9novembre2012

Et quand j’appuie… là… Vous le sentez qu’on a un gouvernement socialiste ?

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique.

 Au départ, j’avais renoncé à l’écrire cette chronique. D’après la morale en vigueur chez ceux qui mettent certains de leurs concitoyens en joue, on ne tire pas sur les ambulances… Je m’étais dit aussi que je pouvais très bien demander à Patrick Mignard l’autorisation de reproduire l’excellent billet, intitulé « Pourquoi une « vraie politique » de gauche est impossible » qu’il a rédigé et publié sur différents sites, en particulier sur « Altermonde-sans-frontières ». Et puis j’ai pensé très fort ( à l’intérieur de ma Ford) que si je commençais à demander aux autres d’écrire à ma place, ça n’allait pas arranger ma tendance actuelle à la paresse pré-hivernale… Sur ce a déboulé l’affaire de l’aéroport de Nantes, puis celle du « pacte de compétitivité » et je me suis dit qu’un coup de gueule de plus contre ces cons qui nous gouvernent ne serait pas de trop. A défaut d’être utile, ça soulage, et puis il va falloir qu’on se débarrasse d’une tare congénitale – je suis d’accord à ce sujet, entre autres, avec Patrick Mignard et de nombreux autres analystes lucides : continuer, tels des bisounours, à croire que le résultat des dernières élections a sans doute débouché sur un monde meilleur et qu’on ne peut pas attendre d’un gouvernement de gauche qu’il soit aussi con que le précédent. En fait, c’est clair, et les derniers événements le montrent bien : il n’y a pas de trêve électorale, pas de période de grâce à respecter, la lutte ne doit pas cesser parce que le théâtre de guignol nous montre le spectacle tant rabâché du cirque électoral. Certes ce n’est pas en quelques mois qu’on rectifie le pilonnage antisocial du gouvernement précédent, mais on s’arrange au moins pour qu’il y ait des signes annonciateurs. Ma sœur Anne a beau regarder par la fenêtre du donjon elle ne voit rien venir… du tout.

 Il faut faire partie de la nomenclatura de EELV pour croire plus de dix secondes aux tièdes promesses socialistes. De gauche comme de droite, démocrate ou républicain, il faut respecter le dogme libéral universel : la France ne sera belle que le jour où elle sera couverte d’aéroports, d’autoroutes, de zones artisanales, de lotissements, de centres pénitentiaires, de centrales nucléaires, d’usines d’enrichissement d’uranium et de parcs solaires ou éoliens avec des milliers de capteurs en tout genre. Enfin leur France, pas la mienne. La splendeur de ce pays doit se mesurer à l’aune de la fortune de ses banques et des profits réalisés par les groupes financiers qui sévissent sur le territoire. Point barre. Cela fait des lustres que ça dure. Lorsque les capitalistes ont trop joué avec le hochet boursier et qu’ils ont besoin de serrer la vis d’un tour, ils appellent leurs collègues de la gauche de la droite pour amuser le public et aider à faire passer la pilule. Les nouveaux venus appliquent la même politique sociale que les précédents mais n’oublient pas de prendre quelques mesures spectaculaires (mais peu coûteuses) genre « mariage et droit à l’adoption pour les homosexuels », histoire de permettre à leurs prédécesseurs, la droite de la droite, de pousser quelques cris d’orfraie et aux zouaves au service de la papauté de crier au massacre. On crée quelques postes de fonctionnaires ; on annonce même des scores ronflants en barbotant un peu les chiffres (en ne disant pas par exemple le nombre de créations réelles et pas la simple compensation des départs en retraite). Tout cela coûte un peu cher et comme les banques – c’est leur droit légitime – piquent la totalité du contenu de la caisse, on claironne que l’on va faire « payer les riches ». Le seul problème c’est que les riches sont fâchés, alors du coup on fait payer tout le monde en appuyant bien fort sur les classes moyennes…

Je vous en supplie... Croyez moi ! Je suis vraiment socialiste !

Le gouvernement du bon Saint François bat des records en la matière. En son temps, le dernier des grands rois de France, François Mitterand, avait quand même fait un peu mieux que lui. Discussion pitoyable l’autre soit à la télé au JT de France 2 (cette émission sur laquelle on tombe parfois malencontreusement en essayant de programmer l’enregistrement d’un documentaire) entre le journaleux de service et l’expert sur commande. Le premier voulait faire dire au second qu’il n’y avait pratiquement point de différences entre la politique économique de ce gouvernement et celle du précédent… Et l’expert cherchait, cherchait et en perdait presque son latin bon marché. Conclusion de ces deux minutes passionnantes d’échanges à haute intensité : « mais si enfin quoi, ben voyons… Hollande, Ayrault, ils sont socialistes quand même… » Les gouvernements « de gauche » précédents nous avaient habitués à leur posture de danseuse : deux pas en avant, un pas en arrière ; là c’est un pas en avant un pas en arrière, quand ce n’est pas un pas en avant, deux pas en arrière ! Il suffit de prendre un peu de recul et d’examiner la position de ce gouvernement d’extrémistes sur les dossiers sérieux de ces derniers mois en matière de politique intérieure ou étrangère. Demandons aux ouvriers, ouvrières, de Florange, aux Roms expulsés, aux matraqués de Notre Dame des Landes (futur aéroport bidon de Nantes), ce qu’ils pensent des nuances subtiles de la politique de Messieurs Valls, Ayrault et Montebourg. Grave débat : vaut-il mieux être expulsé ou matraqué par un CRS de gauche ou par un CRS de droite ? Vaut-il mieux, pour les sans-papiers être en « garde à vue » de droite ou en « retenue » de gauche ?

La dernière affaire en date, celle de l’augmentation de la TVA et du colossal cadeau fait aux patrons sous couvert de « choc de compétitivité », n’est pas faite pour redorer le blason de ce troupeau de profiteurs que l’on nomme gouvernement socialiste. Tourner sa veste une fois qu’on a été élu, c’est le  B A BA de la politique politicienne. En général on a l’élégance d’attendre un certain délai, de camoufler quelque peu l’opération sous un épais nuage de fumée. Là nos p’tits gars, ils n’ont plus aucun scrupule. Six mois ont suffi pour que soit balayé d’un revers de manche tout ce qui avait été « promis » pendant le bref épisode de tempête électorale. Suivant à la lettre une recette économique dont l’inefficacité totale a été prouvée au cours des dernières décennies, nos gouvernants ont décidé de faire un énième cadeau aux entreprises… « Je te fais un cadeau sur les charges sociales et sur l’imposition des bénéfices ; en échange tu décales de six mois tes prochains licenciements et la délocalisation de tes usines ». S’ils prennent modèle sur les politiques, les patrons n’ont même pas besoin d’attendre six mois pour empocher le fric et tout liquider. Ce n’est plus « tendance » d’avoir des scrupules ; seul le cynisme tient lieu de ligne de conduite. Ceux qui se frottent les mains dans cette opération ce sont les potes de la Marine. Quand St François, le bon Manuel de la répression et le Ayrault de l’aéroport se chargent eux-mêmes de démontrer que « gauche roudoudou » et « droite radada » c’est bonnet blanc et blanc bonnet, c’est autant de travail en moins à faire pour les nostalgiques du Maréchal Nouvoila.

 Les journalistes qui suivent la campagne américaine font remarquer qu’en matière de politique étrangère, il n’y a finalement que peu de différences entre les conceptions d’Obama et celles de Romney. Il serait judicieux de se poser les mêmes questions en ce qui concerne notre Hollandais volant et le clown sinistre qui vient de prendre la porte récemment. La visite récente du boutefeu Netanyahu reçu ces derniers jours à l’Elysée fournit des éléments de réponse intéressants. On pourrait même se demander si la position de soutien servile de la France à la colonisation israélienne ne serait même pas encore plus marquée que du temps du monarque d’opérette précédent. Quant aux autres théâtres d’opération comme on dit avec tant d’élégance, il n’est même pas certain que la France réussisse à se tenir longtemps à l’écart du Mali. Saint François l’a assuré, on ne laissera pas « le terrorisme » s’installer dans ce pays, en tout cas pas plus que l’ultra-gauche dans le bocage nantais. Qu’on se le dise… Si les impôts augmentent, si les prestations sociales se dégradent, il n’est pas question de couper l’oseille sous les pieds de la grande muette. La France, presque ruinée, si l’on en juge par l’ampleur des braiments que poussent les copains à Mme Parisot, continue à jouer avec sa bombinette, et ses sous-marins lance-missiles. Après tout, les Grecs font bien la même chose : qui a entendu dire que ce pays allait réduire ses investissements calamiteux en matière d’armement (acheté en grande partie en Allemagne) ?

 Le spectacle n’est pas terminé, mais je préfère stopper là ma prestation. J’arrive à un âge canonique où il n’est pas bon de s’énerver de trop au petit matin. J’avoue aussi éprouver une certaine lassitude à dénoncer toujours les mêmes travers. Je me demande si ce blog ne va pas finir par ne s’occuper que de petites fleurs et d’eau fraîche ; mais bon ; c’est pas tout ça, il y a le boulot ! (comme dit le mari de ma voisine qui est chômeur). Et du boulot il y en a ! Je pense que pour des décennies encore, si ce n’est des siècles, nous aurons à retrousser les manches pour défricher un chemin plus souriant pour l’avenir de l’humanité si la crise écologique dans laquelle nous sommes empêtrés jusqu’à la ceinture nous en laisse le temps. Par chance, le nombre de défricheurs est beaucoup plus élevé que ce que l’on pense. Le drame c’est que  sur la scène médiatique on ne voit que les guignols et les ordures. Je crois qu’il est grand temps que ceux qui œuvrent pour un changement social réel et profond se donnent un peu plus de visibilité. Sinon Monsieur et Madame Toulemonde continueront à penser que « Plus belle la vie » est une émission révolutionnaire… et à se demander qui est cette Aurore Martin dont on n’arrête pas de ne pas nous rabattre les oreilles. Martin, Martin, ça serait-y pas la fifille de Jacques ou celle qui a été sélectionnée pour un emploi d’avenir en Espagne ?

