4juin2012

Helpx, ou le plaisir d’être un voyageur utile

Posté par Sebastien dans la catégorie : Feuilles d'érable.

 La première fois, ils ‘appelaient Bob et Catherine. La suivante s’appelait Sarah. Puis ce fut le tour de Bernd. Suivi de Megan et Tao, puis de Terry et Jo…

Quand je suis venu m’installer au Québec, je rejoignais une Québécoise que j’avais rencontrée une année plus tôt. Très rapidement, je me suis trouvé intégré dans la vie quotidienne des Québécois. Découvrir leur mode de vie, apprendre leur histoire, vivre leur vie au jour le jour. Contrairement à la grande majorité des personnes que j’ai rencontrées qui venaient passer un séjour plus ou moins long au Québec, restant souvent entre expatriés, et ne privilégiant que les activités du parfait touriste au Québec, j’ai plongé entièrement dans mon nouvel environnement. J’ai appris à quel point il était magnifique de découvrir un nouveau pays, un nouveau mode de vie, de nouvelles habitudes. J’ai très vite compris, à cause de cela, que passer simplement quelques jours ou semaines en voyage ne me satisferait jamais tout à fait. Car je n’arriverais jamais à créer un lien suffisant et assez durable avec les habitants. Il n’était plus question de partir visiter un pays, mais d’aller vivre ailleurs.

Couchsurfing est venu pallier, en partie, à ce besoin de rencontrer les gens, de découvrir leur mode de vie. Mais quand vous ne restez que quelques jours chez quelqu’un, ça ne reste encore que très superficiel. Couchsurfing vous permet d’avoir un aperçu. C’est un peu comme tremper son gros orteil dans le lac, en se demandant si on a envie de s’y plonger tout entier. Si la taille du site permet de se créer un réseau social très rapidement en voyage, l’aperçu culturel que vous aurez sera pourtant biaisé. Car vous serez principalement entouré de voyageurs.

  Et puis j’ai découvert Helpx (pour Help Exchange), un réseau international au principe très simple : permettre à des personnes d’être nourries et logées, en échange de quelques heures de travail quotidien Je connaissais déjà le WWOOFING (World-Wide Opportunities on Organic Farms), qui fonctionne exactement sur le même principe, mais j’avais quelques réticences. D’abord, en règle générale, le wwoofing se fait sur des fermes. Le wwoofer devient alors, à mes yeux, une sorte de main d’oeuvre bon marché. Il est beaucoup plus économique de fournir hébergement et couvert plutôt qu’un salaire. En contrepartie, il est vrai aussi que certaines fermes/familles/petites exploitations, ne peuvent pas forcément se payer de la main d’oeuvre. Il n’en reste pas moins que j’ai toujours un petit blocage à l’idée que ma contribution permette à d’autres de faire de l’argent. De plus, l’inscription au réseau est assez dispendieuse. Mon intention n’est pas du tout de parler en mal de Wwoofing ; j’aime le concept d’échange en arrière, et j’ai rencontré énormément de gens qui ont vécu de superbes expériences en wwoofing. Je n’en ai moi même aucune, tout du moins jusqu’à présent, donc je ne suis pas vraiment bien placé pour en parler. Helpx, de son côté, offre des frais d’inscription beaucoup plus raisonnables, et ne pose aucune contrainte au niveau de l’hôte. Ce qui veut dire que toute personne ayant besoin d’un peu d’aide au quotidien peut décider de s’inscrire comme hôte. Cela va de la mère célibataire qui a besoin d’aide pour faire tourner la maison, au restaurateur qui recherche une aide à temps partiel, en passant par la famille qui rénove sa nouvelle maison. Certains hôtes vont chercher une aide très spécialisée en fonction de leur projet (maçonnerie, rénovation…) d’autres quelque chose de plus général (cuisine, désherbage, etc…).

 Bref, vous l’avez compris, Helpx est extrêmement polyvalent ce qui, selon moi, fait la force du réseau. Ce qui permet aussi, évidemment, toutes sortes d’abus. De la même façon que je suis réticent au Wwoofing à certains niveaux, je ne veux pas travailler dans un restaurant 4 heures par jour uniquement contre nourriture et logement. L’autre attrait d’Helpx réside dans la possibilité de laisser des références. Il est donc possible de vérifier (plus ou moins) si la personne qui s’apprête à vous recevoir est un tyran ou un hôte accueillant. Le réseau grandissant très vite et gagnant en popularité, nombreux sont les nouveaux hébergeurs n’ayant pas encore de références. À partir de là, c’est évidemment le bon sens et la communication qui prévalent.

J’en suis à ma cinquième expérience Helpx. Différentes à chaque fois, mais toutes ont été formatrices. J’ai creusé des trous, installé des clôtures, coulé du béton, construit une cabane, fait à manger, donné des câlins à des kangourous, fait du ménage… oui, être versatile est définitivement un atout quand on veut se transformer en Helper. Mais plus que les multiples projets que j’ai réalisés, ce que je regarde aujourd’hui, ce sont les nombreuses discussions que j’ai eues avec tous mes hôtes. J’ai eu un plaisir immense à apprendre à connaître chacun d’eux, à découvrir leurs modes de vie, et leurs habitudes. Et tout cela m’a permis de plonger un peu plus profondément dans la culture australienne. Le rythme australien m’a tranquillement contaminé. Je m’y suis adapté, comme je m’étais adapté au rythme québécois. J’ai appris sur le pays et sur son histoire, j’ai appris sur sa culture et ses traditions. D’un point de vue humain, l’expérience est tout simplement magnifique.

 Et d’un point de vue économique alors ? Pourquoi pas… faisons parler les chiffres. En Australie, le salaire minimal est de 15$ de l’heure. On attend de moi que je travaille entre 20 et 25 heures par semaine. Si j’étais payé, donc, je gagnerais dans les 350$ par semaine. Même en déduisant les impôts, il me resterait assez pour me payer un logement, ma nourriture, et sans doute mettre un peu de sous de côté. Pourquoi préférer Helpx dans ce temps là, à un vrai travail, avec du vrai argent, qui rendra mon vrai banquier heureux ? Les raisons sont multiples.

Trouver un hôte avec Helpx est beaucoup plus facile que trouver un emploi. Les démarches sont beaucoup moins complexes, et l’engagement beaucoup moins contraignant. On restera un certains temps, une ou deux semaines. Ou plus, tiens, si on s’entend bien. De la même façon, comme la météo annonce beau temps les deux prochains jours, je pense que je vais en profiter pour aller faire du camping. Je n’imagine pas un employeur prêt à me donner deux jours de repos, sans préavis, pour que je puisse profiter de la météo. Le rapport entre l’hôte et l’helper est un rapport entre deux êtres humains. Les personnes qui m’ont reçu n’ont jamais gardé l’oeil sur leur montre, chronométrant mes faits et gestes. Du moment que l’argent n’a pas sa place dans l’échange, on découvre très rapidement que les rapports sont beaucoup plus simples. Agréables. Honnêtes. On parle ici d’un échange de services. Au lieu d’un rapport dominant dominé, on se contente, ici, de s’entraider. On se dit merci. Et on est extrêmement reconnaissant pour ce que l’autre nous apporte. Parce que l’autre ne nous apporte pas un salaire ou un profit, mais du bien être.

 En tant qu’Helper, en tant que la personne qui va d’un hôte à l’autre, proposant mes services, j’ai trouvé un mode de voyage qui me plait énormément. Parce que oui, en effet, j’aide les gens. Je sais que grâce à moi, les gens chez qui je suis auront la vie un peu plus facile. Parce qu’ils pourront prendre 30 minutes de plus après le travail pour aller au yoga pendant que je garderai les enfants. Parce qu’ils n’auront pas à se soucier de préparer le repas ou de faire les courses en rentrant. Parce qu’ils pourront s’asseoir et respirer cinq minutes pendant que je donnerai le biberon à l’un des bébés kangourous. Il y a dans le fait de voyager quelque chose d’extrêmement égoïste. Le voyageur est souvent tourné vers lui même, son itinéraire, son confort, son voyage, sa prochaine destination. Voilà que je ne suis plus un voyageur égoïste. Voilà que je deviens un voyageur utile aux autres.

Il va sans dire que ce mode de voyage permet de réduire drastiquement le budget d’un voyage. Évidemment, ça oblige à prendre plus son temps. À rester plus longtemps à la même place. Mais justement, du temps, maintenant que je n’ai plus besoin d’argent, j’en ai. C’est un cercle qui est loin d’être vicieux !

Et puis je l’avoue et je le reconnais… alors que je voyage avec ma flûte, mon didgeridoo, et mon recueil d’histoires dans ma tête, je ne peux m’empêcher de penser à ces vagabonds d’autrefois, qui allaient d’une ferme à l’autre, apportant les nouvelles, mais aussi apportant de la musique, du changement, de la nouveauté. Oui, il y a décidément quelque chose qui me plait, dans ce mode de vie. Sur ce, il faut que j’aille câliner un kangourou…

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1juin2012

De bric et de broc, le bric à blog de mai se construit…

Posté par Paul dans la catégorie : Bric à blog.

 Mais non, la Feuille Charbinoise n’est pas morte. Elle frétille même encore (du pixel). C’est simplement que, comme disait la très sainte femme qui me sert de grand-mère virtuelle, on ne peut pas être à la fois au four et au moulin, en l’occurrence s’occuper avec amour des invités de passage que l’on héberge (et exploite) chez soi, et des gentils/tilles lecteurs/trices qui bouillonnent d’impatience en attendant la suite des aventures d’Oncle Paul, le guérillero libertaire du clavier. Cette accalmie m’a été tout à fait profitable et m’a permis de ne pas résoudre l’un de mes problèmes majeurs : d’une dizaine de chroniques partiellement rédigées, je suis passé maintenant à une bonne quinzaine. Comme notre bonne Jeanne, j’ai des illuminations, j’entends des voix mais je me laisse distraire par une histoire de barbecue et je n’arrive pas à bouter mes projets jusqauboute. Trêve de jérémiades : bloguons. On commence bien entendu par un apéritif politique. Pas de trêve, pas de répit pour les nouveaux et les nouvelles venu(e)s.

