24 décembre 2011

Des papillotes, vite !… ou je fais tout sauter !

Posté par Paul dans la catégorie : Delirium tremens; les histoires d'Oncle Paul .

Nouveau (*) conte de Noël romantique (un de plus !)

Ce bouquin, il l’avait trouvé en vente aux enchères sur internet. La feuille de papier soigneusement dépliée sur son bureau, elle était tombée du bouquin lorsqu’il l’avait feuilleté pour la première fois. Ce bouquin, il avait un siècle environ – ça il le savait, c’est pour cela qu’il l’avait acheté. La feuille de papier, vu l’état dans lequel elle se trouvait, était certainement beaucoup plus ancienne. S’il s’était contenté de la mettre à la corbeille, en considérant qu’il s’agissait probablement d’une vieille facture ou d’une liste de courses, l’histoire se serait arrêtée là. Le problème, c’est qu’il s’était bien débarrassé du papier dans un premier temps, mais qu’un remord soudain l’avait poussé à le récupérer et à s’y intéresser d’un peu plus près. La pâleur de l’encre et la présence de taches brunes, marque de vieillissement du papier, rendaient la lecture du document particulièrement délicate. Le fait qu’il soit rédigé en une langue inconnue ne facilitait pas la tache. Paul Employ était enquêteur privé, travaillant pour une grande compagnie d’assurance, et son métier l’amenait à faire de nombreux voyages. Il était certes polyglotte, mais visiblement, l’idiome employé sortait de la panoplie pourtant conséquente des treize langues qu’il parlait couramment. Premier constat auquel il pouvait se livrer sans peine, il y avait un plan sommaire de bâtiment en plein milieu du papier, et le texte était signé, sans doute du nom de son auteur ; il déchiffra péniblement deux initiales, « H ». « K »., suivies d’un prénom, « Ida ». Le prénom, d’origine allemande sans doute, était assez courant. L’indication fournie par les deux initiales était largement insuffisante pour en déduire quoi que ce soit. En tout cas, il avait dans les mains un message visiblement rédigé par une femme. S’il voulait en savoir plus, il fallait qu’il consulte un expert en langues étrangères… Par chance, il se remémora que son vieil ami Montenlair était rentré il y avait peu d’un voyage d’études en Extrême Orient et il ne doutait pas que les capacités linguistiques extraordinaires du savant lui permettraient d’obtenir, sinon une traduction complète, du moins une indication précise quant à l’orientation à donner à ses recherches.

Il fallait croire que Paul Employ n’avait pas grand chose à faire, pour pouvoir consacrer du temps à un papier sans intérêt sans doute, sauvé à la dernière minute d’un passage à la corbeille parce que son propriétaire avait besoin d’un marque page.. Je ne vous conterai point ici les péripéties de la quête linguistique dans laquelle  se lança notre ami, mais, sachez que trois jours plus tard et six bouteilles de Muscadet éclusées (Montenlair était un soiffard impénitent), il possédait un grand nombre d’informations supplémentaires à propos du manuscrit. Le texte était rédigé en plusieurs langues, codage élémentaire destiné à compliquer la tâche d’un traducteur novice : il y avait des termes empruntés au wallon de Namur, d’autres au romand, sans oublier le patois berrichon, le gaspésien et le créole. Une fois l’ensemble traduit en Lagarde et Michard courant, on se rendait compte que l’on avait entre les mains un document assez singulier : une sorte de « modus operandi » pour détruire – d’une manière assez exotique – les bâtiments du Vatican. Soit il s’agissait d’une plaisanterie (de mauvais goût), soit d’un plan diabolique jamais mis à exécution. Cette Ida HK était une drôle de personne… Le document était vieux d’au moins cent cinquante ans, et si les palais épiscopaux romains avaient subi les dommages prévus par la charmante terroriste, cela aurait été mentionné dans les livres d’histoire ; ce n’était pas le cas. Deux éléments intriguèrent cependant Paul Employ : le dernier paragraphe faisait appel à un codage différent du reste du texte et n’avait pu être déchiffré ; une date, non encore échue, était le seul élément compréhensible dans le charabia employé : il s’agissait du 2 janvier 2012. Cette date fatidique devait-elle marquer le début apocalyptique de la fin du monde chrétien dans l’esprit dérangé de l’auteur ? Un petit coup d’œil sur le calendrier permit à Paul de se rendre compte qu’il s’agissait de la date de l’épiphanie et qu’il ne s’agissait pas d’un jour ordinaire… Depuis qu’il avait terminé la lecture du célébrissime « Da Vinci Code », le détective était convaincu que de nombreuses énigmes restaient à résoudre et que la malédiction des Templiers n’était pas entièrement dissipée. Il décida donc de se replonger dans l’étude du texte originel, et surtout de s’intéresser de plus près à un ouvrage mentionné dans le paragraphe 6 : « chemins secrets de l’enfer ». Il trouva sur internet les précisions dont il avait besoin : le livre avait été publié en 1746 par un éditeur romain, et son auteur, Francesco Ollando, était un personnage sulfureux, assez connu à l’époque dans les milieux occultistes…