NDLR : merci à La Belette, alias Patrick Mignard, pour le dernier dessin.

 

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27octobre2012

Saint Vinci qui êtes côté en bourse n’oubliez surtout pas mon Ayrauport international

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive l'économie toute puissante.

L’art de gaspiller faire fructifier les finances publiques pour un projet tout aussi débile grandiose que ruineux qu’innovant !

 C’est la tragique histoire d’un pauvre ex-maire de Nantes, devenu premier ministre d’un gouvernement étiqueté socialiste, qui avait bien du mal à faire passer son projet d’aéroport international. Ce dossier lui causait beaucoup de soucis même s’il ne manquait pas d’atouts dans sa manche :
– son copain Manuel lui fournissait autant de contingents de CRS qu’il voulait pour dégager les emmerdeurs sur le terrain ;
– ses copains de la presse faisaient de gros efforts pour éviter de parler de cette triste affaire (des copains il n’en manquait pas puisque, lorsqu’il s’agit de saccager une partie du territoire, gauche et droite s’entendent comme larrons en foire) ;
– ses alliés « électoraux » étiquetés « écologistes » étaient frappés d’amnésie quant à leurs engagements anciens, et de mutisme face aux gesticulations gouvernementales…

 Mais voilà, ses copains de chez Vinci avaient un besoin urgent de remplir leur caisse en bulldozérisant et en bétonnant à tout va, et surtout une poignée d’irréductibles arriérés se donnaient un mal fou pour mettre à mal son idée grandiose d’un kolossal terrain d’envol pour charters et autres gros porteurs. Un ramassis de trouble-fêtes, constitué d’écologistes non encartés, d’anars cagoulés, d’élus responsables et autres paysans expulsés, bref un véritable capharnaüm politique, jouaient à la guéguerre dans les forêts entourant Notre Dame des Landes, le lieu saint choisi comme point de départ des futurs pélerinages à Las Végas, aux Seychelles ou à Singapour. Ces mal polis, mal coiffés et mal rasés, prétendaient que la France n’avait pas besoin d’un quatre cent soixante seizième aéroport (d’accord, je triche je compte même celui de Morestel les bains, à côté de chez moi), d’autant qu’un autre équipement du même genre se trouvait à 40 km de là et qu’en Bretagne on dénombrait pas moins d’une dizaine de terrains importants (oui mais… Nantes, est-ce bien la Bretagne ?). Ces irresponsables protecteurs de la nature poussaient même l’audace jusqu’à faire remarquer qu’il n’était pas utile de bétonner 1600 ha supplémentaires juste pour supprimer quelques exploitations agricoles de plus. Au train où ça allait, si les bricoleurs de l’INRA ne mettaient pas au point une carotte transgénique qui pousse dans le ciment et qui apprécie les gaz d’échappement, on ne boufferait bientôt plus que du polystyrène ou des mangues importées du Brésil par avion…
Oui mais voilà, cet aéroport dont l’idée trainait depuis un demi-siècle dans les cartons, notre ministrounet en rêvait jour et nuit…

Vous ne trouvez pas qu'ils ont changé ? Qu'ils font plus "social" ?

Autre souci, Ayrault l’inflexible, avait dû solliciter l’aide de son pote Manuel, puisque c’est lui qui avait la haute main sur les robocops et leurs dobermanns. Mais notre bon Jean Marc était légèrement inquiet car le bon Monsieur Valls était réputé pour ses excès de zèle et ses idées rétros. Qu’un con de CRS dégomme deux ou trois manifestants et c’était la tuile : il n’y aurait plus moyen d’amuser la galerie avec les agités d’extrème-droite perchés sur les mosquées, il faudrait déballer au grand jour cette affaire d’aéroport. De là à ce qu’il faille enchaîner sur le nucléaire (encore une fuite discrète à Flamanville), les gaz de schiste (il paraît que tout est bloqué mais certains chantiers de prospection ont débuté) ou les OGM (merci à certains académiciens d’avoir calmé le jeu – on s’en souviendra)… Et puis les patrons qui licencient, les retraités qui commencent à s’inquiéter… aïe ! aïe…
Oui mais voilà, cet aéroport dont l’idée trainait depuis un demi-siècle dans les cartons, notre ministrounet en rêvait jour et nuit…

 Jean Marc pensait que dans cette affaire – religieuse après tout puisque placée sous le patronage de Notre Dame des Landes – le bon Saint François pourrait être de bon conseil. Que nenni ! Le bon Saint François n’avait guère de temps à consacrer à ces vétilles, tant il avait ses propres domaines de préoccupation ; sa propre courbe de popularité ressemblait singulièrement à celle de son prédécesseur et cela l’inquiétait grandement. Tous ces mélimélos avec les écologistes lui pourrissaient la vie. La seule solution pour le premier ministre, comme bien souvent, était de gagner du temps et d’espérer qu’un autre sujet d’attention viendrait distraire les trouble-fêtes de leur centre d’intérêt actuel… Ce que Jean Marc Ayrault commençait à craindre un peu c’est que son Ayrauport international devienne le Larzac de ce gouvernement.  Il lui fallait trouver une solution géniale. Une idée lui traversa l’esprit : et s’il téléphonait au grand Valéry, le collectionneur de diamants, le créateur des fééries volcaniques, l’homme qui s’était coltiné le dossier du camp militaire du Larzac, le vrai… le premier… ? A moins qu’il trouve une solution pour bénéficier de l’appui des chasseurs, pêcheurs et autres amateurs de tradition ; et s’il remplaçait l’aéroport par une piste de courses pour formule 1 ? L’embarras de notre Ayrault était grand…
Fin du premier épisode

Que va faire notre premier Sinistre ? Saura-t-il se dégager avec fermeté et habileté de cette embrouille ou devra-t-il se contenter d’un manège avec des avions en bois sur l’une des places de Nantes ? Que vont devenir les belles camionnettes blindées de notre camarade Valls et les bulldozer de la société Vinci ? Qui va gagner, les bons ou les méchants, mais d’abord, (question hypocrite) qui sont les bons dans cette histoire ? Comme moi, chères lectrices, chers lecteurs, vous aurez la réponse dans les semaines à venir. D’autres épisodes de « Plus belle la vie à Nantes » sont en préparation.

  Note de la rédaction post élucubrations (NDLRPE)
Voilà : je voulais vous conter cette triste fable. Il est clair qu’encore une fois la « Feuille Charbinoise » n’est pas dans le camp du gouvernement. Les états d’âme de Monsieur Ayrault, le tiroir caisse de la société Vinci, on s’en fout allègrement. Une vaste partie de cache-cache a commencé depuis une semaine entre les opposants, les élus et surtout les bleu marine casqués. Depuis l’affaire de la construction du stade de Grenoble (tiens encore une mairie socialiste !), les policiers ont appris à grimper aux arbres et à décrocher les opposants les plus acharnés… Mais à Grenoble, le terrain de jeu n’était pas bien grand… A Notre Dame des Landes on est en rase campagne et, malgré un bouclage qui rappelle de biens mauvais souvenirs (Malville par exemple – c’était un gouvernement de droite, c’est dire à quel point je suis objectif) il est sans doute possible de jouer au chat et à la souris assez longtemps. Cette mobilisation sur le terrain est essentielle mais elle doit être accompagnée d’actions de solidarité un peu partout. Une permanence du PS a été repeinte en rose, mais je ne crois pas que ce soit la bonne solution car cela fait de la peine aux militants de ce parti. De plus, le rose comme couleur et la rose comme emblème politique je n’aime pas trop ; sur les affiches du PS, je préfère le poing, mais je crois que cette partie là de leur logo, nos socialistes d’opérette l’ont un peu occultée !
Un lien indispensable pour suivre l’évolution de la situation sur place : « ZAD : tritons crêtés contre béton armé ». Un certain nombre d’organisations écologistes et autres ont également signé une « déclaration solennelle » que vous pouvez consulter à cette adresse. Il semble qu’après une semaine de maintien de l’ordre acharné, une fraction de la population se réveille enfin.

 

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23octobre2012

Le programme des « réjouissances » à venir

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique.

Crise, austérité, traité européen, misère et matraque

 J’aimerais me tromper mais l’actualité me désespère ; bref une chronique que je vous recommande de sauter si vous avez le moral en berne… Mieux vaut pourtant être conscient des enjeux et surtout des conséquences à venir de la crise actuelle ; mieux vaut aussi être lucide concernant la valeur des emplâtres que certains Diafoirus cherchent à poser sur des jambes de bois ; bref ne pas se leurrer. On va s’essayer quand même à une conclusion un peu optimiste, mais il va falloir mobiliser des ressources insoupçonnées pour y arriver. Mon propos n’a en effet pas pour but de vous décourager, du moins pas dans le style « sauve qui peut, on coule ». Tant qu’on n’est pas noyé il y a sans doute un canot de sauvetage à portée de mains ; reste à avoir la possibilité et peut-être aussi la volonté de l’atteindre pendant qu’il en est encore temps.

Partout dans le monde, les mêmes robots...