 Le gouvernement  est en place et préside maintenant aux destinées de la France… Je ne suis pas sûr que le score obtenu par le camarade Mélenchon ait pesé beaucoup sur sa composition. L’assortiment proposé aux électeurs ne me paraît pas particulièrement « marqué » à gauche. Si l’on retient le choix de Manuel Valls, comme symbole de la politique qu’envisage de conduire la nouvelle majorité, on peut même s’inquiéter sérieusement… L’article d’Alain Gresh sur « Nouvelles d’Orient – les blogs du diplo » présente une analyse intéressante, ainsi qu’un portrait détaillé de ce politicien « de gauche » dont les idées ne différent guère de celles de son prédécesseur à l’intérieur… A lire donc à moins que cela ne vous fasse de la peine d’écorner vos illusions : « Vous avez aimé Claude Guéant ; vous adorerez Manuel Valls« . Tant pis si je me fais traiter de trouble-fête ! Puisqu’on en est aussi à la galerie de portraits des nouveaux venus, Article XI publie un portrait d’une autre dame, Geneviève Fioraso, bien connue des Grenoblois (à défaut d’être célèbre sur le plan national), que notre bon Père François a choisi pour veiller à l’avenir souriant de l’enseignement supérieur.  Quant à l’écologie, je laisse Fabrice Nicolino vous présenter la nouvelle venue dans ce ministère, Nicole Bricq… J’attends avec impatience de voir comment les nouveaux venus vont gérer certains dossiers en attente, du nucléaire au gaz de schiste en passant par l’extension de l’aéroport de Nantes, des fichiers policiers ultra-sécuritaires au problème des retraites, en passant par l’état déliquescent de certains services publics. Je pense que le nouveau panier à salade aura besoin d’être sérieusement secoué par quelques mouvements populaires si l’on ne veut pas se retrouver avec une politique « travailliste » quelconque à l’allemande ou à l’anglaise, histoire de précipiter un peu plus les naïfs et les indécis dans les bras de la blonde sulfureuse. Pour conclure ce paragraphe franco-français sur une note optimiste, je dirai que la seule pour laquelle j’ai une once de sympathie c’est Mme Taubira la nouvelle garde des sceaux. Quand je vois le niveau des commentaires sarcastiques de ses adversaires, je me dis que cette femme ne peut pas être foncièrement mauvaise. Ça ne suffit pas à en faire une ministre sympathique mais c’est déjà une base correcte.

 Extrême droite et écologie (habile transition) ; pureté de la nature, de la race et de l’individu… ou, autre façon de parler – moins politiquement correcte – nazi et bio : un article intéressant à ce sujet : « Des néo-nazis certifiés bio« , publié à l’origine en Allemagne, puis traduit et reproduit sur le site « Presseurop » qui propose une sélection de textes publiés dans la presse européenne… On peut être « bio » et « con », c’est connu. On peut également être « bio » et « chasseur de fric ». Mais on peut également être  « bio » et « dangereux », c’est pas nouveau, c’est moins connu : bon pour le corps, mauvais pour l’esprit !  Si on limite son approche de l’agriculture bio à une simple recherche d’une alimentation bonne pour la santé, il n’y a qu’un pas à franchir pour se retrouver sur une ligne idéologique verte, mais plutôt tendance vert de gris : un mental sain dans un corps sain, une race pure, une nation belle comme une parade hitlérienne devant la porte de Brandebourg. Les liaisons dangereuses entre défenseurs de la nature et nazisme ont existé dans le passé (cf le professeur Carrel, encore admiré par certains naturopathes invertébrés). Histoire de montrer que je ne m’en prends pas qu’à nos voisins Allemands (l’un des pays dans lequel l’extrême droite réalise ses plus mauvais scores aux élections), je peux traverser l’Atlantique… L’exemple des Etats-Unis montre que l’on peut « dénaturer » n’importe quelle idée ; certains idéologues décomplexés n’ont pas résisté à créer une version de droite de l’anarchisme (ils se sont pompeusement auto proclamés « libertariens ») ; certains courants écologistes flirtent avec le racisme en élaborant des équations simplistes genre « immigration = pollution ». Ce que dénonce l’article mentionné en tête de paragraphe n’a donc rien de surprenant, à savoir que certains agriculteurs bios allemands fricotent avec le NPD…  Si mes souvenirs sont bons, les premiers mouvements de défense de l’agriculture bio en France n’étaient pas constitués que de « paysans travailleurs » ou de militants du Larzac. Dans les années 70, certains courants fleuraient bon le pétainisme. Ce qui est à craindre maintenant du côté de la bio, c’est plutôt l’arrivée d’affairistes, convaincus de fraîche date, et prêts à faire un maximum de blé avec une piquette douteuse mais « ô combien naturelle ». Les salons sont maintenant remplis de ces charlatans qui voudraient faire passer un vin de pays très moyen pour le nectar « naturel » attendu par les foules enthousiastes. Vaste débat qui déborde largement le cadre d’un « bric à blog », mais qui me tient à cœur.

 Beaucoup de choses à dire, et à lire sur la magnifique grève des étudiants au Québec. 100 journées de lutte le 28 mai… Bravo à Normand Baillargeon pour son texte « je porterai dorénavant un carré noir » publié sur le site « voir Montréal ». Cela confirme, une fois de plus, que la seule réponse que les gouvernements de nos prétendues démocraties ont à offrir aux mouvements protestataires de la jeunesse, c’est une répression sans cesse accrue. Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement libéral mou, en perte totale de crédibilité dans l’opinion publique, décide de jouer la carte de la répression à tout va pour redorer son blason. Quand cet éternel recommencement cessera-t-il ? En tout cas, la lutte exemplaire que mènent les étudiants québecois mérite d’être suivie de près et soutenue par l’opinion publique internationale. Beaucoup de personnalités ont pris la plume au Québec pour dénoncer la politique du gouvernement. Parmi les témoignages à lire, j’apprécie beaucoup également le texte « l’acte fondateur de l’âge barbare » rédigé par Gordon Lefebvre et Eric Martin. Il est reproduit sur le site  « Etat Critique ».

Et Fukushima hein ? Plus rien à dire sur Fukushima ? Mais si bien sûr ! L’opérateur de la centrale vient de reconnaître (enfin !) que les fuites radioactives ont été beaucoup plus importantes qu’annoncé sur le moment, en mars 2011. Ce n’est pas le manque de « transparence » qui est en cause dans cette erreur (raclements de gorge dans la foule…) mais le fait que les capteurs de radioactivité proches de la centrale ont été détruits par le tremblement de terre. « Les radiations émises pendant les trois premières semaines représenteraient, à elles seules, le sixième des radiations émises par la catastrophe précédente de Tchernobyl. Un complément d’info à ces propos alarmistes en lisant cette dépêche de l’agence Reuters parue le 24 mars. Dormez tranquilles, n’oubliez pas de brancher votre clim après votre séance de bronzage aux UV… Les nucléairocrates veillent sur votre sommeil. J’ai quand même eu le temps de noter ces paroles entendues dans la bouche du premier ministre japonais de l’époque, Naoto Kan, ces paroles que nos nouveaux gouvernants devraient méditer : « Le nucléaire n’est sûr que lorsque l’on ne s’en sert pas ». Lucidité tardive, mais lucidité quand même ! Cette déclaration n’a – en tout cas – pas fait la une de la presse française…

On enchaine par des liens vers des textes un peu plus réjouissants. Si vous faites partie, comme moi, de la grande confrérie des amateurs et amatrices de Science Fiction, vous apprécierez sûrement le site « Archéo SF« . Le titre dit bien ce qu’il veut dire : l’auteur s’intéresse aux « grands anciens » de la littérature fantastique et de la littérature de Science Fiction. Même si vous n’avez pas le goût de lire ce genre de textes, allez quand même feuilleter quelques pages, les illustrations sont un vrai bonheur pour les yeux !
J’ai plus ou moins inauguré le mois dernier une rubrique musicale, orientée sur la chanson à paroles. Rien de vraiment nouveau ce mois ci, mais beaucoup de découvertes à faire sur les adresses données précédemment. Le travail qu’effectue Eric Nadot sur « Tranches de scènes » et sur « qui chante ce soir » est vraiment remarquable et ces sites méritent des visites régulières. Restant dans le domaine culturel, je vous propose une nouvelle adresse, découverte récente elle aussi. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un blog musical, mais d’un blog, plutôt sympa, qui aborde de nombreux thèmes parmi lesquels la chanson à paroles, l’écriture, la poésie… Ça s’appelle le « dix vins blog« . Rien que le titre m’a mis l’eau (?) à la bouche… Certes je ne partage pas entièrement l’enthousiasme des auteurs pour la nouvelle équipe au pouvoir, mais j’aime la diversité des sujets traités, de l’almanach Vermot dans les temps anciens, aux billets d’humeur politique, en passant par le roman-feuilleton… J’avoue, dans le même style de blog, préférer les chroniques quotidiennes des « Cénobites tranquilles », mais j’apprécie beaucoup le fait de butiner à des sources très diverses et puis la cénobitattitude n’est pas donnée à tous !

  On termine par une belle histoire de kangourous orphelins et de gens dévoués qui donnent leur temps et leur argent pour essayer de les sauver et de le les intégrer à nouveau dans leur milieu naturel. C’est de la promotion familiale, mais quand c’est mérité, il y a pas lieu de faire la fine bouche. Je vous invite à lire la très belle chronique rédigée par notre fils Sébastien, actuellement en vadrouille en plein cœur de l’Australie profonde. Une fois que vous aurez lu « Terry et Joséphine » (en cliquant sur le petit drapeau ad’hoc vous aurez le texte en Français), vous pouvez prolonger votre visite sur ce blog passionnant. Ce n’est pas le seul texte qui parle de kangourous orphelins. Sébastien est l’auteur du prochain billet qui sera publié sur « la Feuille Charbinoise ». Il revient sur l’association help’x mais vous donnera cette fois le point de vu de l’exploité et non celui de l’exploiteur. C’est très intéressant. Je pense même que ce n’est pas la dernière fois que nous parlerons de voyages et de voyageurs sur ce blog !
Une précision pour éviter les protestations virulentes. Le sujet principal figurant sur la dernière image n’est point notre fils – bien entendu. La scène illustrée se déroule en 1878. Les colons se livraient à l’époque à la même œuvre civilisatrice avec les kangourous qu’avec les bisons sur un autre continent… L’article, figurant à l’intérieur de la revue, intitulé « chasses aux kangourous » débute de la manière suivante : « Parmi tous les animaux de la création, les marsupiaux sont ceux à qui la nature semble avoir donné le moins d’intelligence. On sait qu’ils ne reconnaissent pas même le gardien qui, depuis de longues années, fournit tous les jours aux soins de leur nourriture. Aucun d’eux n’est sensible aux caresses qu’on lui donne. Leur voix consiste en une sorte de grognement qui est souvent à peine perceptible […] Les colons de l’Australie se donnent souvent le plaisir d’une chasse à ces animaux. Ils les cernent quand ils sont en hordes, et les tuent à coup de lance et de bâton… » Les protecteurs de cette espèce apprécieront.

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25mai2012

Maison ouverte ?

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Le clairon de l'utopie.