Rome, le Vatican, beaucoup d’éléments semblaient orienter son enquête dans cette direction… Il n’était pas vraiment décidé à la pousser plus loin, mais, par acquis de conscience, et surtout parce qu’il se sentait une âme de bibliophile, il rechercha le livre d’Ollando. Il lui fallut plusieurs semaines et un gros chèque pour se procurer l’ouvrage, à la suite d’une vente aux enchères sur Internet. Quand il eut enfin les « chemins secrets de l’enfer » entre ses mains, il l’étudia longuement et une découverte l’inquiéta beaucoup. Le dessin figurant sur le vieux document qu’il possédait, était en fait la combinaison de trois illustrations gravées dans l’ouvrage d’Ollando : un croquis sommaire de la façade du musée du Vatican, la silhouette d’un volcan – le Vésuve semblait-il – et une représentation symbolique du berceau du Christ dans la crèche de Bethléem. L’ouvrage qu’il avait acquis à prix d’or était en assez bon état pour un livre vieux de plus de deux siècles et demi et aucun feuillet ne s’était détaché. Il lui semblait pourtant que le texte n’était pas complet et qu’il manquait, par endroit, en fin de chapitre, des fragments assez longs, indispensables à une bonne compréhension des propos de l’auteur. Il décida de profiter de ses congés de Noël pour se rendre à Rome. Peut-être trouverait-il, à la bibliothèque du Vatican, une version différente de l’ouvrage qu’il avait entre les mains. Plus le temps passait, plus il se disait que le manuscrit qu’il avait récupéré tout à fait accidentellement avait une grande importance. Peut-être s’agissait-il du brouillon d’un document que la dénommée Ida avait rédigé à l’attention de ses descendants, parce qu’elle savait que l’attentat projeté contre le Vatican ne serait réalisable qu’à une date située loin dans le futur ? Peut-être H.K. Ida était-elle tout simplement folle ? Il en aurait le cœur net… L’avenir du Vatican et de la civilisation chrétienne n’avaient guère d’importance à ses yeux, mais s’il déjouait un traquenard bien réel, il pourrait au moins rédiger un bouquin à succès et s’assurer une retraite aussi proche que confortable…

Le 21 décembre, jour du solstice, il atterrissait à l’aéroport Leonardo Da Vinci à Rome, et demandait à un chauffeur de taxi de le conduire à l’hôtel qu’il avait réservé non loin de la place de la Basilique. Une heure plus tard il était à pied d’œuvre. L’hôtel était très confortable ; il appartenait sans doute à l’Eglise Catholique, comme bon nombre d’autres bâtiments dans la capitale italienne. En se documentant sur la question, il avait appris que l’Eglise était le plus gros propriétaire foncier en Italie et échappait totalement à l’imposition sur ses activités commerciales – considérées tout simplement comme charitables. Cette information l’avait exaspéré et il se disait qu’après tout, le Vatican pouvait bien partir en fumée, il ne s’en souciait guère… L’essentiel c’était qu’il ait décampé le 2 janvier et qu’il ait rassemblé suffisamment d’éléments pour écrire un bon gros pavé bien commercial. Son programme à court terme était simple : une bonne nuit de repos et le lendemain il se rendrait à la bibliothèque du Vatican. Son ami Montenlair lui avait indiqué un « contact » et il devait pouvoir accéder aux salles interdites au public si le tuyau (d’orgue) n’était pas bouché. Il se réveilla tôt le 22 décembre et, après un petit déjeuner plutôt modeste à son goût, il se dirigea vers la cité pontificale. La personne qu’il devait rencontrer était absente ce jour, mais le responsable de la salle de prêt, lui affirma qu’il serait possible d’avoir un rendez-vous dès le lendemain matin. Autre bonne nouvelle, d’après la base de données, il y avait bien une copie, dans l’une des salles dédiée aux ouvrages anciens, d’un livre intitulé « les chemins secrets de l’enfer ». Après une négociation plutôt brève – facilitée par la référence qu’il avait fournie au début de la conversation – le bibliothécaire l’informa qu’il était disposé à l’autoriser à consulter l’ouvrage, à condition de ne point prendre de photographie et de rester dans la salle où le livre était rangé. Trop heureux d’avoir obtenu gain de cause, il ne discuta pas des conditions. Dès qu’il eut l’ouvrage d’Ollando entre les mains, il remarqua quelques différences entre les deux exemplaires et regretta d’avoir laissé le sien dans le coffre de l’hôtel. L’édition qu’il feuilletait était un peu plus ancienne que celle en sa possession, et comportait au moins une vingtaine de feuillets supplémentaires. Sans doute était-elle plus compréhensible aussi. Il songea un instant que s’il avait apporté son exemplaire il aurait pu procéder à une substitution, mais se consola en se disant que l’opération aurait sans doute été délicate sous l’œil vigilant de la caméra vidéo qui clignotait non loin de lui dans l’angle de la salle. Il pensa que le plus simple était de revenir le lendemain, et de demander l’autorisation en bonne et due forme à l’ami d’Ollando de prendre quelques clichés judicieux.