Les manifestations contre l’austérité programmée se suivent et se ressemblent ; certains peinent de plus en plus à contenir leur colère et je les comprends : un jour la Grèce, un jour l’Espagne, un jour l’Italie, une heure la CGT. Une réponse, toujours la même : les gardiens du temple lâchent leurs dobermans puis les magiciens de service emballent tout ça dans leur verbiage habituel : « sécurité, casse, provocation, violence, terrorisme… » Moi je pense qu’une société qui n’a plus que la matraque à offrir comme réponse aux interrogations de sa jeunesse est une société qui est bien proche du dernier stade de la décomposition. Le plus tristement drôle c’est que ces gens se réclament de l’ordre, de la morale, du bien-être public… Ces nantis qui n’ont à proposer comme exemple à suivre que leur propre turpitude, leur outrecuidance obscène, et leur absence totale de scrupules. Ils ont fait « leur » le bien commun ; ils se sont approprié ou cherchent à s’approprier des valeurs sur lesquelles il était encore impensable, il y a quelques décennies, que l’on puisse accoler une étiquette « prix » (l’eau, l’air, la vie et dieu seul sait quoi ils arriveront à mettre dans leur foutu catalogue). Ils sont prêts à brader la survie même de l’humanité pour assurer leurs profits immédiats, et se moquent ouvertement de l’avenir de ceux qui ne font pas partie de leur pré-carré. Terribles images que celles de ces jeunes et moins jeunes tentant de s’approcher du parlement à Madrid pour faire valoir leur droit à la parole, leur droit à la vie, que l’on accueille avec des jets de grenades assourdissantes et que l’on repousse avec des balles en caoutchouc. Terribles images que celles de l’expulsion musclée des occupants de la zone de construction de l’aéroport bidon de Notre Dame des Landes. Regardez bien l’image : tous sortis du même moule ces robocops automatisés… Images interchangeables d’Athènes à Tunis, de Rome à Barcelone, de Montréal à Bucarest… N’y aurait-il plus qu’un seul fabricant de matraques, de casques, de vestes rembourrées pour tous ces « Ken » super virils qui gardent les temples de la finance ? Comment peut-on réussir à robotiser à ce point un cerveau humain ? Questions posées depuis des lustres et restées sans  réponses vraiment satisfaisantes…

 La France joue à l’autruche. Le torchon brûle chez les voisins, mais comme au temps de Tchernobyl, notre beau pays, épargné grâce au courage politique de ses dirigeants, de droite comme de gauche, garde le cap dans la tempête. Jour après jour, les mesures d’austérité s’accumulent, mais elles sont présentées, avec une habileté diabolique, comme de simples traitements préventifs. En France on prévient la casse pour éviter un séjour trop long chez le carrossier. Regardez comment vivent nos voisins du Sud, comme ils sont malheureux. Ils ont dû prendre – aujourd’hui – des mesures que nous prendrons sans doute demain. Les hausses d’impôts sont à l’ordre du jour ; cela passe mieux que les baisses de salaire. Mieux vaut que je te donne 1000 pour te reprendre 500 ; si je te donne 500 directement, ça la fout mal. Demain seulement viendront les baisses de salaire, les baisses de pension, les baisses d’allocation… Pour l’instant on restreint, comme une peau de chagrin, le nombre de ceux qui y ont droit, à la grande joie de tous ces larbins qui osent les traiter de « privilégiés » ou de « profiteurs ». Les signes prémonitoires d’une amplification de la crise ne manquent pas, mais, heureusement, on ne fait que tourner autour du pot. Les banquiers ont trouvé un petit jeu très drôle ; on ne voit pas pourquoi ils changeraient… Si je faisais mes courses avec la carte bleue de mon voisin, je ne vois pas pourquoi je me contenterais d’un panier !
L’enfumage fonctionne à plein débit. Les données dérangeantes sont mixées avec d’autres insignifiantes : miracle des statistiques et des sondages. Le nombre réel de chômeurs est sous-estimé. Les emplois précaires explosent. Pour conserver une certaine opulence visible dans la sphère sociale, les ménages font des coupes sombres dans des budgets essentiels : soins médicaux de base de plus en plus reportés vers le futur, choix alimentaires conduisant à la malnutrition… Un ménage français consacre maintenant près de la moitié de ses revenus à se loger et à se chauffer…

 Les services publics gèrent la pénurie organisée par leur ministère de tutelle. C’est la dèche universelle, de la santé à la recherche en passant par les services sociaux. Un exemple que je connais bien ? L’Education Nationale. On voit maintenant des collègues travaillant dans des zones défavorisées avec des classes à cours double de 30 élèves et plus… Il faut avoir fait l’expérience d’essayer d’apprendre à lire à trente mômes en même temps, pleins de bonne volonté mais pas forcément d’attention, pour comprendre ce que cela signifie. Lorsque l’enseignant se plaint à ses supérieurs de conditions de travail non pas difficiles, mais ingérables, on lui répond gentiment que c’est bien dommage mais que son école est « juste en dessus du seuil d’ouverture »… Il y a bien en effet un « seuil d’ouverture » pour les créations de classe ; c’est un concept un peu singulier. De mon temps, l’inspection de l’étage supérieur répondait de façon fort diplomatique que l’on n’aurait pas de création de poste car on était juste en dessous de la barre. Dans un second temps, le critère de refus s’est aligné avec le seuil lui-même. Le « juste en dessus », j’ai sans doute quitté la marine à voiles trop tôt pour l’entendre. Si ce n’était pas tragique, ce serait cocasse. Imaginez le sauteur à la perche aux championnats du monde : « non monsieur, désolé, vous n’aurez pas la médaille parce que vous êtes passé juste en dessus de la barre… » Les différents maillons de la hiérarchie, comme dans toutes les autres administrations, ne savent plus quel verbiage inventer. La seule consigne que leur a donnée le maillon supérieur étant : « faites passer la pilule ; il est obligatoire de l’avaler ; ça ne se négocie pas »… Il serait peut-être plus honnête d’annoncer clairement que le seuil critique est fixé à 35, 50 ou 80, mais ça pourrait heurter l’opinion publique.

Les retraités roumains ou portugais auxquels on a supprimé 30% d’une pension qui n’était déjà pas bien haute n’en peuvent plus d’austérité. Les handicapés grecs qui ne perçoivent bientôt plus rien du tout se moquent éperdument des tourments moraux que subissent les banquiers de leur pays. Même nos voisins anglais qui s’en prennent plein la tronche depuis l’heureux règne de Miss Thatcher, commencent à ruer sérieusement dans les brancards. Le nouveau traité européen qui vient d’être paraphé par les gardiens du temple, sans assentiment aucun des peuples concernés (sans même qu’ils soient consultés d’ailleurs) fait penser à une représentation de la Comedia dell’Arte : du grand guignol, mais du grand guignol tragique car il s’agit ni plus ni moins que d’encadrer de façon un peu plus stricte encore, la marge de manœuvre de chacun des gouvernements concernés. Qu’on se le dise : il n’y a qu’une seule politique économique permise ; les clous du passage piéton sont électrifiés pour la plus grande béatitude des troupeaux qui vont traverser les routes. « Réduire les déficits », « rembourser les dettes », « serrer la vis d’un tour », voici les têtes de chapitre du nouveau petit livre rouge édité par et pour les gardiens du temple capitaliste sacré. Silence radio sur les livres de messe : on ne s’interroge pas sur la légitimité des dettes en question, sur les taux d’intérêts pratiqués… Lorsque quelques esprits dérangés en Italie font remarquer que si l’Eglise Catholique payait des impôts fonciers sur les biens terrestres qu’elle possède dans ce doux pays, et un impôt sur les bénéfices concernant les profits qu’elle réalise, il n’y aurait plus de déficit , on les considère comme des farfelus ou des anticléricaux primaires. Mieux vaut amuser les foules avec des histoires à connotation raciste, c’est un miroir qui a toujours fonctionné avec les alouettes simplettes. Quant à évoquer les budgets militaires, personne ne s’y risque. On ne touche pas à la bombinette, cela fâcherait les galonnés.

 Au cas où les esprits des gueux s’échaufferaient un peu trop parce qu’ils supportent mal les mesures d’austérité préventives que l’on prend (contraint, forcé mais chagriné) à leur dépens (mais pour leur éviter l’austérité curative contrainte et forcée), reste toujours les fanfreluches à agiter d’une croisade pour défendre la civilisation occidentale ou pour faire payer aux « salauds d’ailleurs » les brimades que l’on subit des « gens biens de chez nous ». Les marchands d’armes tiennent toujours quelques tisons bien au chaud : Républiques Caucasiennes, Moyen-Orient, Chine et Japon… Comptez sur leur imagination, mais de grâce ne leur apportez pas votre soutien implicite. Nulle guerre n’a jamais de juste cause. Je vous assure que l’on n’est pas obligé de tenir toujours le même rôle dans la même comédie. Ce n’est pas parce que la colère ouvrière a débouché sur 1914/18 ou que la crise de 1929 a allumé le brasier de 39/45 qu’on est contraint de marcher au pas de l’oie. Le péril est grand cependant si l’on observe attentivement la montée des extrêmes droites en Europe. La Grèce est dans une situation périlleuse. La percée du mouvement « aube dorée » augure d’un futur plutôt inquiétant. Les financiers savent très bien qu’il n’y a rien de tel qu’un gouvernement à poigne de fer pour remettre le peuple dans le droit chemin de la résignation. Marche au pas ! Ecoute les sermons de la télé ! Sinon gare !

Un espoir ? Toujours !