 Promenade dans les environs de notre ermitage, à brunante, juste avant la grande noirceur, comme l’expriment si bien les Québecois francophones. Nous sommes cinq, trois jeunes « helpeuses » en séjour à la maison pour une relativement longue durée, ma compagne et moi. Besoin de se dégourdir les jambes, après une journée pourtant bien remplie. Depuis une dizaine d’années environ, plus moyen de quitter le hameau et de faire un circuit sans traverser l’un de ces lotissements nouveaux que les urbanistes contemporains se sont ingénié à laisser se disperser autour des villages traditionnels. Plongée brève mais angoissante, dans l’un des aspects de cette société moderne qui me traumatise en profondeur. Je ne donnerai pas de détails permettant une localisation trop précise, histoire d’éviter les récriminations de voisins grincheux. Il faut se méfier ; Monsieur Toulemonde passe beaucoup de temps devant l’écran de son téléviseur mais ne dédaigne pas pour autant les excursions virtuelles avec Google ou Yahoo comme guides accompagnateurs. « C’est vous qui rédigez la Feuille Charbinoise ? » – Réponse à la Judas : « Non c’est quelqu’un qui a usurpé mon identité ; je vais lui intenter un procès ! Vous pensez, je ne me permettrai pas de telles insinuations ! »
Une grosse villa, un peu prétentieuse à mon goût… Elle est ceinturée par un mur en béton, très laid, surmonté d’une palissade en faux bois, genre vinyl ou autre matière plastique moulée. L’ensemble est clos par un portail… opaque. Deux piliers encadrent ce monument de laideur, ambiance Fleury Mérogis ; ils servent de support à un équipement électronique dernier cri : détecteur de présence, vidéo surveillance, récepteur de télécommande puisqu’ils sont électrifiés, éclairage aveuglant, interphone… Même la gendarmerie locale ne possède pas telle quincaillerie me semble-t-il. Il ne manque que le clebs de service, mais si ça se trouve il y est peut-être… Par les interstices de la barrière, on aperçoit quelques unes des baies vitrées de la façade. Deux sur trois, de ce côté-ci, sont closes par des volets roulants – électriques eux aussi. La maison est sans doute occupée puisque l’on aperçoit, par la troisième ouverture, l’angle d’un meuble et une lampe d’ambiance, nul doute très chaleureuse. Grâce aux doubles (triples) vitrages, nul bruit ne sourd de la forteresse. Nulle odeur non plus. On n’est plus à l’époque où l’on pouvait s’amuser à deviner les plats qui mitonnaient sur les cuisinières, dans ces rues méridionales aux huis entrouverts. Odeurs ? Y en a t-il seulement dans ces demeures « design » où la hotte aspire la moindre émanation épicée, où les barquettes décongèlent tranquillement dans un micro-onde inox, après quelques coups de fourchette destinés à éviter l’explosion fatale ?

 Un peu plus loin, la route longe une autre demeure, plus modeste d’apparence. Comme elle est construite sur une butte (j’allais dire sur une motte féodale…), la muraille d’enceinte ne permet pas d’empêcher les curieux de jeter un œil à l’intérieur. Encore faut-il que les volets, les rideaux, ou les stores ne soient point fermés. Le seul signe de vie apparent est fourni par l’écran géant d’un téléviseur extra-plat qui se montre à travers la porte vitrée du salon. Une ou plusieurs silhouettes s’agitent sur l’écran, puis on a droit à un gros plan sur une personne, une femme semble-t-il, élégamment vêtue, qui a l’air de donner un cours, et qui arbore un air tout aussi pédagogique que magistral. Double garage (il en faudra bientôt un triple ou un quadruple dans certains pavillons) mais l’une des voitures est restée à l’extérieur. Peut-être un travailleur matinal qui ne veut pas, en début de semaine, gérer l’ouverture et la fermeture de la porte de son garage, plus celle de son portail. Je ne pense pas qu’il y ait de sas de compression… Nous ne sommes pas sur Mars, et, même s’ils ont l’air de cosmonautes, nos voisins respirent sans doute le même air que nous… Tout cela m’interpelle… J’abandonne la promenade, je fais demi-tour et je m’assieds à mon tour devant un clavier et un écran. J’ai besoin de traduire par des mots cette impression pénible que j’ai ressentie en marchant. Mon cerveau cogite. Eux et nous… Ce soir, j’ai l’impression qu’un monde nous sépare… Dans quelques minutes, nos voyageuses de passage vont rentrer et nous pourrons discuter de leurs projets à venir autour d’un petit verre de liqueur ou de grappa. Pour l’heure, je suis seul et indécis.

Plusieurs jours ont passé et je reprends cette chronique, au point où je l’avais laissée, mais avec l’envie de partir dans une direction opposée, de positiver en quelque sorte…

 Inutile de dire que nos choix de vies sont bien différents. S’il y a un portail devant la maison, il est constamment ouvert et nous avons perdu la clé de bien des portes (toute ressemblance avec la maison bleue sur la colline à San Francisco n’est que purement culturelle). Il n’y a ni naïveté, ni angélisme dans cette décision. Ce n’est pas une décision d’ailleurs, au sens strict du mot ; plutôt un constat, un état des lieux ou simplement la volonté paresseuse de ne pas nous empoisonner la vie avec des codes, des motorisations électriques et des mots de passe à rallonge. Et puis nous préférons les chats, même cons (clin d’œil à Mère Castor) aux chiens aboyeurs. Certes, cette attitude nous a valu quelques déboires matériels par le passé, mais rien de bien marquant en regard des heures que nous avons économisées à ne pas nous compliquer la vie. Cet aspect matériel n’est pas essentiel ; on peut fermer ses portes (sans que cela tourne à l’obsession) sans pour autant fermer son cœur et son mental. Disons que chez nous l’état matériel des choses traduit un peu notre état d’âme. Mais chacun est maître de ses choix en fonction de la situation locale. Je comprends très bien que l’on n’apprécie guère, dans certains lieux, de voir ses affaires personnelles distribuées à des gens inconnus qui n’en ont généralement pas besoin. Je comprends moins que l’on agisse uniquement en fonction d’une angoisse souvent générée par les médias. Et puis sachez qu’un cadenas ne décourage pas longtemps un visiteur de la nuit et qu’à moins de recourir à un arsenal complexe alliant doberman, radar, alarme et serrure à dix points, vous ne gagnerez jamais cette guerre-là. Seuls votre assureur et votre marchand de sécurité seront vraiment ravis. Certaines fortifications, au Moyen-Âge, bien qu’ayant atteint un niveau de perfectionnement élevé, n’ont pas suffi à décourager des assaillants très motivés (cf le siège de Château-Gaillard par exemple).

Pause lecture : j’ai beaucoup aimé lire « les aventures extraordinaires de Laplume et Goudron, travailleurs de la nuit », un petit bouquin de Claire Auzias, aux Editions Libertaires. J’en ai conclu qu’il valait mieux avoir une vieille voiture et des bijoux en plastique plutôt qu’une Ferrari, des diamants et une alarme ! Au bon vieux temps d’Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur, les victimes étaient toujours ciblées. Les objets « empruntés » au domicile de Pierre Loti, lui furent restitués car « on » ne cambriolait pas les gens de lettre…

Revenons à nos moutons blancs et noirs… De tous temps, beaucoup de gens, au masculin comme au féminin, ont défilé à la maison : amis, militants, voyageurs, inconnus ou les quatre à la fois… Depuis que nous avons adhéré à des associations comme Couch’Surfing et Help’x, ce défilé ne va pas en diminuant… Les rencontres extrêmement riches que nous faisons à toutes ces occasions, ne font qu’ouvrir un peu plus notre esprit sur le monde, et nous permettent de faire des découvertes extraordinaires. Il s’agit là d’un remarquable antidote contre la morosité ambiante, et contre le « tous des cons » qui nous vient bien souvent à l’esprit en d’autres circonstances. Rares sont les rencontres qui nous ont laissés indifférents. Nous devons à notre fiston québecois-australien cette adhésion à l’association Help’x (comme celle à CS d’ailleurs) et nous ne le regrettons pas. Une anecdote ? Nous dialoguons, via Skype, avec notre voyageur qui s’occupe actuellement de kangourous orphelins, au beau milieu du désert australien. L’une des deux Canadiennes présente à la maison remercie le père nourricier d’avoir poussé ses vieux parents à recruter de courageuses stagiaires pour les aider dans leurs diverses farfeluteries. S’ensuit un concert à la guitare qui vogue sur les ondes, en l’honneur du bébé kangourou. Celui-ci, un peu ingrat, semble préférer les bras qui le dorlotent et surtout le biberon qui l’alimente. Tant qu’à faire, la berceuse chantée par notre artiste locale est un chant traditionnel en Swahili… Rose vient de séjourner pendant plus d’une année en Afrique du Sud, et rapporte de son séjour un bagage culturel conséquent qu’elle partage volontiers. Elle fait le tour du monde, mais prend le temps de faire des étapes qui lui permettent de mieux appréhender le milieu environnant. Anecdote, certes, parmi tant d’autres, mais condensé de l’une des soirées pittoresques que nous venons de vivre au mois de mai… Difficile de dénigrer Internet après ça – le réseau a grandement facilité toutes ces rencontres… La vraie mondialisation se situe probablement dans ce secteur là.

Plusieurs jours passent à nouveau avant que je reprenne ce texte ; la tête toujours bien pleine d’images nouvelles et de réflexions plus ou moins sérieuses…

 Quand j’évoque cette notion de « maison ouverte » c’est donc surtout en opposition avec ce phénomène de frilosité, de repli sur soi que nous observons de plus en plus autour de nous. Ce qui m’amuse c’est que, lorsque nous nous sommes installés dans le secteur, il y a maintenant une quarantaine d’années, nous avons été rapidement classés comme « marginaux ». Il faut dire que le fait de s’installer en communauté (même si celle-ci n’a eu qu’une brève durée d’existence) a largement contribué à établir notre réputation. Celle-ci a duré quelques longues années. Dans le village d’à côté, par exemple, lorsque l’on demandait notre adresse, une brave commerçante répondait : « vous voulez l’instituteur de l’école ou celui pour les tracts ? ». Nous nous sommes assagis un peu, avons été partiellement intégrés dans le paysage… Comme de surcroit je n’apprécie pas le fait d’afficher mes opinions politiques avant d’avoir soigneusement étudié le terrain, et que je ne m’approche pas des gens un drapeau à la main et une bible sous le bras… ça passe sans trop casser.
Avec le nouveau pas de côté, ce choix d’ouverture que nous faisons depuis quelques années, nous commençons sans doute à alimenter à nouveau les chroniques locales. Il faut dire que certain(e)s de nos visiteurs et de nos visiteuses ne manquent pas de pittoresque. On a beau habiter « le pays des couleurs »…
Disons que nous avons la chance de vivre dans un espace relativement privilégié et que cet espace, plutôt que de le confisquer, nous préférons le partager. Comme on n’est plus au top de la forme physique non plus (au Moyen-Âge on aurait été qualifiés de « vieillards ») on trouve logique d’inclure dans ce partage un petit coup de main de temps en temps. C’est l’une des dimensions de notre projet politique, son côté « terre à terre », en attendant que le petit « réseau » que nous construisons soit en mesure de donner la main à d’autres réseaux, comme c’est déjà un peu le cas, pour en constituer un ou des plus vastes. Il n’est question ni de communauté, ni d’autogestion, simplement de brins d’herbe et d’instants partagés : une convivialité fuyante à restaurer pas à pas. L’expérience m’a montré que les projets peu ambitieux ont quelques chances de réussite, et peuvent parfois ouvrir de plus vastes perspectives.

