30 octobre 2013

Quelques lectures revigorantes avant les froidures…

Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures .

Où il est question de voyages mais pas seulement !

 Aux éditions « Les mots et le reste »,  j’avais déjà acheté, il y a quelques temps, « au pays des petites pluies » de Mary Austin. Je vous en ai parlé dans une chronique antérieure. Grâce aux judicieux conseils du libraire de « la lettre thé » à Morlaix, j’ai fait l’acquisition de « la vallée seule » de André Bucher et de « la route bleue » de Kenneth White. Ces deux ouvrages m’ont accompagné pendant notre fin de voyage en Bretagne (épisode héroïque – il va de soi – raconté dans deux épitres antérieurs). Leur lecture a été particulièrement plaisante.
Je commence par celui qui est peut-être le plus difficile à présenter tant il est singulier. Il n’est pas évident de choisir un lieu géographique comme thème central d’un roman. C’est le choix qu’a fait André Bucher en écrivant « la vallée seule« . Ce livre raconte la vie d’une vallée de montagne dont la localisation reste, volontairement, indéterminée. Au fil des saisons, les habitants de la vallée s’adaptent aux humeurs du climat. Sous l’œil du grand cerf, maître des lieux, évoluent en effet un certain nombre d’êtres humains plutôt singuliers. Ce lieu, relativement protégé, est leur refuge, pour combien de temps encore ? A mesure que l’on avance dans l’histoire on découvre les raisons qui ont amené tous ces personnages à vivre dans ce lieu sauvage ; les liens complexes qui les unissent se révèlent peu à peu ; leur faiblesse, leur sensibilité, leur ingénuité parfois les rendent attachants et on les suit pas à pas dans la tourmente de l’hiver ou dans la lumière du printemps. On fait donc un bout de chemin avec Martine, la fugueuse, Mario son ami, le comédien, Simon, le forestier, Alain le guide de chasse, Gisèle et tant d’autres.  Un jour ce voyage s’interrompt. Certains passagers n’ont pas achevé le voyage. D’autres restent, toujours fidèles au poste. Dans la vallée le changement s’accélère… Les menaces se concrétisent : l’isolement, le nomadisme, les turbulences de la nature n’ont guère leur place dans le tableau plus vaste de notre monde actuel…
J’ai eu un peu de mal à rentrer dans ce livre, un peu désorienté par le rythme, très lent, ou par le style très personnel de l’auteur. Peu à peu, j’ai fini par me glisser entre les pages ; les images se sont installées dans ma tête et j’ai ressenti cette impression étrange que l’on éprouve au cœur de l’hiver, blotti contre une source de chaleur ou encore le plaisir que l’on éprouve à enfiler un habit confortable. Je crois que l’une de mes scènes préférées c’est le mariage de Martine et Mario, cette étrange cérémonie proche d’un rituel païen…

« Dès leur arrivée, Martine et Mario avaient planté des noisetiers pour le plaisir de se voir un jour entourés d’écureuils. Les arbustes avaient pris leur temps mais quinze ans plus tard, lorsque les noisettes apparurent, cela finit par marcher. Depuis, les amandes régulièrement étaient consommées, comme par magie, elles s’envolaient des arbres. En vain épiaient-ils le moindre écureuil. A présent, non sans d’infinies précautions, ils en aperçurent enfin un, le ventre gonflé, la queue en panache, qui s’élançait de branche en branche. C’est ce moment que Martine choisit pour formuler le désir de se marier. Mario ne savait comment et par quelle association d’idées ce souhait dans la tête de Martine avait germé, mais pour toute réponse il se contenta d’applaudir et ensuite dans ses bras la faire tourbillonner. Curieusement l’écureuil s’interrompait pour les observer. Cela n’avait point l’air de le déranger ni même le troubler. »