 En fait la note optimiste finale de cette chronique toute noire, c’est que la crise présente, une de plus dans la longue histoire du capitalisme (mais non la moindre), est peut-être l’occasion de tester, en marge du système, la construction de nouveaux rapports économiques, plus humains, plus respectueux de la planète. Si je me permets d’énoncer cette hypothèse c’est parce que la porte est ouverte et que nombreux (relativement) sont ceux qui s’y sont déjà engouffrés. Cette marginalité nouvelle, en mouvement, ne doit cependant pas oublier sur le bord de la route ceux qui n’ont plus vraiment la liberté de choix, pour des raisons d’âge, de santé, ou de moyens intellectuels. Ceux-là sont dans le système ; ils en sont dépendants ; ils n’ont pas la possibilité de choisir une alternative. Il ne faudrait pas les laisser en plan. Ils sont dans la situation d’un poisson rouge dans un bocal fissuré et ils n’ont ni ailes ni poumons. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs… sans doute. Or, ce n’est pas d’une omelette dont nous avons besoin mais d’un monde nouveau. Signe positif, annonciateur d’un changement – peut-être ? – de nombreux documentaires (livres, vidéos, articles de journaux) sont mis à disposition du public, en général sur le web, parfois (mais bien trop rarement) à la télé. Ils témoignent avec naïveté parfois, mais toujours avec énergie, du fait qu’une partie de l’humanité n’a pas envie de se laisser noyer sans réagir. Espérons que ces exemples d’auto-émancipation feront tache d’huile le plus rapidement possible… ou amèneront au moins certains de nos concitoyens à réfléchir. Plus on est de fous, plus on délire !

 

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18octobre2012

« je ne souhaite cela à personne »

Posté par Pascaline dans la catégorie : Le sac à Calyces.

Propos au sujet d’un livre et de son auteur

 Pour moi, cela ne fait aucun doute : aimer, se sentir aimé, est à la base de la construction de tout être humain. Je n’ai d’ailleurs rien inventé.

Certains sont persuadés au contraire qu’il faut élever les enfants à la dure car la vie ne leur fera pas de cadeau. Or, c’est par un amour sans borne qu’on en fera des personnes fortes, car être aimé rend fort. Mais, s’il n’y a rien de plus facile qu’aimer, il n’y a, aussi, rien de plus difficile qu’aimer…

Je suis bien consciente que de tels propos peuvent être considérés juste comme une jolie formule pour briller. Et si l’on en creuse le sens, ils peuvent être soumis à diverses interprétations que je ne saurais cautionner…

Si j’insiste là-dessus, Saïd, c’est parce que tu as la certitude que tes parents vous aimaient, à leur façon, tes frères et toi. Tes parents : Derradj, ton père algérien, et Raymonde, ta mère française.

Mais tous deux se disputaient sans cesse, « tributaires d’une éducation et de structures familiales déficientes », incapables d' »accepter leurs différences »…

Et c’est ainsi que, pour toi, un enchaînement infernal a commencé.

Ton autobiographie se lit comme un roman très bien écrit, avec d’innombrables rebondissements, mais il n’a pas été confortable pour toi d’être le héros malmené de ce « roman ».

Malheureusement, cette ambiance infernale de conflit permanent a causé l’intervention de la DDASS. Ton frère de quatre ans et toi, trois ans, vous êtes placés, et, de plus, dans des familles d’accueil différentes.

 Cela s’est passé il y a une cinquantaine d’années, on pourrait donc penser que les choses ont changé depuis. Et c’est vrai qu’elles ont changé. J’ai moi-même travaillé avec des assistants sociaux et des familles d’accueil, j’ai fait de magnifiques rencontres, ce qui ne veut pas dire qu’aujourd’hui, toutes les familles d’accueil soient correctes. Mais il y en a d’extraordinaires ! Je me souviens d’ailleurs des propos d’une maman d’accueil : « on n’a que des devoirs et aucun droit », déplorait-elle. « On nous interdit de nous attacher aux enfants. » Comme si c’était possible !

Il est vrai que quand on s’attend à recevoir un coup de téléphone ordonnant que l’enfant soit prêt à partir dans une heure pour une séparation définitive (cela reste exceptionnel je crois, mais cela se produit), c’est dur, et cela complique singulièrement la relation que la famille d’accueil peut établir avec les enfants recueillis. Comment ne pas s’attacher à ces enfants fragilisés, du moment qu’on a un coeur ? Et, face à ces manières brutales, on se dit qu’il y a encore des progrès à faire ! Ces enfants, placés soi-disant pour leur protection, que ressentent-ils, quand on vient les prendre de cette façon brutale, sans même leur laisser le temps de se faire à cette idée ?

Pour en revenir à toi, pas besoin d’être perspicace pour comprendre combien ce placement a été néfaste. Tu soulignes le fait que rien ne vous a été expliqué, ni à ton frère ni à toi. Tu étais bien petit pour quitter ta famille. Il est évident que la grande souffrance dont tu parles, que tu n’as pas oubliée, a perturbé ton comportement.

Je ne te cherche pas des excuses, tu n’avais pas à faire ce que tu as fait plus tard : gagner de l’argent facile en cambriolant, mais je suis incapable d’imaginer un autre parcours dans les conditions où tu t’es retrouvé.

De cette longue période dans diverses familles d’accueil, tu gardes « juste le sentiment que cela se passait toujours mal. »

 Une fois écoulées cinq années pendant lesquelles tu as été la patate chaude, le ballot dont on cherche à se débarrasser, l’enfant à la « mauvaise conduite notoire » qui valsait d’une famille d’accueil à une autre, tu retrouves les tiens. Malheureusement,  l' »atmosphère conflictuelle des souvenirs de [tes] toutes premières années » n’a pas changé.

Peu de temps plus tard, un juge pour enfants vous place, ton frère et toi, dans un foyer tenu par des Pères catholiques. Et toujours aucune explication.

« Le foyer, maison que l’on qualifiait, à juste titre, de «correction», où je suis resté enfermé pendant plus de huit ans, fut, en ce qui me concerne, le lieu de mon apprentissage de la délinquance. J’y ai découvert le racisme primaire, les humiliations, les coups, la perversité, l’injustice sous toutes ses formes, les vertus de la loi du plus fort, et aussi que tout s’exige ou se prend.
Quelques années plus tard, l’atmosphère de la prison me sembla familière, quand je retrouvai, dans le regard sadique de certains matons, le plaisir que les frères me paraissaient prendre à leur cruauté vertueuse (…)
Le foyer m’aura aussi appris à supporter la douleur. »

Le racisme est présent pendant ce séjour, où tu as connu la « honte parce que [tu] appartenais à une ethnie différente. »

« Tes origines te destinent à un travail manuel », te dira le Père directeur au moment de l’entrée en sixième. Toi, tu souhaites apprendre, tu as des moyens, tu as une grande soif de connaissances qui se manifeste tout au long de ton livre. Mais les adultes qui t’entourent ne sont pas d’accord.

« J’ai eu beau plaider que la serrurerie ne m’intéressait pas, que je voulais faire des études, il me répéta que mon père était algérien. Son raisonnement m’échappait. Je lui demandai pourquoi moi, le meilleur élève de la classe, qui trouvais un tel plaisir à étudier, j’étais puni de la sorte (…). À onze ans, je ressentis cet arrêt dénué de sens comme une injustice supplémentaire, d’autant plus révoltante. »

Le chapitre suivant, sans surprise, a pour titre « la dérive », un autre un peu plus loin « l’escalade ».

 Si ton autobiographie était une fiction, je trouverais que tu en fais trop : dans le détail, les frères t’imposent une formation de serrurier que tu mettras en pratique dès le début de tes activités illégales. Plus généralement, tu subis l’acharnement aveugle d’une société qui fait tout pour te briser, accumulant empêchements, mauvais choix qui seront faits à ta place et t’entraîneront, en effet, vers des dérives, alors que tout jeune tu veux étudier, et plus tard avoir une vie rangée avec famille, maison, travail… Tu as été poussé vers la délinquance, qui t’a mené à la prison, et, de là, au banditisme.

Mon but n’est pas de raconter tout ton livre : les lecteurs que ton parcours intéresse se le procureront.

Mon idée, c’était de souligner, une deuxième fois après toi, ce côté implacable. Tu te bats sans cesse et on croirait que quelqu’un te tient la tête sous l’eau en permanence. Tu as lutté de toutes tes forces pour accéder à cette existence que tu souhaitais, un souhait raisonnable d’une existence rangée, et il est évident que quand tu en arrives aux moyens illégaux, c’est aussi par lassitude. Tu en as assez de ne pas réussir.

Tu étais très jeune quand tu as connu la prison pour la première fois, « pour un délit dont [tu] es innocent. » Elle n’a pas joué le rôle de rééducation qu’elle était sensée jouer à ton égard, loin de là. Les conditions sont très dures, la description que tu fais de la crasse ferait gerber, le manque d’hygiène est total. Tes colocataires, comme tu les appelles, prennent soin de toi, te protègent, te donnent les ficelles du métier. Pour couronner le tout, seul le désœuvrement vous est proposé.

Je ne dirai rien sur le chapitre concernant ton bref statut de militaire. Je ne suis pas certaine que tu te sois autant marré, quand tu l’as vécu, que moi quand je t’ai lu !

 Je ne savais rien de toi quand j’ai feuilleté ton livre, par le plus grand des hasards, choisi parmi des centaines d’autres dans une librairie. Moi qui lis peu – j’adore ça mais d’autres activités passent avant – j’ai accroché tout de suite. Qu’est-ce qui nous pousse à acheter tel ouvrage plutôt que son voisin ?

Ton cheminement, dont je viens de tenter de démonter le mécanisme, est un élément très important de l’ouvrage. La description que tu fais des innombrables taules que tu as connues, transfert après transfert, est accablante. Le fait que tu aies résisté à cela montre que tu es un homme hors du commun.

On se retrouve en prison pour avoir enfreint la loi, mais il s’agit d’un lieu qui ne rééduque pas, et où la loi n’est pas respectée : un espace de non droit. Quant aux brimades et aux tortures physiques ou morales, elles brisent les individus. Bien sûr, tu t’en es sorti, mais à quel prix ? Et, pour un qui réussit, combien se suicident en prison, ou après leur sortie, incapables après cette terrible expérience de surmonter les séquelles de l’enfermement ? D’autres sombrent dans la dépression, l’alcool, la rue… Dénoncer la prison n’est pas nouveau, mais ton livre, actualisé, documenté, est un réquisitoire implacable.