 Si vous aimez lire, piocher, boire, discuter, récolter, manger, partager, rêver, venez naviguer dans notre arche pendant quelques jours. La seule chose que nous vous demandons c’est au minimum de partager quelques unes de nos valeurs : respect d’autrui, amour de la vie… que sais-je encore. Les idées racistes, impérialistes, militaristes… restent au vestiaire. Ce n’est pas rien déjà. Les convictions religieuses ne nous dérangent pas, mais le prosélitisme n’est guère apprécié… Si un jour nous trouvons un marinier prêt à souquer ferme pendant une durée prolongée, peut-être embarquerons nous alors des animaux de compagnie autres que mésanges, couleuvres et chats ! Avoir des racines ce n’est pas forcément être enchainé et l’on peut apprécier, à la fois, d’être de quelque part et d’être de nulle part (allusion à une très belle chanson de Béranger).

 

 

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8mai2012

M’sieu, j’ai un mot d’excuse…

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....

Pas de chroniques longues et richement (?!) documentées pendant un certain temps, ou un temps certain. Quelques brèves histoire de montrer que je respire encore, il n’y a guère mieux à espérer. Honnêtement, je ne touche plus terre et je n’arrive pas à me concentrer, avec un minimum de plaisir, sur les multiples thèmes que j’ai envie de traiter. Le nombre de textes débutés mais non achevés me désespère un peu. Alors, le temps de retrouver un minimum de sérénité, je préfère taper un peu en touche. J’ai un tas d’excuses valables : chantiers, jardin, plein de visiteurs venus visiter et même aider, la cantine à gérer et tout le tralala lalère. Je vous laisse donc débuter seul(e) votre promenade avec ce cher Monsieur Hollande. Bien entendu je reste plus qu’attentif à vos commentaires qui sont toujours les bienvenus ! Du coup j’essaie de vous mitonner quelque chose de pas mal pour mon retour, genre des publications un peu plus régulières !

Portez vous bien, je vous accompagne de mes pensées sauvages.

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7mai2012

H1N2 changement de virus

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique.

Espérons que le choléra sera plus doux que la peste aviaire. N1 devient N2 ou N48,33… H0 devient H1 ou H51,67 pour les initiés.
A priori N2 devrait être complètement éradiqué ainsi que la cohorte de Baciles (béciles ?) qui virevoltaient autour de lui.
Quant à H1… Hollande, le plat pays qui fait rêver les fumeurs de joint… on verra. Les pronostics des grands anciens (Emile Pouget notamment) ne sont guère positifs… Fin mai ma pension de retraite augmente encore, c’est l’essentiel.
Voilà, vous êtes contents ? Je me suis exprimé au sujet des élections… La trêve des charcutiers reprendra au moment des Législatives.
Brève publiée pour commémorer le record de connexions hier au soir. La Feuille Charbinoise a fait presque aussi bien que le site de la RTBF à 18 h et celui du Ministère ex-guéanesque de l’intérieur. De là à ce que certains aient cru qu’Emilie du Châtelet était élue au second tour.

Post Scriptum, Before Gardening : merci à mon informaticien d’ainé qui m’a fourni le clip de base de cette brève basiquement courte.

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30avril2012

Emilie du Châtelet

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Sciences et techniques dans les temps anciens.

Une femme savante au siècle des lumières

 Lorsque l’on parle des femmes au XVIIIème siècle, c’est plus pour s’intéresser aux prouesses des illustres courtisanes qu’aux recherches de celles qui ont tenté de sortir des sentiers battus. Siècle des lumières peut-être, mais cela ne concerne guère ces dames ; il suffit d’ailleurs de voir de quelle manière Molière raille ces femmes qui veulent paraître plus que leur rang. Pourtant, au sein de la noblesse comme des autres classes sociales, elles sont un petit nombre à vouloir faire entendre le son de leur voix et la valeur de leurs idées, n’en déplaise aux règles morales de la société qui les enferment dans une étroite prison, pas toujours dorée. Une fois n’est pas coutume, la Feuille Charbinoise s’intéresse aujourd’hui à une personne issue de la riche noblesse française !
La destinée de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet, plus connue sous le nom d’Emilie du Châtelet, est plutôt singulière. Si la petite histoire retient à son sujet le fait qu’elle fut la maîtresse du philosophe Voltaire pendant de longues années, on oublie trop souvent d’évoquer la place qu’elle a occupé au sein de l’élite scientifique française au siècle des lumières. Son mérite n’était pas des moindres : rappelons qu’à cette époque, les études supérieures étaient strictement réservées aux hommes. Les femmes avaient un autre rôle social à jouer ; la « connaissance » profonde des phénomènes du monde était jugée guère compatible avec la frivolité des femmes ! Emilie du Châtelet a dû conduire un sacré combat contre les mœurs de son temps et les usages de la cour de Versailles. Cette marginalité, ce non-respect des normes, les multiples facettes de cette personnalité complexe et les dimensions singulières de sa relation avec Voltaire m’ont interpellé. Brève biographie donc, d’une femme indiscutablement hors du commun.

 Rien dans son origine sociale ni dans l’éducation qu’elle a reçue ne la prédispose vraiment à la recherche scientifique. Son père, qui occupe un poste très important à la cour de Louis XIV (il est « introducteur des ambassadeurs »), choisit cependant d’en faire une jeune fille cultivée, et, fait surprenant pour l’époque, décide qu’elle recevra la même éducation que ses deux frères. Ce choix se révèle opportun car Emilie est une élève brillante. Dès l’âge de 12 ans, elle lit couramment le grec, le latin, l’allemand et l’anglais. A l’âge de quinze ans elle a déjà parcouru l’ensemble de l’œuvre disponible de Descartes et Leibniz. Emilie éprouve une véritable passion pour les études. Un cercle littéraire se réunit régulièrement dans l’hôtel privé de la famille, occasion pour elle de faire connaissance avec Fontenelle, qui lui délivre les bases d’un enseignement scientifique de qualité, ou avec Voltaire, qui apprécie leurs échanges philosophiques. En 1725, elle se marie avec un militaire, Florent Claude, marquis du Châtelet. Ce mariage conventionnel n’entravera guère l’aspiration à la liberté que ressent la jeune femme. Son mari, pour lequel elle éprouve, à défaut de passion, un respect profond et beaucoup d’admiration, est fréquemment en déplacement. Emilie du Châtelet dispose d’une grande liberté de temps et de mouvement. En 1732, elle fait la connaissance du mathématicien Moreau de Maupertuis, dont elle devient très rapidement l’élève assidue, puis la maîtresse. Cette liaison ne dure pas et Moreau est remplacé assez rapidement par l’un de ses collègues, Alexis Claude Clairaut, qui occupe à son tour les deux rôles dévolus à son prédécesseur. Suivant de près les travaux de son nouvel ami, Emilie s’intéresse aux travaux de l’Anglais Newton. Déguisée en homme, pour ne pas heurter les conventions, elle participe aux réunions du club scientifique du café Giradot, à Paris.

 Un tournant important dans sa vie se produit en 1733. Ses relations avec le philosophe Voltaire, qu’elle avait perdu de vue pendant que celui-ci était exilé à Londres, prennent une dimension nouvelle. Tous deux tombent éperdument amoureux. Voltaire n’étant pas persona grata à Versailles suite à la publication de son ouvrage critique « les Lettres Philosophiques », décide de s’installer dans le refuge que lui propose Madame du Châtelet, une possession de famille, le château de Cirey en Lorraine. Emilie va le rejoindre et les deux amants vont vivre quatre années, pratiquement hors du monde, non pas d’amour et d’eau fraîche mais d’amour et d’étude. Ils passent de longues heures, de nuit comme de jour, à débattre de questions scientifiques ou métaphysiques. Peu à peu, Emilie élabore son propre système de pensée. Voltaire est un grand admirateur de Newton et cherche à mettre ses idées à la portée de tous. Emilie du Châtelet est beaucoup plus critique à l’égard de certaines de ses théories. A partir de 1745, elle s’attelle à ce qui sera l’ouvrage majeur de sa vie scientifique : elle réalise la traduction en français de « Principia mathematica philosophiae naturalis », ouvrage majeur de Newton, rédigé dans un latin particulièrement hermétique. Elle ne se contente pas d’un simple mot à mot, mais elle refait les calculs, rédige ses commentaires, prend note de ses critiques. Cette traduction sera publiée dix années après sa mort ( en 1759) et reste aujourd’hui encore une référence. Malgré la haute qualité de ce travail, son statut de « femme savante », de « physicienne », n’est pas vraiment pris au sérieux. Alors que Voltaire n’apparait en fait que comme un simple « amateur éclairé » en matière de physique, la Marquise du Châtelet montre de réelles capacités de démonstration scientifique. Elle analyse pas à pas la démarche de Newton et n’hésite pas à remettre en cause certaines conclusions qu’elle qualifie de simples conjectures. Elle critique par exemple la théorie sur la récession des équinoxes, qui ne peut être calculée de manière aussi précise que ce qu’annonce le savant. Elle étaie son raisonnement sur les observations réalisées par d’autres astronomes.

 En 1737, l’Académie des Sciences lance un concours ayant pour thème « la nature et la propagation du feu ». Emilie décide d’y participer en profitant du fait que la soumission est anonyme. Elle rédige un manuscrit de 139 pages, dans lequel elle tente de faire une synthèse de toutes les connaissances sur le sujet. L’ouvrage est singulier, souvent philosophique, associant parfois des images poétiques avec des faits expérimentaux. Il fournit en tout cas les preuves de la solide érudition possédée par cette femme exceptionnelle. Elle ne remporte pas le concours (le prix est attribué à Euler), mais, compte-tenu de la valeur du travail réalisé, son manuscrit est finalement édité par l’Académie. Il s’agit là d’une grande première en France : c’est le premier ouvrage rédigé par une femme que l’Académie des Sciences se décide à publier.