Avant de rendre l’ouvrage, il découvrit la présence d’un dessin qui ne figurait pas dans sa version : sur une page entière du livre, un schéma étrange reprenait deux des dessins du manuscrit, la façade du musée et une vue plus ou moins en coupe du Vésuve. Différence importante entre les deux schémas : le palais et le volcan se trouvaient chacun à une extrémité de la page et semblaient reliés par une sorte de long couloir souterrain ; dans les deux documents, papier et livre anciens, en sa possession, les deux représentations figuraient l’une en dessous de l’autre, et il n’y avait pas de galerie joignant les deux. Encore un mystère à éclaircir. Il resta bien deux heures dans la bibliothèque, puis il rendit l’ouvrage à son gardien et quitta le bâtiment. Il flâna pendant de longues heures dans le quartier, mais ne prêta guère attention aux joyaux qu’admiraient les autres touristes, tant son esprit était occupé par ce qu’il venait d’observer… Etait-il possible qu’il existe réellement une sorte de couloir dans les profondeurs ? Chemin souterrain creusé par les hommes ou cheminée volcanique latérale ? Fallait-il établir une relation quelconque entre la lave du Vésuve et la possibilité de réduire en cendres le bastion central du Christianisme ? Que venait faire dans cette histoire la date du 2 janvier 2012 ? Il eut beau tourner le problème dans tous les sens, il ne trouva de réponse cohérente à aucune de ces questions. Fatigué de réfléchir, il décida qu’il devait consacrer plus de temps au texte même des « chemins secrets », chercher éventuellement d’autres pistes (il pensait en particulier à effectuer un rapprochement avec « l’enfer de Dante ») et pour cela il fallait qu’il retourne à la bibliothèque. Il rentra dans une trattoria et s’attabla devant une énorme platée de spaghettis aux champignons…

Le lendemain, à l’aube (du moins à l’heure qui était pour lui celle de l’aube), il quitta son hôtel. Il se contenta d’un expresso. Les viennoiseries industrielles qu’on lui avait servies la veille étaient si mauvaises qu’il ne souhaitait pas renouveler l’expérience. Mieux valait s’arrêter dans la pâtisserie réputée qui se trouvait à l’angle de la Piazza dell’Unità. Là au moins, il trouverait de quoi porter préjudice – avec un minimum de délectation – à cette ligne qu’il avait tant de mal à préserver. Il poussa la porte du magasin et prit place dans la queue. Visiblement, la clientèle du magasin était essentiellement composée de vieilles rombières fortunées, ce qui le dérangea un peu… Deux minutes après lui, un autre personnage, quelque peu singulier, pénétra dans la boutique. L’homme était costumé en Père Noël. Sa houppelande était si grande qu’elle trainait par terre et que ses bras étaient entièrement dissimulés. Une fois la porte franchie, l’homme dévisagea les autres personnes présentes dans le magasin en maugréant quelques paroles incompréhensibles, puis il observa longuement le comptoir et se mit à hurler (version française) : « Des papillotes, vite !… ou je fais tout sauter ! » La violence du ton employé surprit tout le monde et l’activité du personnel du magasin cessa d’un coup. Une employée un peu âgée qui se tenait près de la caisse s’adressa alors à l’intrus et le pria d’attendre son tour et de s’exprimer avec un peu plus de retenue. L’homme comprit qu’il n’avait pas été pris au sérieux. D’un geste il se débarrassa de sa robe de père Noël, et les gens présents dans le magasin s’aperçurent alors qu’il portait une énorme ceinture autour de la taille. Il tenait un revolver à la main. Son bras se redressa tranquillement ; il visa soigneusement et tira ; sa balle explosa littéralement un énorme plateau garni d’une pyramide de chocolats de Noël. Tout le monde se jeta au sol. Le dernier détail qu’aperçut Paul Employ c’était un panonceau accroché à la caisse : « la direction s’excuse mais nous sommes en rupture de stock pour les papillotes. »