Entre la difficile réinsertion du taulard, et sa confrontation à une société qui a peur de lui, la peine est, dans les faits, une condamnation à vie.

 Un jour, tu fais la découverte qui va faire tout basculer. Je te laisse la parole :

« C’est en 1994 (…) que je découvre l’article 55 de la Constitution française de 58 qui prévoit la primauté du droit international sur le droit interne.
Cela change tout !
J’avais déjà compris (…) que le droit français ne nous était d’aucun secours (…)
Je découvre ainsi une façon plus efficace de me battre, sans violence, en restant dans le cadre de la légalité. Plutôt que de céder à la colère, je deviens un guerrier. »

Tu étais condamné à perpétuité, sans peine de sûreté. Et c’est toi qui as fait entrer dans la prison le respect de la loi. Ce qui est remarquable alors, c’est le « Pour qui vous prenez-vous ? » que tu obtenais des gardiens comme réponse à tes demandes : ayant enfreint la loi, ce n’était définitivement pas à toi de la faire respecter !

Mon texte manque sans doute de nuances : les gardiens, les surveillants, les directeurs de prison ne sont pas tous des brutes sadiques. Tu as rencontré aussi des personnes respectables. Je voudrais évoquer ce gardien dont la mort est à l’origine de ta condamnation, tu penses du bien de lui, « un type avec qui l’on peut discuter. » Il n’est pas le seul, bien sûr.

J’ai dit que tu es un homme hors du commun : même si tu as passé des moments très durs, tu t’es battu, et ce qui m’étonne le plus peut-être c’est que tu en as trouvé l’énergie, jour après jour, année après année. Tu as des principes, et tu n’en as jamais dérogé. Tu n’as pas suivi le troupeau, tu as conservé en permanence ton indépendance d’esprit.

 Les anciens détenus sont des gens dont on se méfie le plus souvent. Mais moi, je te fais confiance, à cause de tout ce que j’ai lu dans ton texte et entre les lignes. Pas de mauvaise surprise avec toi, je te vois incapable de coup foireux. J’éprouve pas mal d’admiration pour ce guerrier, comme tu te dis, que tu es devenu.

Tu as eu une puissante motivation qui a dépassé toutes les autres : tu es devenu papa. Pour tes petits garçons, tu as retrouvé dans les plus durs moments l’énergie pour te battre. Pendant ta difficile période en liberté conditionnelle, ils existaient, et sans eux, tu aurais peut-être baissé les bras.

Tu les aimes, ils le savent, voilà pour eux un point d’ancrage fondamental. Mais c’est interactif, car ils te renvoient l’amour que tu leur donnes.

En écrivant à ton sujet, je souhaitais réaliser une vraie interview, mais tu es bien trop occupé. Comme je n’ai pas l’acharnement d’une vraie journaliste (je ne voudrais jamais cela), je préfère me contenter de ce que je trouve dans ton livre ou sur ton site, tous deux fort bien faits.

Aujourd’hui, tu as cinquante-cinq ans, et tu élèves tes trois petits garçons, les deux jumeaux ont atteint les dix ans je pense, et le plus jeune huit ?

Tu t’appelles Saïd André Remli. Tu as écrit ton autobiographie :  « je ne souhaite cela à personne », éditée au Seuil, et tu es consultant en prévention, prison et réinsertion.

J’ai choisi cette date anniversaire pour parler de toi, et, au travers de toi, de tous ces sujets qui me tiennent tant à coeur.

Avant, pendant, après la prison, ton existence a été très difficile. Je te souhaite non pas de cesser le combat, je ne crois pas que ce soit la bonne idée, mais de le faire avec au cœur le soleil dont tu as été privé si longtemps. Tu as plus que largement payé tes erreurs, et ta façon de te consacrer aux autres, avec l’expérience précieuse de celui qui connaît de l’intérieur, alors que tu aurais pu choisir de t’éloigner au maximum de ton passé, représente pour moi comme une revanche.

En lisant ton livre, je la partage avec toi et j’en suis heureuse.

Merci, ami Saïd

Références de l’ouvrage : « Je ne souhaite cela à personne » – Saïd André Remli – Editions du seuil – autobiographie publiée en janvier 2010.
Illustrations : les photos utilisées proviennent du site de Saïd André Remli ou sont extraites de fichiers vidéo (émission direct 8 – web télévision)

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8octobre2012

Bric à blog vachement trop bien pour l’automne

Posté par Paul dans la catégorie : Bric à blog.

Après les manoirs, les vaches, vaches à lait (du Beaufortain s’il vous plait). Leur point commun avec nous ? Se faire traire tous les jours. Une différence majeure ? Nous ce sont les banquiers qui nous traient ; mais l’exploitation est tout aussi radicale. Images de troupeau ; images sereines, mais, au bout de la route l’abattoir. Heureusement nous n’en sommes pas encore là. « Soleil vert » c’était de la bonne vieille SF… Mais dans notre monde, les bouches inutiles – celles qu’on ne peut « traire » tous les jours pour en extraire la substantifique moelle – ne pèsent pas bien lourd sur l’échiquier du capitalisme sauvage. Pour en revenir à ce bric à blog riche en adresses (blogodiversité durable je l’espère), je ne vais pas le ponctuer de meuglements sonores, mais les vaches seront quand même notre fil conducteur.

Commençons par un lien vachement utile. J’ai découvert en rebondissant depuis la page de « Météo France », un site qui porte le nom un peu austère de DRIAS et qui s’intéresse au futur du climat ; une concrétisation en quelque sorte de ce que peuvent donner les projections des climatologues sur l’évolution envisagée de la météo, région par région. Vous pourrez vous faire une idée de la situation climatique en 2055 ou 2088 (température et pluviométrie). C’est très détaillé et donc sans doute un peu approximatif : on ne doit pas avoir une foi inébranlable dans les calculs informatiques, même si la météorologie est l’un des secteurs les plus voraces en matière de puissance de calcul. Je ne sais pas si Mme Soleil aurait osé en son temps. La tendance globale – vous vous en doutez – est au réchauffement : plus chaud (2 à 3°en moyenne en 2055) et plus sec (un cumul de pluie annuel inférieur de 200 mm dans notre belle région par exemple). Les variations par rapport aux moyennes sont néanmoins importantes. S’agit-il d’hypothèses optimistes, pessimistes, équilibrées ? Je n’en sais rien, mais en tout cas c’est intéressant à connaître. Si ces tendances se confirment, il est fort probable que la vie végétale et la vie animale connaîtront elles aussi des changements.

Paragraphe « bricolage ». Un premier lien vachement sympa vers le site « fabriqué à mains nues« . Le dernier billet publié « Du taillage de crayon » vaut le détour à lui tout seul. Je suis certain que vous n’avez jamais autant réfléchi à la manière dont vous affinez avec amour la pointe de votre précieux « crayon de papier » comme disaient les enfants à l’école. Si votre curiosité naturelle et scientifique vous pousse à aborder des sujets plus sérieux, telle la thermodynamique, alors le billet précédent est pour vous. Ainsi de suite… « Fabriqué à mains nues » ne se prend pas au sérieux, mais donne du grain à moudre à celles et ceux qui aiment bien tourner autour des choses afin de comprendre le pourquoi du comment de la petite manivelle qui tourne, qui tourne, qui tourne… Prenez la peine de cliquer sur « à propos de ce blog » et d’admirer la jolie photo du bureau de l’auteur. Je regrette simplement, en tant qu’ami des chats, qu’on ne voit qu’un si petit bout du sympathique animal.
Après ces quelques lectures roboratives, vous êtes fin prêt pour vous rendre sur la page de compte-rendus du premier « Open Bidouille Camps » qui a eu lieu en septembre à Saint-Ouen. L’article, vachement passionnant, est publié sur le site d’OWNI et propose plusieurs photos sympas de la manifestation. Il s’intitule « On a bien fait la bidouille à la française« . Les ateliers de fabrication et de réparation de divers objets technologiques sont à la mode dans les pays anglo-saxons depuis quelques années et commencent à se développer dans notre pays. Les principes sont simples : échapper aux mécanismes commerciaux traditionnels, démontrer que les objets peuvent avoir une seconde vie, partager les savoirs, chercher de véritables innovations c’est à dire des objets qui peuvent réellement enrichir (aux sens de embellir et/ou faciliter) notre vie sans être énergie-voraces. J’avais déjà évoqué cette question dans un « bric à blog » antérieur, en vous parlant des « fab’lab » aux USA. Le sujet m’intéresse toujours autant. Moi mon truc c’est le bois, plus que l’électronique et j’échangerais volontiers !

Si vous bricolez à mains nues et que le bruit des moteurs n’envahit pas trop votre espace de labeur, alors autant écouter de la musique. J’ai découvert un site qui enchante mes oreilles, et que je trouve donc vachement joli, musicalement parlant. Ça s’appelle « bordel de mer » et ça déborde de chouettes chansons de marins. « Oh hisse et ho ! » n’est-ce pas parfaitement adapté au va-et-vient énergique du rabot ? Il s’agit en fait d’une émission de radio hebdomadaire, diffusée chaque dimanche sur les ondes toilesques, depuis la Montérégie, une belle région du Québec, précisé-je pour les incultes. Le Québec est le paradis des amateurs de musique traditionnelle de tous bords (comme moi !)… Paradis pour la musique en général mais pas que… les Québecois ont le talent de continuer à s’intéresser à des domaines artistiques que nous boudons un peu : le conte par exemple… En tout cas, grâce à « Bordel de Mer », j’ai fait de bien belles découvertes et appris aussi de tristes nouvelles comme celle du décès du chanteur breton Michel Tonnerre.