 En 1744, les relations sentimentales d’Emilie avec Voltaire se détériorent. Voltaire s’en va butiner d’autres fleurs et met un terme à leur liaison. En janvier 1748, le philosophe s’éloigne pour rejoindre la cour du Roi de Prusse. Ce changement dans sa vie marque profondément la Marquise. Elle n’en gardera cependant point grief au philosophe et leur attachement réciproque, amical maintenant, restera solide jusqu’à la fin de sa vie. Voltaire, réputé plutôt mysogine, rédigera ce fort bel éloge à l’égard de celle qui a été son amante passionnée pendant une dizaine d’années : « Jamais une femme ne fut si savante qu’elle, et jamais personne ne mérite moins qu’on dit d’elle : c’est une femme savante. Elle ne parlait jamais de science qu’à ceux avec qui elle croyait pouvoir s’instruire, et jamais n’en parla pour se faire remarquer. » (commentaire remarquablement élogieux dans la bouche d’un auteur qui a par ailleurs déclaré « les femmes sont comme les girouettes : elles se fixent lorsqu’elles se rouillent » ). Emilie ne reste pas seule et trouve, assez rapidement, un remplaçant, plutôt falot, à son amant en fuite. Il s’agit du poète Saint Lambert pour lequel elle éprouve un grand attachement. Leur liaison sera de courte durée. Deux amants bien différents ; deux passions bien distinctes également. La quarantaine passée, Emilie se pose un peu, se consacre à la réflexion et à l’écriture. En septembre 1749 une étrange prémonition lui vient à l’esprit. Enceinte de Saint-Lambert, elle vit une grossesse difficile (il s’agit de son quatrième enfant) et elle est persuadée qu’elle ne survivra pas à l’accouchement qui s’annonce. Elle prend contact avec l’abbé Sellière, bibliothécaire au cabinet des manuscrits de la Bibliothèque royale, pour déposer et faire enregistrer à son nom le manuscrit de son ouvrage majeur, la traduction de Newton. Sa demande est acceptée. Elle meurt quelques jours plus tard. Cette démarche prouve qu’elle est bien l’auteur du livre qui a été publié, quelques années après. D’autres collègues, peu scrupuleux, n’auraient sans doute pas manqué d’en réclamer la paternité… Physicienne et femme en même temps, un statut bien précaire ! Voltaire est très affecté par la disparition de sa « divine Emilie ». Dans une lettre adressée au Roi Frédéric II, il se fend encore d’une nouvelle déclaration élogieuse : « J’ai perdu un ami de vingt-cinq années, un grand homme qui n’avait le défaut que d’être femme, et que tout Paris regrette et honore.. » Les lectrices apprécieront !

 Le 10 septembre 1749, alors qu’elle n’est âgée que de 43 ans, disparait donc l’une des premières grandes physiciennes françaises. La postérité garde au moins souvenir d’elle à deux titres : maîtresse d’un grand philosophe, première femme à avoir été publiée par l’Académie des Sciences française. Il faudrait ajouter à cela le fait que, dans la communauté scientifique, elle est considérée comme l’une des interprètes majeures de Newton, « passeur scientifique » de premier ordre. La reconnaissance de l’importance de son rôle en tant que physicienne est relativement récente. L’histoire des sciences, pourtant avide de personnages hauts en couleur, l’a laissée de côté pendant de nombreuses années. Ce sont les admirateurs de Voltaire, au XIXème, qui ont empêché que son nom ne sombre dans l’oubli. Mais c’est surtout son rôle de compagne du philosophe qui a été mis en avant par ses biographes de l’époque.
Notons au passage que de son vivant son travail scientifique a été reconnu dans un premier temps en Italie : les femmes n’étaient pas frappées du même ostracisme qu’en France ou en Angleterre et elle a été nommée membre à part entière de l’Académie des Sciences de Bologne en avril 1746. Durant toute sa vie elle aura entretenu des relations suivies avec d’autres grands noms du monde des Sciences à cette époque : Clairaut, Bernoulli, Nollet…. Ses autres écrits, notamment « les institutions physiques », donneront lieu à de nombreuses polémiques. La postérité montrera qu’elle avait bien souvent raison face à ses détracteurs. Une partie de ses travaux sont restés inachevés, notamment un essai sur l’optique. Sa démarche touchait aux fondamentaux de la Science au siècle des lumières. Elle espérait réaliser une synthèse entre les systèmes de Descartes, Leibniz et Newton. Sa disparition prématurée ne lui aura pas permis de finaliser véritablement son œuvre.

NDLR – Sources documentaires principales : fiche pédagogique rédigée par Caroline Doridot, suite à l’exposition présentée par la Bnf en 2006 ; article publié sur la revue pour l’histoire du CNRS et rédigé par Mireille Touzery en 2008 ; site internet du château de Circey (résidence de Circey) fiche documentaire (2007) rédigée par Jane M. Birkenstock.

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23avril2012

Le bric à blog d’avril est wifi, ça lui évite d’avoir à se découvrir d’un fil

Posté par Paul dans la catégorie : Bric à blog.

 Rien de tel que de commencer par contempler son nombril avant de parler de celui du monde. Là au moins, on est en terrain connu. En ces périodes électoralement troubles, « la Feuille Charbinoise » reste étrangement silencieuse et se replie sous un « apolitisme » (« antipolitisme » ?) frileux. Pirates et non corsaires au service d’un quelconque monarque. Habitant dans une commune où la murène rassemble 33% des électeurs sur ses propositions haineuses, on comprendra que nous ayons commencé à creuser notre abri souterrain secret. Comme le sol est mouillé, ça prend du temps. Certes je suis de vieille souche dauphinoise labellisée mais si l’on remonte à plus d’une douzaine de générations je suis moins sûr de moi. Et puis, on fréquente des gens parfois fréquentables, parfois non… Côté nuance politique, c’est pas mieux dans le voisinage un peu moins immédiat : selon les communes du Nord-Isère, c’est égalité ou très léger écart entre le nain et l’héritière idéologique de Pétain. Ça craint. Je n’ai même pas eu le courage de porter le bulletin nul que j’avais prévu de glisser subrepticement dans l’urne. Je me console en lisant celui qu’a glissé dans l’urne notre compatriote rédacteur des « cénobittes tranquilles« . C’est bien vu. Compassion : si j’avais su que Cheminade aurait zéro voix dans l’urne dans notre petite commune verdoyante (façon de parler), j’aurais peut-être fait un geste. En tout cas, la Révolution, même tranquille, n’est pas pour demain et ça m’angoisse terriblement de vivre dans un pays où 45% des votants choisissent de confier leur avenir à l’extrême droite ou à une droite 0% qui exprime à peu près les mêmes idées. J’espère au moins que mes haricots (verts aussi) ne seront pas contaminés par cette puanteur ambiante. J’ai allumé la télé cinq minutes, le temps d’entendre jacasser sur « les Français qui souffrent et qu’il faut respecter ». Je pense qu’il faudrait organiser quelques charters de retraités en Somalie, du côté sombre de la force. S’ils ont le choix entre un bol de riz ou l’augmentation de l’impôt sur la fortune, je sais ce qu’ils choisiront ces cons. Après plus d’une trentaine d’années à vivre dans le même « environnement » je pense que j’en connais pas mal de ces « Français qui souffrent ». Ils ne sont pas fondamentalement méchants. Ils ne voient simplement pas plus loin que les trois mètres qui les séparent de leur téléviseur, et ne pensent guère plus élevé que ce que contiennent les chroniques de la presse locale. Dans « la soupe aux herbes sauvages », Emilie Carles exprimait bien ce qu’il y a lieu de penser de leur approche de la politique – aucun mépris, un simple constat : en 1944, la majorité des Français ont remplacé la photo de Pétain, sur la cheminée, par celle de De Gaulle.

 Je vais faire bref pour ce « bric à blog » car je ne suis pas motivé pour écrire. Les trois bols d’infusion « hollande » avalés avant d’aller dormir ne m’ont pas calmé. Si ça ne s’améliore pas, je crains que le canal « politique » sur votre blog préféré ne soit débranché pendant quelques temps – tout au moins le canal « actualité politique ». Dès que vous aurez choisi, entre Bayrou et Aubry pour le poste de premier ministre (je ne voudrais pas vous influencer de façon inopportune), je reviendrai parmi vous avec mes idées politico-philosophiques extra-terrestres. D’ici là on va parler sciences, voyages, bois et patin couffin. Je m’auto-prescris un traitement anti-dépressif à base d’Utoplib (sur la toile), d’Age de Faire (sur le papier), et de géographie reclusienne (multimédia). Aucun des trois n’étant un placébo, ça devrait planer à nouveau dans quelques semaines. Ajoutez à cela quelques érables japonais bien zen, et des laitues croquantes à souhait, ça devrait le faire.

La musique, ça marche aussi, ça adoucit les mœurs. Une grande lacune est comblée dans ce blog avec l’apparition d’une catégorie « musique » dans les liens. La barbarie recule d’un pas. Entre deux morceaux du groupe « Tinariwen », allez donc visiter « J’ai la mémoire qui chante » et « Nos enchanteurs« . Si vous ne voulez pas jouir égoïstement des morceaux sympas que l’on peut écouter sur ces deux sites, courez vous informer sur « qui chante ce soir ?« . Vous pourrez aller écouter des vrais chanteurs intelligents qui chantent de bonnes vieilles chansons avec des chouettes paroles et des musiques aussi diverses qu’enrichissantes, dans la salle de concert du coin. En ville, et même parfois à la campagne, ça fourmille (sauf chez nous : le programme culturel annuel est archi-comble, entre le boudin des anciens d’Algérie, et le loto des chasseurs).
addenda 25 avril : en prolongement d’un article que Pascaline avait publié sur ce blog à propos du langage des signes, encore de la musique… Un lien sur Utopies Libertaires, sur un clip, reprenant en langage des signes, « Indignez vous » de HK et les Saltimbanques. Belle chanson, belle interprétation méritant le détour.

 Histoire de vous distraire aussi, je vous signale ce lien que m’a communiqué un mien ami. C’est un fidèle du blog ; il le suit avec une persévérance que j’admire même quand mes déblatérations le fatiguent. L’article en question cause d’inventions à l’ancienne et c’est vraiment très rigolo. C’est vrai qu’il y a des objets qui nous ont vraiment changé la vie. Reste plus qu’à adapter une trancheuse à jambon sur les urnes électorales ou à inventer un écran de télévision « punching-ball ». Ça viendra je pense : les cerveaux fertiles ne manquent pas !

En tout cas, dans ma dauphinoise de région, y’avait pas que des cons ou des collaborateurs autrefois. Je dois à Utoplib et au réseau d’entreprises Repas, la découverte de cette séquence informative sur les entreprises Boimondau (Boîtiers de Montres du Dauphiné) créées pendant la dernière guerre mondiale (celle qui précède la prochaine à venir), par un certain Marcel Barbu. Quelles que soient les périodes ou les régions du monde, l’autogestion est décidément une idée qui suit son chemin, à moins que ce ne soit une idée qui – tout simplement – tient la route. Quand certains auront fini de retirer la paille maghrébine dans l’œil de leur voisin pour s’occuper de la poutre patronale et raciste qu’ils ont dans le leur, peut-être cette idée fera-t-elle un bond en avant !

Aller j’arrête de grumbler. Y’a cinq minutes de soleil programmées ce matin, dix cette après-midi, faut pas que je manque ça. Les élections c’est pas bon pour le moral. Il n’y a qu’une catégorie (modeste) de la population qui sera contente aujourd’hui, ce sont les gens qui trouvent mes chroniques trop longues d’ordinaire et peu adaptées à la pause café.

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14avril2012

Croiser le chemin d’un livre…

Posté par Paul dans la catégorie : Des livres et moi; l'alambic culturel.