 Je découvre sur le tard les « écrivains voyageurs » et je n’avais rien lu jusqu’à présent de Kenneth White (« inventeur » du « nomadisme intellectuel » et de la « géopoétique ») bien que j’aie trouvé des références à cet écrivain dans différents autres livres.  « La route bleue » a donc été pour moi la porte d’entrée dans l’œuvre de cet auteur et j’avoue que cette introduction m’a donné envie de poursuivre mes investigations. Aussitôt le livre refermé j’ai continué le voyage en lisant « la maison des marées ». Les deux ouvrages, même s’ils se révèlent expression d’une même philosophie, sont nettement différents. « La route bleue » raconte un voyage de Montréal à la baie d’Ungava dans le Labrador. A chaque nouvelle escale, le narrateur croise des personnages hauts en couleurs. Les plus marquants sont sans doute ces Indiens, parqués dans des réserves, déboussolés, parfois abrutis par l’alcool et cherchant désespérément un sens à leur existence. Le style de l’auteur, imagé et poétique, donne un relief particulier à cette quête. Les paysages du grand Nord canadien, constamment présents dans le récit, donnent une couleur particulière à l’humanité des personnages.

« On roule à travers la forêt Kenogami, puis le long du lac Saint-Jean.
Je me demande quand nous allons nous débarrasser de toute cette toponymie évangélique. Je ne connais pas le nom indien de ce lac, mais je suis prêt à parier qu’il était beau et précis. C’était peut-être le lac des Vagues-Bleues, ou le lac des Tempêtes-d’Eté, ou le Lac-aux-Arbres. Nommé par des gens qui le connaissaient vraiment, qui étaient en contact avec sa réalité physique. Mais le lac Saint-Jean, je vous le demande ! Il est venu ici, saint Jean ? Tu parles ! Celui-là, il traînait ses savates en Galilée. Et les gens qui ont baptisé le lac Saint-Jean, eux non plus, ils n’étaient pas réellement ici. Ils avaient l’arrière de la tête collé à leur gros livre noir. Alors ils plaquaient sur la réalité des noms tirés de ce livre… »

  « La maison des marées » est une suite de récits, ayant pour fil conducteur l’installation de l’auteur dans le Nord de la Bretagne. Il nous parle de sa nouvelle demeure, de son environnement géographique, des rencontres qu’il fait, des événements qui créent parfois l’imprévu dans son quotidien. Cela me fait penser au travail conjoint d’un peintre, d’un poète et d’un écrivain profondément humaniste. Les deux premiers  créent à petites touches de pinceau et de plume, un décor attachant ; le troisième donne au tableau une dimension très chaleureuse en intégrant peu à peu au décor les êtres humains et les animaux qui vont le rendre particulièrement vivant. J’ai beaucoup aimé les premiers chapitres ; quand on parle de vieilles pierres, de jardins, de manuscrits, de bibliothèque et de chats pacifiques, je suis vite conquis, d’autant plus si l’auteur est talentueux ! J’ai un peu moins accroché à la fin du livre, histoire d’humeur peut-être ; je l’ai trouvée un peu trop anecdotique, peut-être décousue, je ne sais pas. Il me reste à découvrir l’œuvre poétique, toute aussi abondante, de Kenneth White ainsi que les ouvrages dans lesquels il « théorise » le nomadisme intellectuel !

« Quand, au cours de mon travail, l’envie me prend de faire une petite méditation ambulatoire, je vais faire un tour dans le jardin…
Ici, le jardin n’est pas très grand, mais bien assez pour que l’on puisse y faire une bonne promenade. Et tandis que les Etats, avec leurs bannières et leurs canons, se chamaillent à propos de leur identité et de leurs prétentions, je reste tranquillement assis ici, dans ce coin granitique de la galaxie, à regarder autour de moi.
Lorsque j’ouvre la porte de mon atelier, mes yeux se posent d’abord sur le lin de Nouvelle-Zélande […] D’autres fois, selon les saisons, mon attention se portera sur les étoiles blanches de l’oranger du Mexique, sur les chrysanthèmes coréens, les pavots de Californie, la plénitude rouge des rhododendrons, le bleu profond et parfumé de l’iris de Sibérie […] Un jardin […] est aussi ou il peut être une sorte de tour du monde. »