Ceux ou celles qui pensent que j’allais m’écarter de l’actualité politique, écologique et des malheurs de ce monde, vont être un peu déçus par la suite… Autant préparer la transition en douceur en vous parlant d’un article du Monde (Diplomatique bien sûr !) qui fait le point sur les tentatives de construction d’une économie parallèle en Italie. Du bricolage en commun aux monnaies parallèles en passant par les éco-villages, il ne pourrait bien y avoir qu’un seul grand pas à franchir. La crise économique actuelle fournit un bon levier à ceux qui veulent inventer d’autres solutions au quotidien. Comme le dit si bien le site d’infos Utop’Lib, on ne cause point de « grand soir » mais plus trivialement de « petits matins » qui chantent. C’est vachement bon pour le moral de savoir qu’il existe quelques portes de sortie dans le labyrinthe dans lequel nous errons. L’article rédigé par Geraldina Colotti dresse le portrait d’un certain nombre d’expériences en cours dans les villes ou villages italiens. Ces chantiers collectifs sont un peu moins célèbres que d’autres, en Espagne ou en Grande Bretagne, mais ne présentent pas moins d’intérêt pour autant. En lisant ce texte bien documenté, vous apprendrez – comme moi – l’existence depuis 1996 d’un Réseau Italien des Villages Ecologiques ou vous entendrez parler de GAS, groupements d’achat solidaires qui ressemblent en beaucoup de points à nos AMAP. Une recette de fonctionnement que je trouve diablement sympathique : « Mélanger dans une banque un kilo d’échanges avec trois cents grammes de réciprocité et de socialisation. Ajouter une tasse d’amitié, trois cuillerées de sympathie, deux jaunes d’œuf de confiance et épaissir avec un sachet de joie. Bien mixer le tout avec une pincée de folie, une de magie et une de mystère. Asperger de couleur. Enfourner à la bonne température pendant le temps qui convient. Pour finir, saupoudrer de spontanéité, garnir de culture et d’art, et servir avec douceur la banque du temps (BdT). »

Le reste de l’actualité écologique que j’ai retenue n’a rien de bien réjouissant. Un problème vachement inquiétant par exemple, celui des OGM dont on nous a rabattu les oreilles à la fin du mois de septembre, avant de passer la question à la trappe et de laisser les « experts » décider pour nous. Il suffit que soient publiés les résultats d’une étude conduite par un chercheur pendant deux ans, que les conclusions de cette étude aillent à contre-courant du discours officiel rassurant, pour que le Professeur Seralini qui a commis cette grossièreté soit soumis à un véritable tir de barrage de « contre-expertises » dont certaines ont été réalisées en quelques heures. Il est vrai qu’en matière de mise sur le marché d’OGM les géants du secteur rivalisent totalement de manque de sérieux. Les OGM c’est l’un des avenirs radieux que nous offre la science au service des marchands, alors vous comprenez, Germaine, ceux qui se permettent d’avoir des doutes ne sont que des illuminés passéistes (tiens, c’est un discours qu’on a déjà entendu). Petite galerie de portraits des courageux avocats de Mr et Mme Monsanto sur le site « Combat Monsanto » : « Ces conflits d’intérêt qui nuisent à la science » – ou sur le blog « Planète sans visa » de Fabrice Nicolino : « Je n’ai pas le temps mais quand même (l’étude Séralini sur les OGM) » ; deux lectures édifiantes.
Vachement énervant tout ça, d’autant que ces messieurs ne s’arrêtent pas à la génétique et à l’atome, mais se passionnent aussi pour les nanoparticules. Heureux cobayes que nous sommes ! Nous expérimentons à tout va et pendant ce temps, les nanoparticules se dispersent tranquillement dans l’environnement. Un article de Basta signale une étude publiée dans la revue de l’Académie des Sciences aux USA, dont les résultats sont plus qu’effrayants. Certaines de ces nanoparticules  déjà employées comme additif dans le diésel ou comme composant dans les cosmétiques, auraient la particularité, une fois dispersées dans les sols, de bloquer ou de ralentir le développement des végétaux. Rappelons à nos lecteurs inattentifs que les industriels profitent d’un vide législatif impressionnant pour faire un usage de plus en plus « généreux » de ces nanoparticules dans un nombre élevé de produits que nous utilisons au quotidien. L’occasion, pour faire le point, de relire l’ouvrage édité par le collectif grenoblois PMO (Pièces et Main d’œuvre). Le titre de ce livre documentaire : « Aujourd’hui le Nanomonde ». Toute étude qui montrerait un lien quelconque entre les nanoparticules d’aluminium et les maladies neurodégénératives est condamnable d’avance par la communauté scientifique bien pensante. Qu’on se le dise !

 Les anars sont capables de prendre de vachement bonnes initiatives. J’en suis convaincu, mais ça ne fait de mal à personne de le répéter : après « anarlivres » qui recense les nouvelles publications de revues et de livres ayant un rapport direct avec la pensée libertaire, après « cartoliste » qui fait le même travail ardu sur les cartes postales (histoire et actualité), voici maintenant « placard« , un site consacré à l’inventaire des affiches anarchistes. Si avec tout ça vos connaissances sur l’anarchisme se limitent à ce qu’en racontent le Figaro, le Nouvel’Obs ou l’Humanité, vous n’avez vraiment aucune excuse !
Mon inventaire des sites documentaires sur le mouvement libertaire ne serait pas complet si je ne mentionnais pas aussi « 100 ans de presse anarchiste« . Il s’agit d’une mise en ligne de la thèse de René Bianco, décédé en 2005. Mais le travail ne s’arrête pas à cette échéance : un groupe de bénévoles s’est engagé à poursuivre le travail.

Le coup de cœur du mois reste à l’ombre du drapeau noir :  j’ai ajouté à la liste de mes favoris le blog et les chroniques de Floreal. J’en ai déjà parlé dans l’un des brics à blog antérieurs et je confirme ! J’aime le ton et le contenu. Parmi les derniers billets publiés, ces derniers jours, lire, entre autres, « la vie d’un homme et l’avis d’un expert, combien ça coûte ? » Tant qu’il y aura de bons blogs ça sera vachement plaisant de se balader sur la toile ! A la prochaine ! Ça me fera vachement plaisir de lire vos commentaires d’ici là !

NDLR : s’il manque des liens dans le texte c’est tout simplement qu’ils figurent dans les liens permanents (colonne de droite). Les photos proviennent de la vachothèque de la FC. Un seul ruminant n’est pas originaire du Beaufortain…

 

 

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2octobre2012

J’aurais aimé habiter dans un manouarrh…g

Posté par Paul dans la catégorie : Delirium tremens; les histoires d'Oncle Paul.

 J’aurais aimé habiter dans un manoir (tant qu’à faire avec un grand parc, un étang et des arbres centenaires). J’ai au moins deux bonnes raisons à cela. D’une, parce que les bâtiments historiques que l’on qualifie de cette manière me plaisent généralement beaucoup ; de deux parce que j’aime la sonorité de ce mot. C’est important d’aimer des mots. Du coup on a envie d’en connaître l’origine, l’étymologie comme on dit chez les lettrés qui abondent parmi mes lecteurs.

Rien de tel qu’une petite visite sur Wikipedia pour répondre à cette soif soudaine de connaissance ; « manoir », j’ai de la chance car l’article est plutôt bien documenté. Je vous fais partager mes découvertes… Ne me remerciez pas, c’est tout naturel et ça vous évitera un clic. L’origine du mot d’abord : sans doute un dérivé du mot latin manere qui signifiait « demeurer un certain temps ». Destiné probablement à ne rester vivant sur cette terre qu’un bref instant à l’aune des ères géologiques, un logis dans lequel on « demeure un certain temps » me conviendrait parfaitement !

 La suite de la description se gâte un peu… Non pas que j’eusse espéré que l’on appelle « manant » l’occupant d’un manoir (bien que cette extrapolation m’eut arrangé socialement parlant), mais j’apprends que le terme convenable pour désigner l’heureux occupant d’une telle bâtisse est en fait « hobereau ». Ce mot, par contre, ainsi que toutes les connotations qui l’accompagnent ne me plait pas du tout (ressemblance avec « maquereau » ? « tombereau » ?), ce qui complique sérieusement ma tâche. Le hobereau, nous apprend l’encyclopédie, est en fait un personnage d’importance toute relative, un nobliau en quelque sorte, autre mot détestable. Comme le coq dressé sur son tas de fumier, il claironne, plastronne et bouffonne du sommet du parvis qui permet d’accéder à sa noble résidence. Comme le gallinacé tonitruant, il est malheureusement à la merci du premier renard de passage, et sa « brillante carrière » ne pèse guère face aux rétorsions que peuvent exercer à son égard tous ceux qui ont su occuper une place plus proche du firmament céleste. Alors il compense ce manque d’envergure par un paternalisme sucre et sel, veillant au bonheur relatif de son petit peuple, de ceux qui suent sang et eau, quotidiennement, pour payer la plume de son chapeau.

Non, là ça ne colle plus. Moi qui me vante d’avoir des ancêtres n’ayant jamais joué un rôle autre dans la destinée de leurs concitoyens, que de leur fournir du pain, du tabac ou du ciment… Ouvriers, laboureurs, manouvriers, quelques pédagogues mais point de généraux, d’évêques ou de ministres. Manant moi-même, je ne me vois guère distribuer du haut de mon balcon les cacahuètes dont je m’estime redevable à l’égard de ceux qui m’ont aidé à constituer le pécule que j’ai placé en bourse et qui me rapporte bien plus que leurs misérables paniers de carottes. Pareil pour ma compagne, je l’imagine mal distribuant quelques piécettes ou ses hardes usagées à la sortie de la messe le dimanche. Je me suis renseigné, elle n’a rien à voir ni avec les de Wendel, ni avec les Rockfellers. Ça coince donc pour le hobereau.

