il y a une trentaine d’années et je ne vais pas vous ennuyer encore une fois avec mes vieilleries… Ce qui me plait en tout cas, c’est que j’ai de solides réserves « à lire » pour résister à cet hiver qui s’annonce plutôt rigoureux…

 

 

5 Comments so far...

Phiphi Says:

20 décembre 2013 at 12:16.

Coucou Paul!

Content que tu apprécies Gibrat qui est un de mes auteurs de BD favoris 😉
Outre « Le vol du corbeau », je te conseille aussi « Le sursis ».
Il faudrait d’ailleurs commencer par ce dernier car, bien qu’étant deux histoires indépendante, il y a un lien entre les deux.
Les deux comportent deux tomes.

Bonne lecture!
Phiphi

Paul Says:

20 décembre 2013 at 13:41.

@ Phiphi – Merci pour le conseil que je suivrai bien sûr !

fred Says:

20 décembre 2013 at 16:11.

C’est vrai que le Gin-Tonic peut accélérer une transformation
en « Mon Voisin ROTOTO »

ahem …
chuipula …

Paul Says:

20 décembre 2013 at 16:24.

Petit addenda à l’article : quelques extraits d’un courriel très intéressant de l’éditrice de « Niglo le facétieux » qui complète et corrige mes propos. « …un manuscrit à publier en janvier, un conte théâtral bien d’actualité, “Djetty la Manouche”. Bien qu’illustré ‘(en noir et blanc), il sera moins cher que le “Niglo”, entre 13 et 15 €. Eh oui, les petites maisons d’édition à tirage limité –1000 ex – ne peuvent s’en sortir qu’avec des prix plus élevés qu’Hachette, mais achetez quand même, sinon, ce sera le coup de hache de l’extinction finale !
[… trois points à corriger ] : 1 – Wallâda avec accent au milieu, remplaçant le tilde espagnol et équilibrant visuellement les 3 a. 2 – Ricardo a un très beau site, avec des dessins inédits régulièrement renouvelés. 3 – Le livre de Jacques Sigot [« Ces barbelés oubliés par l’histoire »] en est à sa 4° édition, ce qui m’a saigné les veines financières. Je ne savais pas que Paul le connaissait. Il s’appelle désormais “Des Barbelés que découvre l’Histoire”, augmenté de 64 pages de docs inédits tout couleur. C’est 30 ans d’un combat quasi romanesque, et titanesque, à péripéties étonnantes, qui pourrait faire l’objet d’un livre entier – d’ailleurs nous engrangeons Jacques et moi les matériaux pour ! […]
Un 4° point oublié, qui a son importance : en romani, “gadjo” au masculin singulier, mais “gadjé” au pluriel, “gadji” au féminin singulier, gadjia” au pluriel (finale prononcée comme un è très ouvert, entre è et a). Pas de pluriel en s, (donc “gadjos” n’existe pas, barbarisme) ; c’est une langue proche du sanscrit et du hindi moderne, à déclinaisons, et si vous saviez comme cela paraît choquant (voire comique) lorsqu’on connaît un minimun ! »

Les pointillés et les mots entre crochets sont ajoutés pour les besoins de la compréhension – Merci beaucoup Mme l’éditrice !

la Mère Castor Says:

30 décembre 2013 at 10:28.

Je tiens le voyage de Chihiro pour un des plus beaux films qui soient. C’est à la fois dérangeant, intrigant et poétique, une porte d’entrée vers des mythes et des légendes inconnues, une merveille.

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