Chronique dédiée à toutes celles et tous ceux qui m’ont donné le goût de lire, encore et encore…

 Je regarde les livres sagement rangés sur une étagère au hasard de notre bibliothèque et ça me laisse songeur. Il y a là de grands classiques (du militantisme entre autre) mais aussi des visiteurs plus ou moins farfelus. Certains de ces ouvrages sont encore des petits nouveaux et viennent juste de débarquer dans le coin ; d’autres sont là depuis plusieurs décennies (eh oui, mon gars, ça ne te rajeunit pas !). Comment sont-ils arrivés là ? Pourquoi celui-ci et pas un autre ? Parcourir les rayonnages d’une bibliothèque c’est un peu comme feuilleter un album de voyages. Beaucoup de livres ont leur propre histoire, ou tout au moins des souvenirs qui s’attachent à la manière dont on se les est appropriés. Impossible de tout mémoriser, cette chronique se réfère plutôt à des découvertes récentes ou à d’anciennes trouvailles qui m’ont quelque peu marqué… Ma mémoire a perdu la fiche d’état-civil de certains de ces visiteurs.
Lire, voyager… Partir à la rencontre des livres c’est un peu comme cheminer en montagne… On a une petite idée de l’itinéraire, un but à atteindre, mais il se trouve que le petit sentier, là, sur la droite présente une particularité qui donne envie de faire quelques pas et, du coup, on joue à l’explorateur. Parfois on découvre effectivement un nouveau parcours, parfois il s’agit tout simplement d’une boucle, d’une dérivation plus ou moins longue, puis on revient au chemin que l’on a balisé depuis quelques temps déjà. C’est un peu ça l’histoire de ma rencontre avec certains titres ou certains auteurs. Des raisons futiles que l’on élève au cas de force majeur, des motifs sérieux que l’on tourne en dérision… Qu’est-ce qui peut bien amener le lecteur impénitent – mais parfois un peu blasé – à choisir un nouveau livre ? Inventaire désordonné à la charbinoise et sûrement bien incomplet…

  Le titre
La musique des mots dans un titre. Raison futile ? Je ne crois pas. Sûrement pas une raison exclusive mais une forte incitation tout au moins. Je sais que ça a joué, dans le temps, pour « le serpent du rêve » de Vonda Mc Intyre, un superbe récit fantastique, ou plus récemment pour « le pays des petites pluies » de Mary Austen. Quand j’ai lu la chronique de Jean Marc Laherrère sur « au lieu dit Noir-Etang » de Thomas Cook, nul doute que mon œil a été attiré par le titre. La réussite a été au rendez-vous pour ces choix-là, mais il s’agit d’une opération garantie sans garantie ! Parfois le contenu n’est pas à la hauteur de l’emballage cadeau… Méfiance indispensable ! Mais comment ne pas être attiré par un « Guide de Nulle part et d’Ailleurs », histoire d’aller voir dans les mondes imaginaires comment ça se passe, ou intrigué par « La grosse femme d’à côté est enceinte » de Michel Tremblay. Ce dernier titre m’intrigue suffisamment pour que j’aie envie de jeter un œil à son contenu, bien que je ne sois pas tellement « roman ». Dans le même panier virtuel je pourrais placer aussi « Le cantique de l’apocalypse joyeuse » d’Arto Paasilinna, que m’a recommandé un bon copain. C’est clair, le titre c’est un clin d’œil, parfois déterminant, mais bien souvent ça ne suffit pas ! Du côté des traductions, le résultat est parfois surprenant tant diverge la version française de la version originale, souvent en mal, parfois en bien. Pour le roman policier de Thomas Cook « au lieu dit Noir Etang », le titre français est beaucoup plus accrocheur que l’original anglais. Je reconnais que cette « petite musique » littéraire est bien personnelle et que le charme de certains assemblages de mots peut toucher certains et en laisser d’autres indifférents. Si je mets cette motivation là en premier dans la liste, c’est parce que c’est l’une de mes découvertes les plus récentes. « Pourquoi as-tu acheté ce bouquin ? » – « Parce que j’aimais son titre ». Ça peut prêter à sourire…

  La présentation : couverture, mise en page, typographie
Le « visuel » du livre est une raison complémentaire à mes yeux pour investir, mais non un facteur déterminant. Il est des collections que j’aime acheter, d’autres pas. Je feuillette toujours avec plaisir un ouvrage de chez « Actes Sud » car c’est l’une des rares grosses maison d’édition qui fasse encore un peu attention à la qualité du papier et à la typographie. Beaucoup d’éditeurs se mettent à fonctionner comme des soldeurs : vendre n’importe quoi, le plus vite possible, avec , si possible, un prix attractif, et, obligatoirement, la marge bénéficiaire la plus conséquente. La numérisation du processus de fabrication a permis quelques belles découvertes, mais aussi la mise sur le marché d’ouvrages – intéressants certes – mais fort mal achevés. J’ai acheté récemment le tome 1 d’un ouvrage historique en deux parties, et j’avoue hésiter à acheter le tome 2. L’auteure a fait un travail de recherche documentaire considérable, mais n’est pas à l’aise avec la langue. L’éditeur lui, n’a pas fait son boulot. Il s’est contenté de vider le contenu d’une clé USB sur un support papier, laissant le lecteur se débrouiller avec des fautes de construction à répétition et des phrases dont on cherche désespérément la fin. L’auteure de cet ouvrage méritait mieux ; le lecteur aussi. Je reviendrai sûrement sur ce sujet un de ces quatre ; j’adore récriminer !
Certaines couvertures peuvent aussi avoir un effet « repoussoir ». La mise en page ou l’illustration choisies sont alors des facteurs qui me pousseraient à ne pas acheter un livre. Ce facteur ne joue cependant pleinement son rôle que si je n’ai pas de raison majeure de faire cet achat. L’apparence n’est donc pas un facteur déterminant dans un sens comme dans l’autre mais peut jouer, indiscutablement, si j’ai le choix entre plusieurs éditions. Ce qui est certain c’est que les beaux ouvrages (à prix raisonnable) se font rares, d’où mon intérêt relativement récent pour les éditions anciennes.

  La loi des séries et la collectionnite aigüe
Là c’est clair, j’en suis souvent victime. J’aime les séries et les personnages récurrents dans le domaine du polar comme dans d’autres. Les exemples ne manquent pas dans la bibliothèque. Je suis à la trace (et sans me lasser) les aventures historico-irlandaises de « Sœur Fidelma » (Peter Tremayne fort bien traduit par Hélène Prouteau), mais j’ai craqué sur les aventures à rallonge du colporteur de Kate Sedley. Il faut dire aussi que j’ai du mal avec les récits à la première personne… Je découvre avec plaisir les nouvelles enquêtes du commissaire Brunetti, mais je trouve que les aventures de Yom-yom et Koko ont largement assez duré. Lilian Jackson Braun a mérité sa retraite.  Il faut dire que 30 volumes, ça fait un bon paquet de péripéties à imaginer ! Seul Michel Zévaco est capable de raconter 20 fois la même histoire sans me lasser, mais n’est pas le créateur de Pardaillan qui veut ! A propos de séries, une chose que je n’aime pas c’est quand un auteur se fatigue et « flingue » purement et simplement son personnage. Je suis pour les héros immortels et j’aurais sans doute signé la pétition pour que Paco Ignacio Taïbo II ressuscite son détective hors du commun. Heureusement d’autres l’ont fait pour moi, et le corps criblé de balles qui gisait dans une flaque d’eau a retrouvé le chemin du boulot dans le roman suivant de la série. Il paraît que lorsqu’on a fait un tour au purgatoire, on peut revenir en arrière si l’on a conscience de ne pas avoir fini son enquête. Lorsqu’une série me plait, je souscris à un véritable abonnement et j’achète quasiment les yeux fermés. Dans le rayon « polars » cela explique pourquoi la collection « grands détectives » de 10/18 tient une telle place. Certains sont d’ailleurs plus des romans historiques que des policiers selon les lois du genre. Peu m’importe. Lorsque la série s’arrête pour un cas de force majeure – décès de l’auteur(e) par exemple – je suis doublement peiné.
La collectionnite joue son rôle aussi dans certains achats, mais uniquement pour des écrits de qualité. En disant cela, je pense notamment à la collection « Terre humaine » dont nous avons acheté beaucoup de volumes ; mon lourd passif de collectionneur me pousse maintenant à chercher les ouvrages qui nous manquent, sans que cette recherche ne soit guidée par un intérêt quelconque pour tel ou tel thème ou tel ou tel auteur. Je joue au même jeu avec les volumes du CLA (Club du Livre d’Anticipation) en SF, mais là j’avoue que je bloque sur certains auteurs !

  Les conseils d’un proche
Si l’un de mes  fils n’avait pas insisté, je n’aurais jamais découvert l’auteur de SF Brandon Sanderson. J’ai dévoré « Elantris » cet automne, avant d’enchainer sur « fils des brumes » cet hiver (trois tomes c’est long mais c’est bien adapté aux nuitées prolongées des mois de décembre-janvier). C’est à lui aussi que je dois la découverte de l’œuvre intégrale de Jacques Poulin, écrivain québecois. Du célèbre « volkswagen blues » au « vieux chagrin » en passant par « la tournée d’automne », je crois bien avoir tout dévoré. Quand, de surcroit, cet auteur se permet des choix de titres comme « les yeux bleus de Mistassini », je n’ai vraiment aucune raison de changer de trottoir. Inutile de vous dire que le volume annoncé pour le mois de mai (« L’homme de la Saskatchewan ») de cet auteur peu prolifique est déjà en pré-commande chez l’un de mes fournisseurs. De manière générale, comme en musique, je tiens surtout compte de ce qu’écoutent et lisent mes ami(e)s, avant de suivre leurs conseils. Cela m’évite parfois de me fourvoyer dans des directions un peu trop saugrenues (à mes yeux bien sûr !). Les multiples plaidoiries d’une blogueuse amie en faveur de l’œuvre de Proust – avocate redoutable, c’est indubitable – ne m’ont pas donné envie de croquer la madeleine. Il y a eu une époque aussi ou un bon copain lecteur insistait pour que je m’adonne aux joies de la lecture des ouvrages de Frank Herbert. Le premier tome de « Dune » m’a semblé bien indigeste ; le tome 2, acheté à la suite d’un respect inconsidéré pour les conseils qui m’étaient donnés, a totalement découragé ma persévérance. Quand le conseil va jusqu’au prêt c’est encore mieux. Sans ce geste noble d’un autre copain, je n’aurais peut-être pas découvert la BD « Ignorants » d’Etienne Davodeau. Je n’ai point causé de tort à l’auteur en empruntant l’ouvrage puisque je l’ai offert autour de moi aussitôt après en 4 ou 5 exemplaires ! En fait, maintenant, le seul qui ne possède pas cette petite merveille c’est moi !


 
La hotte du père Noël
Les cadeaux c’est super car c’est le « coup de pouce » parfois indispensable pour se jeter à l’eau (enfin, dans mon cas… si j’ai pied). Sans déballage de paquet, je n’aurais sans doute jamais lu la série de BD « le magasin général » de Loisel et Tripp que j’ai complétée depuis et que je trouve géniale ; je n’aurais sans doute jamais lu non plus le pavé « histoire de la vigne et du vin en France » de Roger Dion. Plusieurs séries que j’ai poursuivies par la suite ont débuté par un livre offert et choisi par quelqu’un, suffisamment attentif à mes goûts pour ne pas « trop » me heurter mais bousculer quand même mes habitudes un peu trop pépères à certains moments. Il y a eu bien entendu des « couacs » mais mon amnésie sélective les a fait disparaître dans le tourbillon de l’oubli.