Difficile de se procurer un manoir quand on n’en possède point. Mon cerveau élimine d’emblée plusieurs hypothèses banales pour en chercher de plus originales. Je n’en trouve guère. Reste éventuellement la solution révolutionnaire classique, celle du croquant qui s’empare avec quelques concitoyens habilement manipulés de la riche demeure du notable local. La suite de la manœuvre est connue : on devient commissaire du peuple ; le manoir devient la propriété du parti dont on est l’unique représentant labellisé sur place. Au début les « concitoyens – camarades » grognent un peu ; il suffit de virer les meneurs au goulag avec l’aide de quelques autres parvenus en les traitant d’irresponsables. Et la vie reprend son cours monarchique. Disons que – dans un premier temps – le monarque local n’a plus ni perruque ni sceptre ; seulement un quelconque « petit livre rouge » et la bénédiction du parti tant que l’ordre règne. « On » a veillé à ce que le service en cristal du hobereau et les flacons les plus prestigieux de sa cave ne soient pas bêtement gaspillés. Cela permet de porter quelques toasts au balcon aux « courageuses travailleuses » qui partent trimer avec ardeur dans la filature du coin, ou « aux héros révolutionnaires » qui s’engagent à se faire trouer la panse dans un quelconque conflit frontalier, à la place de « on ».

Scénario indigne du libertaire que je prétends être. Je relis ce que je viens d’écrire et m’exclame, la chope de bière à la main : « mort aux vils hobereaux et à leurs épouses corrompues ! » Toujours tarabusté par les questions de vocabulaire, j’en viens alors à me demander comment on nomme l’épouse du propriétaire du manoir que je convoite… Un qualificatif charmant et je pourrais reconstruire un récit dans lequel je ne serais plus le « révolutionnaire », couteau entre les dents, prenant possession des lieux au nom du parti, mais, de façon plus romantique, l’amant de la dame patronnesse. Le mari qui la néglige ? Une promenade en barque, un accident de chasse, une arête de saumon dans le gosier… la littérature qu’affectionnent certains de mes lecteurs ne manque pas de brillantes démonstrations.

 Malheureusement, mes investigations linguistiques débouchent sur une série de couacs. Si l’on trouve de nombreuses entrées faisant référence aux mots « épouse » et « hobereau », mon lanterneau ne s’en trouve point mieux éclairé car aucun terme ne semble correspondre à mes besoins. Le hobereau a une épouse. Une chose est certaine : elle n’est point hobereaute ni hoberette. Point final. Elle est jeune et fauchée et elle l’a épousé parce qu’il est vieux mais riche. Elle est vieille, moche mais fortunée, et comme le dit une belle citation que j’ai trouvée : « L’épouse si joliment argentée valait bien quelques sacrifices disait le hobereau tout en rangeant son crapouillot dans son caleçon rouge à pois… »

Je ne veux point vous ennuyer trop longtemps avec mes divagations, vous que la question du manoir laisse grandement indifférents, soit parce que vous en habitez déjà un, soit parce que votre morale bien comme il faut vous pousse à ne point désirer ce que vous n’avez pas. En tout cas, devenir l’amant d’une épouse de hobereau, supportant avec peine un veuvage récent, ne résout en rien mon problème existentiel. Il se peut en fait que l’origine de ce trouble soit en fait mon manque d’imagination ou d’ambition sociale. Une démonstration simple… Imaginons que j’aspire à habiter un château plutôt qu’un manoir. Le fil de l’histoire se déroule alors dans une simplicité enfantine : château, châtelain, châtelaine ou… si l’on apprécie la précision des titres, duc ou duchesse, marquis ou marquise, comte ou comtesse… Pourquoi le hobereau seul est-il frappé d’ostracisme et condamné à n’avoir qu’une simple épouse ?

Il est temps d’évoquer le manoir que j’aimerais habiter et dont je n’hériterai jamais, à moins qu’un mécène lisant ce billet ne se décide à faire un geste sérieux pour m’encourager dans mes projets. Merci encore à Wikipedia de me proposer quelques belles illustrations, histoire de me faire rêver cinq minutes de plus. Prenez par exemple, l’élégant petit manoir du XVème, dit « de Fournebello », à Plouargat en Bretagne (image 1 début de chronique)… N’est-il pas charmant ? Une tour ronde, très seyante, quelques belles fenêtres à meneaux, des oubliettes sans doute ! Ah les oubliettes, les douves profondes, l’huile bouillante… Arrêtez Marie-Thérèse je risque l’infarctus ! Je préférerais bien sûr qu’il y ait le chauffage central histoire de simplifier la vie du petit personnel. Quitte à hobereautiser, mieux vaut se lever tranquillement le matin dans une chambre délicatement chauffée plutôt que d’avoir à se précipiter en courant sur ses charentaises et sa doudoune en peau d’ours pour éviter d’avoir les extrémités gelées…

A ce sujet d’ailleurs, j’entends déjà quelques esprits chagrins marmonner que ces vieilles pierres c’est bien difficile à chauffer, qu’il y a sans cesse des travaux, qu’il vaut mieux un solide pavillon de banlieue ou une splendide villa baroque sur la côte basque. Halte là tristes sires, ce n’est point d’une HLM dont je rêve, mais d’un manoir ; un manoir ! Ne commencez pas à me chauffer les oreilles. La révolution est proche et, dans le cas fort probable ou le parti des prolétaires (dont je vais devenir le gourou local) s’emparerait du pouvoir, vous pourriez bien aller tâter du camp de rééducation, espèces d’écologistes abrutis. Les règles qui doivent s’appliquer au commun des mortels ne concernent en aucun cas le godelureau propriétaire d’un manouërrh. Histoire de faire quelques concessions en rapport avec les exigences environnementales, me voilà prêt à renoncer au 4×4 rutilant et à faire mon tour de parc et ma promenade au marché dominical, en calèche, comme au bon vieux temps, pourvu que les chevaux choisis pour l’attelage soient du genre pépère et si possible à boîte automatique.

 Je reconnais que cela dégénère petit à petit et qu’on s’écarte d’une attitude socialement correcte. Un manoir, en période de crise ! Je vais donc m’arrêter là dans ma quête légitime d’un bonheur absolu et non partagé. Je laisse le Graal à d’autres (ceux qui apparaissent sur la photo avaient plutôt un problème de cheval). Une dernière précision culturelle avant que je vous quitte. Je ne peux en effet passer mon temps à élucubrer ainsi d’utopiques projets. N’étant point hobereau, si je veux qu’il y ait quelques pommes dans ma cave, je n’ai d’autre solution que d’aller les cueillir avec mes petites mains caleuses. Petit retour à l’étymologie, pour terminer, celle du mot « manant » par exemple : eh bien, figurez vous que je n’étais pas si loin de la vérité que cela : « manant » a la même étymologie latine que celle du « manoir » – objet de toutes mes convoitises. Il y a bien un lien entre les deux mots. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le manant était un paysan fortuné…, mais condamné à demeurer manant. Ne point confondre avec un croquant ou un gueux. Dieu que c’est compliqué : il était plus simple de naître marquis !
Bref, comme disait ma grand-mère lituanienne : « à manant, manant et demi mais de manoir que nenni ! »

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26septembre2012

Le mûrier à papier, un arbre voyageur, utile mais facétieux

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres.

Une chronique dans laquelle on fait connaissance avec un botaniste méconnu et où l’on parle (entre autres) de vers à soie, de Girondins et de chèvre angora…

Quatre feuilles de même taille, de même couleur mais découpées différemment… sur le même arbre. Un nom latin aux consonances étranges : broussonetia. Un arbre qui donne naissance, chaque année, à des dizaines de rejets qui se dressent vers le ciel tout le long de ses racines traçantes ; bref un arbre qui devient forêt pendant que vous avez le dos tourné. Ajoutez à cela une écorce avec laquelle on fabriquait du papier autrefois en Asie, et des baies orangées consommables (à condition qu’il y ait un papa mûrier dans le secteur – l’arbre isolé est stérile). C’est ce cocktail de particularités qui me donne envie de qualifier cet arbre de « facétieux ». Bien qu’originaire d’Asie du Sud-Est, il n’a pas les yeux bridés, et il ne vous fait pas de grimaces particulières lorsque vous tournez le dos. Il ne parle pas non plus. Il ne faut pas trop lui en demander, ce n’est quand même pas un Ent… Mais observez bien la photo : elle n’est pas touchante la feuille de droite ? Moi elle me fait irrésistiblement penser au petit fantôme de Ghostbusters…

 Trêve de plaisanterie : on n’est pas là pour parler fantômes ou cinéma mais pour améliorer notre connaissance du monde des arbres. De la botanique, ou plutôt de l’ethnobotanique si l’on peut dire, la relation entre l’homme et les plantes m’intéressant toujours beaucoup plus que les classifications subtiles des flores et des herbiers.
L’apparition du mûrier à papier, également nommé Broussonetia papyrifera, en France remonte à la seconde moitié du XVIIIème siècle. Les premiers arbres ont été découverts en Chine en 1751 ; les premiers exemplaires importés en France s’acclimatent assez mal et sont surtout stériles. Ils dépérissent pratiquement tous sans que l’on puisse récolter de graines pour renouveler les semis. En fait, il s’agit d’une plante dioïque, mais les botanistes ne s’en aperçoivent pas immédiatement. Ce terme savant signifie qu’il est nécessaire qu’existent, dans un voisinage proche, un arbre mâle et un arbre femelle pour que les fleurs soient fécondes et que l’on puisse récolter des graines. C’est seulement en 1786 qu’un naturaliste français, Pierre Marie Auguste Broussonet (on notera sur la photo qu’il n’a pas du tout une tête de chasseur de fantômes !) se procure un mûrier à papier porteur de fleurs femelles. Détail amusant, le savant ne découvre pas ses spécimens en Chine (il n’y est jamais allé), mais en Ecosse, dans un jardin ; ils ont sans doute été plantés là par quelque explorateur des pays lointains, mais ils n’ont pas été véritablement identifiés. La trouvaille de Broussonet permet de faire un pas en avant dans la connaissance de cette plante. L’arbre est alors dénommé  « broussonetia » en hommage au savant. Peut-être n’avez vous jamais entendu parler de ce naturaliste. Il faut dire qu’il est relativement peu connu (sauf dans sa ville natale de Montpellier qui a baptisé une rue en son honneur), malgré l’intérêt indéniable de ses travaux. Soucieux (comme toujours) d’améliorer votre culture générale, je trouverais injuste de ne pas vous donner quelques informations supplémentaires à son sujet.