 

 J’ai lu avec plaisir, pendant l’été, « Les assiégés du Mont Anis » de Laetitia Bourgeois (« grands détectives » 10/18). De volume en volume, de péripétie en péripétie, ses personnages principaux, le sergent Barthélémy et sa compagne Ysabellis, herboriste, prennent de plus en plus d’étoffe. On s’attache à leurs pas, aux difficultés que leur réserve le quotidien, aux chausses-trappes que leur tendent leurs adversaires d’un jour : mercenaires débauchés, jeunes nobliaux en goguette ou miséreux prêts à tout faire pour un crouton de pain. Chaque nouvelle aventure qui survient au couple permet de se faire une idée plus complète de la vie quotidienne des gens simples dans les campagnes ou dans les bourgs. Le cadre des romans de Laetitia Bourgeois privilégie la description des conditions de vie du monde rural et ne s’attarde guère dans les décors fastueux de certaines cours prestigieuses comme cela se passe trop souvent dans les fictions historiques. Dans « les assiégés du mont Anis », on découvre la ville du Puy en Velay au XIVème siècle. Ysabellis et Barthélémy ont préféré fuir sur les routes pour ne pas avoir à affronter le courroux de leur seigneur et maître. Barthélémy ne veut plus exercer les fonctions de sergent que le Sire de Randon lui a officiellement confiées. Le couple pense trouver refuge au Puy. Barthélémy devient apprenti maçon pendant qu’Ysabellis exerce ses talents de guérisseuses auprès des miséreux. Mais le répit n’est que de courte durée. Bien des périls règnent à l’intérieur des murailles de la petite ville assiégée par l’une de ces multiples compagnies de mercenaires qui ravagent les campagnes françaises quand elles ne reçoivent plus leur solde. Le récit du siège du Mont Anis (Anis est l’un des noms anciens donnés à la ville du Puy, Anicium) est particulièrement bien conté… Ce livre est le cinquième de la série ; les histoires sont indépendantes mais il est préférable de les lire dans l’ordre chronologique.

« Dans tous les espaces laissés libres par les hommes, les femmes prenaient position, apportant des pierres dans des brouettes, les montant sur les remparts à l’aide de seaux et de poulies. D’autres récupéraient de nouvelles munitions sur les maisons abandonnées et, pour les plus courageuses, les arrachaient au rocher Corneille à grands coups de marteau. Et toutes abreuvaient d’injures les ennemis, usant d’un répertoire fleuri qui faisait rougir jusqu’aux soldats. »

 « Terrienne » de Jean-Claude Mourlevat, un roman pour ados d’un auteur de littérature jeunesse que j’apprécie beaucoup : un roman dont je recommande la lecture y compris aux lecteurs « adultes » (comme on dit) de ce blog. C’est prenant, c’est bien écrit, c’est à la fois printanier et glaçant : printanier au sens où l’auteur attire l’attention sur la richesse des petits riens du quotidien (un geste, le bruit léger d’une respiration, l’arbre qui disparait derrière la brume) ; glaçant, parce que le monde qui se profile en arrière-plan et dans lequel vont pénétrer les héros, est un monde orwellien. Toutes ces petites choses qui agrémentent la richesse de notre toile quotidienne n’ont plus leur place. Tout ce qui est susceptible de troubler l’ordre public, de heurter la sensibilité de créatures quasi robotisées est proscrit. Si je parle d’un monde en « arrière-plan » c’est parce que l’histoire que nous présente Jean-Claude Mourlevat est une histoire de mondes parallèles, de déchirure dans notre espace temps… Un carrefour sur une route, vers un lieu que personne ne connait… Une jeune fille qui s’aventure sur cette voie mystérieuse, à la recherche d’une sœur ainée disparue une année auparavant de manière inexplicable… Un automobiliste, vieil écrivain sympathique un peu revêche, qui s’inquiète du devenir de cette auto-stoppeuse singulière… Je ne vous en dis pas plus : la suite de cette aventure, l’auteur vous la conte bien mieux que je ne saurais le faire ! De la science-fiction, indubitablement, mais rédigée par quelqu’un qui n’est pas habitué du genre et l’aborde donc d’une manière originale. Jean Claude Mourlevat a écrit d’autres romans excellents à l’attention d’un public plus jeune (12/13 ans) ; si vous ne connaissez pas « La rivière à l’envers » ou bien « Hannah », c’est l’occasion d’enrichir votre bibliothèque. S’il vous faut un prétexte, vous trouverez bien un ou une ado lecteur/lectrice dans votre environnement familial à qui l’offrir !