Les conseils ou les fiches de lecture dénichés dans les medias
Medias ? Télé, radio ? Jamais à ma connaissance. Mais, bon, j’ai une tare majeure, je n’écoute même pas France Culture, du coup j’ai été viré du fichier des abonnés de Télérama. Dans mon cas ce serait plutôt presse spécialisée ou site internet. Encore faut-il que je trouve un chroniqueur auquel j’accorde une certaine confiance. Globalement les médias ne jouent donc pas un rôle essentiel pour moi, sauf dans le domaine des livres documentaires ou des essais. Il n’empêche que je jette un œil attentif et régulier sur les chroniques lecture de certains blogs, je pense notamment à « Actu du noir » de Jean-Marc Laherrère, consacré en grande partie, mais pas en totalité, au roman policier. Je lui dois plusieurs grandes et belles découvertes, notamment dans le domaine du polar US que je connais mal. A l’usage je perçois désormais à peu près nos divergences de goût, et je sais sur quels chemins le suivre et sur quelles pistes l’abandonner ! Si je mentionne  « Actu du Noir » c’est parce qu’il est rare que je suive longtemps un blog aussi spécialisé.
En ce qui concerne les essais ou les ouvrages historiques, la motivation est différente… Il est relativement fréquent que je choisisse un livre après avoir parcouru une fiche de lecture sur un site ou dans la rubrique appropriée d’une revue spécialisée. Il faut bien entendu qu’il y ait recoupement entre mes centres d’intérêt du moment et le contenu de l’ouvrage. Récemment, c’est une brève sur le site « l’en-dehors » qui m’a fait acheter « la France racontée par les archéologues », de Cyril Marcigny et Daphné Bétard ; une lecture passionnante sur l’actualité très récente de l’archéologie de sauvegarde, remettant en cause pas mal d’idées reçues sur l’histoire de France ; un bouquin abondamment illustré,  que je vous recommande au passage.
Les notices de la défunte revue « Gavroche » ont généré aussi pas mal de bons de commande !


 
En liaison avec un voyage ou toute autre raison culturelle, le blog par exemple
Un prétexte de plus pour élargir la gamme de mes lectures. La découverte d’une nouvelle contrée s’associe obligatoirement avec un minimum de connaissances sur l’histoire, la géographie ou les traditions locales. La dégustation littéraire et documentaire a lieu avant, pendant ou après le périple. Cela dépend des cas. Notre voyage en Sardaigne s’est terminé par l’achat de plusieurs ouvrages sur les Nuraghes, d’une histoire du banditisme et d’un roman social couleur locale « Le fils de Bakounine » de Sergio Atzeni édité à « la fosse aux ours ». La rencontre avec ce dernier ouvrage est liée aussi à la lecture de sa présentation sur l’un des blogs de l’Atelier de Création Libertaire consacré à Michel Bakounine ; le contenu de ce roman m’intriguait au plus haut point. Ma curiosité est satisfaite : le livre mérite un détour, d’autant que, contrairement aux autres ouvrages sardes que j’ai consultés, celui-ci est écrit dans la langue que je pratique le mieux !
De retour de Roumanie, j’ai exploré le Dracula de Bram Stoker (sans grand intérêt) mais particulièrement apprécié le « Voyage en Roumanie » d’Alain Kerjean chez Glénat : la découverte de la Transylvanie en cheminant sur les pas du géographe Elisée Reclus. Un livre d’art qui a le mérite de présenter côte à côte textes et photographies d’un grand intérêt.
Si je n’avais pas été puissamment motivé par mes recherches pour le blog, je ne sais pas du tout si j’aurais acheté « Séverine & Vallès » ou bien encore la biographie en Anglais de Grace O’Malley, femme pirate irlandaise. Les recherches que j’entreprends me passionnent parfois et m’amènent à accumuler une documentation dont la portée dépasse largement celle de ces chroniques quelque peu anecdotiques.

Un geste de folie sans doute lié au passage de la comète de Halley
Ça arrive… Parfois c’est simplement histoire de montrer que l’on avait bien raison et que décidément « un tel » ne s’améliore pas ou que l’on n’aime toujours pas ce « genre » de bouquins… Cela peut être aussi un coup de cœur totalement irrationnel ou un joyeux méli-mélo de motivations empruntées à la présente liste.

  L’état de manque
Vous savez, cette situation dans laquelle se retrouve parfois le lecteur… Une pile de nouveautés insuffisamment haute, à l’angle du bureau… Pas moyen de choisir vraiment.. Il manque juste le style de bouquin qu’on a envie de lire à ce moment donné. Celui-ci ? trop sérieux ! Celui-là ? Encore de la politique ? C’est pas le moment… J’ai juste envie de partir sur une île déserte… Alors on farfouille, on décortique les catalogues, on examine d’un œil critique les listes de recommandations fournies par un site commercial diaboliquement organisé. On relit souvent. Pour ça, ma mémoire passoire me fait faire de grandes économies. Avec quatre ou cinq ans de recul je peux relire certains romans car je ne me rappelle absolument pas la trame et encore moins la conclusion. Ou alors, et c’est fréquent, on achète, audacieusement, la dernière production d’un auteur qu’on avait mis de côté après une déception cruelle, ou on approche à petits pas, d’une signature inconnue, d’un point d’interrogation, d’un sentier qui ne paraît pas trop broussailleux. Numéro gagnant à la loterie ? Parfois… Un bel exemple avec cette « longue marche » de Bernard Ollivier parcourue cet hiver…

Postface

 Conclusion ? Pas de conclusion… Le sujet est ouvert… J’arrête là cette chronique, pourtant bien inachevée, tant j’aurais à dire sur la question. Je m’aperçois que les critères de choix que j’ai énoncés laissent de côté des pans entiers de la bibliothèque. Peut-être est-ce logique après tout, ces livres-là n’avaient pas besoin d’une raison d’achat particulière. En tout cas, ça suffit comme ça ; ce texte traîne dans mes « brouillons » depuis quelques semaines et je vais finir par le prendre en grippe, ce qui est un peu dommage à l’arrivée du printemps. Arrêter de triturer un écrit c’est peut-être un peu le désenvouter. En ce moment les brouillons inachevés sur lesquels je souhaite procéder à une révision s’accumulent. Une dernière relecture et je viens de supprimer trois lignes et d’en ajouter six. Si je continue la postface va dépasser la chronique en longueur. Au secours !
Ce qui est sûr c’est que ce texte répond à l’un de mes besoins actuels : laisser sur le bord de route pendant un certain temps les chroniques plus « politiques » ; on dit que, courant mai, on sera débarrassé de cette histoire d’élection présidentielle qui m’insupporte. Meilleurs vœux pour le premier tour ; quand la pluie s’arrêtera, j’irai planter mes pommes de terre.
Un peu long tous comptes faits ? Prenez le temps de déguster ou mettez directement au panier ! J’écris peu en ce moment alors pour me faire pardonner, je bavarde, je bavarde !
Notez, pour finir, que les illustrations de cette chronique correspondent uniquement à des ouvrages qui m’ont séduit, beaucoup, passionnément, à la folie (?) et ils ne sont malheureusement pas tous là !

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5avril2012

Potins feuillesques et charbinois — côté verdure

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour....

 Si c’est plutôt calme du côté du blog, ça remue sacrément dans notre environnement immédiat ; le second facteur explique d’ailleurs le premier… Le démarrage spectaculaire du printemps a pour conséquence une accélération frénétique du rythme de travail extérieur. Le nez dehors de 8 h du matin à 7 h du soir, ça ne suffit pas pour faire front à l’accumulation des tâches à exécuter. En plus, en 2012, il semble que, n’échappant pas à la loi commune, nous ayons un an de plus sur le dos (surtout sur le dos !). Ainsi que je le revendique périodiquement, il serait souhaitable que la durée des jours passe à 48 h, histoire que j’aie encore le temps de trainer devant le clavier de l’ordinateur et celui de l’accordéon, histoire que je ne m’amuse pas à recréer un stress inutile qui me fatigue parfois plus que le travail lui-même. Bref, on fait avec, un coup à gauche, un coup à droite, une pause au centre… Pour vous dire la vérité, en fait, j’aime ça, ce déferlement d’activités « nature ». La période fin mars – début mai est sûrement l’une des plus excitantes au jardin. D’abord il y a une grosse frustration à combler, après avoir passé plusieurs mois à observer (parfois de loin) une nature vivant au ralenti. Ensuite, le début de végétation offre des spectacles aussi inédits qu’émouvants. Pour finir, le jardinier ressent un peu la même impression que le peintre devant sa toile blanche ; tout semble possible, et les premières ébauches réalisées entrainent toute une série de créations en cascade. La remise à neuf de tel ou tel massif rend nécessaire un nouvel aménagement de l’espace voisin. Certains volumes sont à rehausser ; des plantes qui n’étaient pas à leur place à déménager. A chacun selon ses goûts : associer ou mixer les couleurs ; jouer sur les perspectives de façon plus ou moins rigoureuse ; corriger ce que j’appelle « les erreurs de casting » des mises en scène précédentes. Avant d’introduire une nouvelle espèce végétale dans le jardin, je fais toujours un test au préalable ; je ne veux pas de plantes trop fragiles ou nécessitant un nombre élevé d’opérations. J’aime l’apparence faussement naturelle des jardins anglais. Je n’apprécie guère les buis taillés au carré et les massifs tirés au cordeau « à la française ».

 Nous travaillons depuis dix ans, ma compagne et moi, à aménager un vaste espace vert, avec des fleurs, des légumes et des arbres. Nous sommes à la fois des privilégiés – et ça j’en ai bien conscience – et des démunis. Privilégiés car nous avons un cadre de vie très agréable et beaucoup de place. Démunis parce que nous n’avons pas le compte en banque qui accompagne généralement ce genre de réalisation. Du coup, nos moyens limités nous obligent à avancer par petites touches. Pas vraiment de plan d’ensemble, mais un puzzle de verdure dont les pièces se mettent en place progressivement. Pas question non plus de faire appel à des entreprises ou à une quelconque aide rémunérée. Les centaines de trous de plantation ont été faits à la main ; les tonnes de compost nécessaires ont été tournées à la fourche et charriées en brouette ; les arbres ont été achetés un par un, hiver après hiver, en fonction des disponibilités financières. Point commun avec le blog, notre parc est un joyeux méli-mélo qui se construit peu à peu au fur et à mesure du temps qui passe. Nous n’avons ni l’un ni l’autre aucune formation technique dans ce domaine. L’avantage de travailler par étapes, c’est que nous acquérons peu à peu une expérience qui nous permet d’éviter les erreurs des premiers temps. Le côté « fouillis organisé » n’est pas le seul point de ressemblance entre le blog et le parc. Nous avons décidé que ces deux entités, et même une troisième – la maison – porteraient le même nom : « La Feuille »… Plusieurs raisons à cette dénomination : « feuille de papier » correspond bien aux amoureux des livres que nous sommes ; « feuille d’arbre » pour l’arboretum que nous avons commencé à constituer ; « feuille de route » pour les carnets de voyage, feuilles aussi pour le temps qui passe et la mémoire qui va-et-vient. Autre raison dans notre choix, et ce n’est pas la moindre, le lieu-dit cadastral où se situe le hameau dans lequel nous habitons se nomme également « La Feuille ». Rencontre entre la toponymie et la destinée d’un lieu.