Les touristes qui traversaient au pas de charge la piazza dell’unità, ceux qui remontaient la via Crescenzio ou la via Alberico, en fait, tous ceux qui se trouvaient dans le quartier, entendirent une explosion énorme. Un nuage de débris s’éleva vers le ciel et retomba sur un rayon de plus de cent mètres. Une confusion extrême régna dans le quartier et retarda l’intervention des secours. Lorsque le calme fut enfin revenu, on s’aperçut, à la stupeur général, que la pâtisserie Alighieri n’était plus qu’un énorme tas de décombres. On découvrit une quinzaine de corps sous les gravats. Aucun survivant parmi le personnel et la clientèle supposée de la boutique. Chose surprenante, à l’extérieur du magasin par contre, il n’y eut que des blessés légers. L’enquête débuta rapidement, mais peina à progresser. Le 2 janvier, un journal à gros tirage informa les citoyens italiens que dans la poche du veston de l’une des victimes, un touriste soi-disant français du nom de Employ, on avait trouvé un papier au bas duquel figurait cette étrange signature : H.K. Ida.
Le 2 janvier 2012 à midi, l’ensemble des bâtiments du Vatican était toujours debout. Un observateur tant soit peu attentif aurait pu cependant remarquer que de petits nuages de fumée s’échappaient par intermittence d’une porte vitrée ouverte à l’arrière d’un balcon célébrissime…

Notes diverses : (*) Pour lire le précédent, il faut zapper un an en arrière. Pour lire le précédent du précédent…
Cette histoire farfelue, comme vous vous en doutez,  est directement sortie de l’imagination de son auteur et ne repose sur aucun fait réel. Tous les personnages sont bien entendu fictifs… Et pourtant, au moment où j’écrivais ce texte, d’étranges événements se sont produits.  L’anecdote du « vieux papier » trouvé dans un livre d’occasion neuf (sauf que dans mon cas il s’agit d’une publicité pour la contraception datant de 1910 !) s’est produite ces jours-ci. La tentative de braquage dans la pâtisserie romaine présente quelques ressemblances avec un fait-divers ayant eu lieu au mois de décembre en région parisienne (un homme braque des boulangers avec un revolver et repart avec quelques euro de viennoiseries ; ce hold-up singulier s’est déjà produit à 5 ou 6 reprises). Par ailleurs, certains citoyens italiens se battent actuellement pour que l’Eglise ne bénéficie plus des avantages fiscaux considérable dont elle dispose. Le simple paiement des impôts fonciers et de l’impôt sur les bénéfices réalisés par ses « filiales » suffirait à combler une bonne partie du déficit du pays…

4 Comments so far...

JEA Says:

24 décembre 2011 at 16:29.

quand vous rencontrerez encore des mots en Wallons, je tenterais volontiers de vous les traduire sans les trahir ni trahir votre confiance…
NB : ma cadence pour tâter une bouteille est loin de se montrer tégévéèsque…

JEA Says:

26 décembre 2011 at 02:20.

le « s » à Wallons
parce que le Wallon de Charleroi n’est pas le mien (celui de Namur) qui n’est pas celui de Liège qui n’est pas celui de La Louvière qui n’est pas celui Gembloux qui n’est pas celui d’Andenne qui…

Paul Says:

26 décembre 2011 at 08:45.

@ JEA – correction apportée par une précision : il s’agit bien entendu de wallon de Namur !

JEA Says:

31 décembre 2011 at 08:20.

Alors en wallon de Namur :
– « Les Chwès d’ Nameur vos sohêtet ene fwärt BONE ANEYE avu : 365 djoûs d’ene sintéye di fier, 12 moes d’ bouneur, et 4 såjhons di plin solea. Fuxhoz tertos branmint pus sovint amoreus k’ malådes, vos n’ åroz pont d’ rujes, nos payrans l’ médcin et co l’ apoticåre… »

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