« On voudrait voir des vrais gens, je veux dire des enfants qui courent et des vieux qui n’avancent pas ! Des ados trop bruyants, des messieurs trop gros, des mamans encombrées de bébés ! Des gens venus de tous les pays avec la couleur de peau qui va avec ! On a envie de voir des chiens, des chats, des oiseaux, des arbres ! On a envie qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il y ait du vent ! Mais il n’y a rien de tout ça : juste le calme, l’espace vide autour de nous et l’incommensurable ennui. »

 Je profite de cette escale dans le riche domaine de la littérature jeunesse pour vous signaler la parution en France d’un petit livre qui a passablement énervé les conservateurs américains : il s’agit de « Vive l’anarchie, petit guide pour penser autrement« . Si vous voulez jeter un froid dans vos relations avec quelques jeunes parents de votre entourage, sûrement pleins de bonnes intentions éducatives, offrez ce petit volume illustré à leur(s) rejeton(s). Complétez le colis avec un tambour et une trompette puis sauvez-vous en courant ou enfilez votre armure ! A part ça, je doute que les conseils contenus dans ce petit livre noir (pardon bleu) soient suffisants pour fabriquer des petits anars en série. L’éducation libertaire me semble quelque peu plus complexe qu’une simple accumulation de refus ; nos voisins d’outre-Atlantique paraissent toujours marqués par le concept « d’enfant roi » qui a fait pas mal de ravages en matière éducative. Mais dans un contexte éducatif de plus en plus « rétro », j’avoue que cela soulage ! Je dirai donc que c’est un bouquin parfait pour des grands-parents un brin anars adorant foutre le bordel dans leur entourage.

« Quand on te dit « travaille ! » demande pourquoi ? »

Je vais prendre le temps de réfléchir pour trouver une réponse à cette redoutable question… En attendant, je m’arrête là, bien que je n’aie pas achevé de vous présenter mes dernières trouvailles, mais, comme disait ma grand-mère berrichonne, celle qui n’était pas lituanienne, « il faut savoir mettre un point à la fin d’une phrase » ou encore « ne pas finir une bouteille permet de garder un petit verre pour le lendemain ».  Pour faire durer un blog, il faut bien avoir quelques munitions en réserve !

5 Comments so far...

lediazec Says:

30 octobre 2013 at 19:05.

Aimé et relayé dans notre boîte à cailloux !

Zoë Lucider Says:

30 octobre 2013 at 22:17.

Je vais également méditer sur une réponse qui me semble la clé de voute de nos équilibres précaires. Merci pour la présentation des livres. Je sors tout juste de chez mon libraire alors, bon. Une prochaine fois…

la Mère Castor Says:

31 octobre 2013 at 10:40.

Merci pour la liste de lectures, toujours appréciée (et souvent suivie). D’accord sur Mourlevat.

Benoît Says:

4 novembre 2013 at 15:46.

Bonjour,

pour compléter la découverte d’André Bucher et de son territoire, voici un blog qui lui est consacré :
http://andrebucher.tumblr.com

Cordialement,
Benoît

Paul Says:

4 novembre 2013 at 17:44.

@ Benoît – Merci, je m’y rends de ce pas (ou plutôt du prochain clic !).

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