 Privilégiés nous sommes, donc, mais nous tenons à partager ce privilège que constitue un vaste espace de vie et de verdure, avec ceux que notre projet intéresse. Nous essayons « d’ouvrir » la maison, le plus possible. Nombreux sont les ami(e)s, intéressés de près ou de loin par nos activités pléthoriques, qui nous rendent visite et nous donnent des coups de main ponctuels depuis des années. Il est impossible de dresser la liste de tous ceux qui ont aidé à mettre la truelle dans le béton ou le bois dans la raboteuse depuis que nous avons commencé l’aménagement de nos divers bâtiments, sans courir le risque d’en oublier un ou une. Je ne me livrerai donc pas à ce genre d’exercice qui présente par ailleurs le défaut de n’intéresser que les gens qui seraient cités au tableau d’honneur. Nous avons même recruté quelques généreux donateurs pour « sponsoriser » quelques uns de nos plus beaux arbres (rassurez-vous, cette chronique n’a pas pour objet un appel de fonds habilement dissimulé !)
Depuis plus de deux ans, nous avons rejoint le réseau « Couch’Surfing » et reçu un certain nombre de voyageurs, pour une nuit ou plus. L’occasion de belles rencontres, que ce soit parmi les gens que nous avons hébergés ou parmi ceux qui ont été nos hôtes en France et à l’étranger. Avec plus de trois millions d’inscrits, ce réseau d’échanges de canapé et de civilités, a littéralement explosé. De nombreux groupes locaux existent, proposant des activités de proximité et regroupant, au gré des hasards du calendrier, hébergeurs et hébergés. Nous sommes un peu en décalage par rapport à la moyenne d’âge des inscrits : on serait plutôt au stade de jouer à pépé mémé plutôt qu’aux gentils hôteliers, mais cet élément là nous plait beaucoup. Rencontrer des plus jeunes que nous continue à nous dynamiser : nous avons l’impression d’avoir constamment nos garçons à la maison et les projets des vingt ou trente ans de moins que nous, nous paraissent plus réjouissants que les sorties en car du « club diamant » local, ou les virées traditionnelles en camping-car des retraités professionnels. Il n’en reste pas moins que certains matins, avant d’aller « au turbin », je me demande quelle mouche m’a piqué de me lancer dans un bazar pareil, d’autant que, me font remarquer certains esprits rationnels, « dans quelques années ça va devenir encore plus difficile »… Notons au passage qu’on peut se poser le même genre de question pour plein d’autres projets… Un blog par exemple… quelle motivation ? Des milliers de pages accumulées pour… la gloire ? l’amour du lard ?

 Enfin bon… Ainsi souffle le vent dans la principauté charbinoise. Il fait voler des milliers de feuilles en attendant de faire tourner une éolienne. Et pour tourner, eh bien il faut que ça tourne, sacré nom d’un p’tit bonhomme ! Cette année, nous nous sommes dit qu’en plus des privilèges, ça serait bien que nous partagions aussi le travail qui accompagne la création de cet environnement épanouissant. Nouvelle expérience donc. Nous nous sommes inscrits à un autre réseau à dominante anglo-saxonne : « Help’x », diminutif de « Help exchange » ou « échange d’aide » pour ceux qui ont la flemme de traduire. Cela me plairait bien d’ailleurs si tous ces réseaux, les sites internet qui leur servent de base, et leurs multiples adhérents étaient un peu plus francophones. Mais la France, comme dans beaucoup de domaines, a été plus ou moins pionnière dans ce domaine-là, avant d’être pas mal larguée par l’approche un peu plus décontractée de nos amis d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique. Si je mentionne le fait que la France a été pionnière, c’est parce que c’est des étroites frontières de l’Hexagone – à ma connaissance – qu’a démarré le plus ancien des réseaux de partage, à la fois idées, couchage et amitié. Il s’agit du réseau « Servas », construit dans les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, et établi sur des bases si solides qu’elles sont toujours là, bien en place. Certains des voyageurs que nous avons reçus faisaient d’ailleurs partie des deux associations : « Couch’Surfing » et « Servas ». Un jour, peut-être, je vous ferai une description détaillée de ces divers mouvements, de leurs similitudes et de leurs divergences… Pour l’heure, nous voilà aussi adhérents de « Help’x » et nous avons reçu, au mois de mars, notre premier voyageur travailleur, en séjour à la maison.

 Le contrat de base proposé par Help’x (et par ailleurs assez souple) est assez simple : accueil (avec, à nos yeux au moins, le respect de la plénitude des sens que contient ce mot), nourriture et logement contre trois ou quatre heures d’aide à divers travaux chaque jour. Cet horaire peut être modulé à convenance : un jour de travail, un jour de repos, journées groupées… « Aide » ne veut pas dire travail accompli avec les mêmes objectifs que dans le cas d’un emploi salarié. Il s’agit avant tout d’un partage de connaissances autour d’une activité donnée, en fonction des compétences, des envies et des besoins de chacun. Tu m’aides à brasser mon compost ; je t’explique comment je fais. Tu as de plus gros biceps que les miens et un dos en meilleur état : tu m’aides à tourner du béton et à pousser la brouette. Il ne s’agit en aucun cas de recrutement « au noir » d’une femme de ménage ou d’un électricien pour remettre à neuf l’installation de la maison. Il n’en reste pas moins que la mise en commun des idées, et l’intervention de nouvelles personnalités, permet bien souvent d’avancer plus vite dans le travail. Notre premier « voyageur travailleur » est resté une dizaine de jours entre nos murs et l’expérience s’est révélée vraiment très enrichissante à différents niveaux. Quelques exemples ? Le niveau linguistique des deux parties a bien progressé. Beaucoup d’échanges se sont faits en Anglais ; du coup notre niveau est passé de rouge à rouge-orange dans l’échelle de Shakespeare ; notre visiteur a bénéficié de cours accélérés de francophonie et a pu acquérir tout un vocabulaire argotique ou régional de prime importance dans la vie courante. Ayant le privilège d’héberger un chef pâtissier soucieux de découvrir la pâtisserie française, nous nous sommes joints à ses tests de dégustation et avons réussi à gagner un bon kilo pendant son séjour. Côté jardin, eh bien, beaucoup de projets ont avancé d’un bon pas, même s’il nous a fallu parfois calmer un peu les ardeurs de notre travailleur qui voulait nous imposer des horaires hors-limite syndicale.

 Notre visiteur est reparti avec sa compagne (arrivée à la fin de son séjour) mais il a promis qu’il repasserait nous voir après une première étape d’aventure dans le Sud de la France. Je crains que l’espoir qu’il a de trouver un contrat help’x dans le domaine de la pâtisserie ne soit vite déçu mais comme notre nouvel ami est multi-compétent et très sociable, il est probable qu’il fera d’autres belles rencontres. Quant à nous, nous attendons une nouvelle recrue, étatsunienne, cette fois, pour le courant du mois de juin, à moins que d’ici là, fonction des hasards de la galaxie internaute, d’autres courageux/geuses volontaires ne viennent séjourner au bagne fleuri. Pour parfaire mon bonheur, il me faudrait aussi trouver une « aide » audacieuse qui tiendrait le blog à ma place le temps que je puisse essayer la nouvelle chaise-longue que je vais m’acheter avec le capital fourni par nos nouveaux sponsors. Ce serait sympa aussi de trouver une famille de joyeux cinglés qui vienne tenir le gouvernail de notre « feuille » hétéroclite, le temps qu’on aille explorer une partie de l’espace intersidéral. Bref, on n’est pas trop partisans du « volet fermé, chacun chez soi, chérie t’as branché le radar ? » ; on préfère échanger des idées autour d’une platée de ravioles du Dauphiné, et recruter suffisamment de bras pour pousser plusieurs brouettes à la fois. Si vous rêvez de séjours harassants mais ô combien épanouissants à la campagne, ne vous privez pas de nous contacter, on accepte même les non-inscrits aux différents clubs mentionnés plus haut.

Puisqu’il est question de feuilles de papier – aussi – sachez, même si vous vous en fichez éperdument, que j’ai enfin réussi à compléter ma collection de la Géographie Universelle d’Elisée Reclus, publiée à la fin du XIXème… Dix-neuf volumes, un peu hétéroclites certes puisque ma série comporte une douzaine de reliures différentes ! En tout cas, je suis bien heureux d’avoir fait cette acquisition (il m’a fallu une année et demi de transactions diverses chez pas mal de libraires d’occasion) et d’avoir réussi à le faire pour une dépense totale relativement raisonnable si l’on tient compte du « trésor » que cela représente pour moi…

Amour, partage et happyness for ever.

9 

1avril2012

L’âme humaine est insondable et la Mémène aussi…

Posté par Paul dans la catégorie : Delirium tremens; les histoires d'Oncle Paul.

La négociation a été tenue secrète pendant les longs mois durant lesquels elle s’est prolongée. Vous comprendrez pourquoi. L’accord étant signé, je peux maintenant lâcher le morceau : tout comme « Rue 89 », adopté il y a peu par le « Nouvel Obs », la Feuille Charbinoise vient à son tour d’être rachetée par un consortium de presse. La barre de nos exigences se situant très haut, il a fallu pas moins de trois actionnaires pour rassembler le paquet de biftons nécessaires. Le blog va conserver son titre, embaucher 18 nouveaux rédacteurs et nouvelles rédactrices, et sera remis à jour quotidiennement. Les trois investisseurs majoritaires sont « Système D », « Wakou » et « Télérama ». Le contenu de la « Feuille Charbinoise » ne va changer que de façon imperceptible pour les lecteurs et lectrices superficiels. Sont prévues au mois d’avril les publications suivantes : « l’histoire véridique de Bernadette Soubirou » ; « François Bayrou… pourquoi pas ? » ; « La Mémène est insondable » ; « Pastis, absinthe, camomille, que choisir ? » ; « Du nouveau sur la construction des pyramides par les Atlantes » ; « Les dessous du tournage de plus belle la France » ; « La réputation des clés Facom est elle méritée ? » ; « le cordonnier de Sauve était un sérial-killer » ; « courgettes et spiritualité »… etc….

Nous espérons que vous resterez fidèles, et que vous serez toujours plus nombreux à lire « la Feuille Charbinoise » l’encyclopédie désordonnée mais bien financée.

Gill Bates

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