 Broussonet est né en 1761. Il est admis très jeune à l’académie des sciences suite à la publication de divers mémoires que ses confrères estiment brillants. Son premier titre de gloire est d’avoir transposé à la zoologie la méthode descriptive et la nomenclature préconisées par Linnée pour les plantes. Dès le début de sa carrière, il témoigne d’un grand intérêt pour la vie dans les campagnes et les perfectionnements de l’agriculture. A de multiples reprises il va chercher des applications pratiques aux nouvelles idées auxquelles ses confrères et lui-même sont confrontés.  Il préconise, sans grand résultat, la culture du murier à papier, non pour nourrir les vers à soie qui ne s’y intéressent pas, mais pour fournir un complément de fourrage pour le bétail. Il introduit en France l’élevage de la chèvre angora et du mouton mérinos. Il démontre l’intérêt de fabriquer de la toile en se servant de la fibre du genêt d’Espagne qui pousse à profusion sur certains biotopes… Les événements politiques vont se charger de donner une nouvelle orientation à sa vie. Lorsque éclate la Révolution, en juillet 1789, il fait partie du corps électoral parisien et siège à différents postes de responsabilité. Il commet simplement l’erreur, lorsque l’évolution des événements s’accélère, de se situer dans le « mauvais camp » celui des Girondins. Pour échapper à la répression conduite par Robespierre et ses amis il prend la fuite et rejoint l’Espagne. Ce statut d’émigré lui vaut la confiscation de tous ses biens par l’administration. A Madrid il doit s’enfuir à nouveau car il est persécuté non plus par les Républicains cette fois mais par les Royalistes qui ne veulent pas de lui. Il embarque dans un bateau anglais faisant route pour les Indes mais se retrouve débarqué à Lisbonne, suite à une tempête. Le périple continue et notre fugitif s’arrête temporairement au Maroc. Employé comme médecin du représentant américain, il attend que les événements se calment en métropole pour rentrer et retrouver une chaire à la faculté de médecine à Montpellier où il termine son existence. Au cours des dernières années de sa vie, il réalise une étude importante sur la fièvre jaune et ses conséquences. Bref, sans être un personnage de premier plan, sans avoir l’envergure des rédacteurs de l’Encyclopédie, il fait partie de ces personnalités qui ont contribué largement à l’évolution de la société française au XVIIIème siècle, en s’intéressant à divers aspects de la vie quotidienne de ses concitoyens.

Voici réglée la question de la désignation « broussonetia ». Il me reste à vous expliquer le qualificatif « papyrifera ». Le motif du choix des botanistes est simple : l’écorce de l’arbre peut être utilisée pour fabriquer des feuilles de papier, avec une technique relativement simple. Cette particularité n’a pas été utilisée en Europe, à ma connaissance, mais elle était largement employée, depuis des temps très anciens, dans les pays d’Asie dont il est originaire. Un exemple… En Indonésie, le papier tiré du Mûrier s’appelait « dluwang ». Sa fabrication nécessitait une procédure relativement complexe. On coupait les troncs en rondins lorsque l’arbre atteignait une vingtaine de centimètres de circonférence, puis on « pelait » l’écorce jusqu’au niveau de l’aubier. On faisait ensuite tremper cette enveloppe de l’arbre dans de l’eau, puis l’on séparait l’écorce superficielle du « liber » (sous-écorce). C’est cette dernière partie qui était utilisée pour fabriquer le papier. Il fallait ensuite la marteler avec un outil particulier, un marteau en cuivre comportant de fines lamelles, afin de l’amincir, puis d’obtenir de fines bandelettes que l’on agrégeait ensuite les unes aux autres, toujours par martelage. En Indonésie, cette technique était très ancienne. Il est difficile d’en dater l’origine mais le plus ancien manuscrit que l’on connaisse écrit en langue malaise, daterait du XIVème siècle et il est rédigé sur du dluwang cf photo). Il s’agit d’un recueil de lois d’une trentaine de pages, provenant de la cour royale du Dharmasraya (Sumatra occidental)… J’espère que vous avez noté au passage que le mot latin « liber » utilisé pour qualifier la « deuxième peau » d’un arbre, est aussi le mot qui désigne un livre. Même phénomène en grec puisque « biblos » désigne à la fois livre et écorce… Rares sont les pays où l’on n’a pas utilisé de fines pellicules de bois ou d’autres végétaux (papyrus) comme support pour l’écriture.

  Intéressons-nous maintenant à l’arbre lui-même… Il y a donc des mûriers à papier mâles et des mûriers à papier femelles. Ce sont les fleurs qui permettent de les distinguer aisément. Elles apparaissent au printemps (mars ou avril selon le climat). Les fleurs mâles sont des chatons cylindriques. Elles n’ont point de corolle. Les fleurs femelles ont la forme de petits globes et ressemblent à celle du platane. La culture du murier à papier est facile. On peut le laisser pousser sous forme de buisson, appelée aussi multicaule (tiges multiples) ou au contraire le tailler de façon à lui faire prendre une forme arborée. Dans ce dernier cas il peut atteindre, assez rapidement, une hauteur d’une dizaine de mètres, voire même quinze si les conditions sont favorables. On ne connait pas de spécimen véritablement « remarquable » car ce mûrier a une durée de vie relativement courte.  Dans son ouvrage « arbres d’Europe occidentale », Jacques Brosse signale quand même un bel exemplaire visible à Paris dans le square Paul Painlevé, face à l’entrée de la Sorbonne.

 Le broussonetia est peu exigeant au niveau des sols ; il est plutôt spartiate et semble se contenter d’une terre pauvre et d’une relative sècheresse estivale. La couleur vert olive de ses feuilles ainsi que la variété de leur forme lui donnent une certaine originalité. Le défaut principal du mûrier c’est sa tendance à se disséminer un peu trop rapidement dans le voisinage. Si vous n’y prenez pas garde, un buisson discret planté dans un coin de votre jardin deviendra rapidement un fourré dense. La tondeuse à gazon suffit largement pour remédier à ce problème. Pour ceux qui voudraient un motif autre que décoratif pour orner leur environnement de quelques plants de broussonetia, sachez que les fruits sont comestibles, comme ceux du mûrier blanc, même s’ils n’ont pas une saveur exceptionnelle et sont assez difficiles à récolter. Ils sont d’une belle couleur rouge-orangé et s’ils ne soulèvent pas votre enthousiasme, sachez que les oiseaux sont beaucoup moins chichiteux que votre palais ! Les porcs aussi en font leur régal. Vous pouvez toujours les utiliser pour faire de la confiture, seuls ou bien en mélange ou vous contenter de profiter du spectacle qu’ils offrent … L’un de mes maîtres à penser (en botanique !) Pierre Lieutaghi, les décrit ainsi : “des fruits de pur corail enchâssés sur des boules de velours »…

Il est un dernier caractère facétieux du mûrier à papier que les personnes concernées apprécieront peut-être beaucoup moins… son pollen, au printemps, peut provoquer de fortes allergies… Le problème n’atteint cependant pas l’ampleur connue avec d’autres végétaux… Il suffit peut-être de l’admirer de trop près lorsqu’il est en pleine floraison. Contentez-vous, si vous craignez les pollens, de collectionner ses plus jolies feuilles ou d’admirer les nuances subtiles de son écorce pendant l’hiver. Inutile de l’abattre sauvagement : à part le papier, et dans certains pays le textile, son bois n’a pas de qualités particulières. Il faut dire que l’on ne trouve jamais de grumes d’une taille suffisante pour justifier le sciage. Quant aux tourneurs : à ma connaissance ils ignorent l’existence de cet arbre.

Illustrations de l’article : la photo numéro 4 montre le manuscrit en langue malaise rédigé sur du papier de mûrier. Origine du cliché : site internet du professeur  Ulrich Kozok.

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20septembre2012

Cinq jours dans les « Cinque Terre »

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage.

Un peu de tourisme « grand public » pour changer ! La majorité de nos concitoyens ayant repris le travail, il était grand temps que l’on s’accorde quelques congés. Cela n’a pas été facile compte-tenu du tourbillon d’activités qui nous emporte pendant l’été et du nombre conséquent de projets que nous aimons mener à terme pendant cette période-là. Notre décision a été prise un peu en dernière minute et le voyage guère préparé, mais l’improvisation a parfois du bon…

 Les Cinque Terre c’est un chapelet de cinq charmants petits villages qui s’égrène sur la côte ligure en Italie, à une cinquantaine de kilomètres au Sud de Gênes, juste avant la Toscane. Toute une zone, à la fois terrestre et maritime, a été classée parc naturel et bénéficie même d’une inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. Cela a permis de préserver quelques dizaines de kilomètres de côte et d’éviter que les promoteurs ayant déjà bétonné les Riviera française et italienne ne poursuivent leur œuvre en ces lieux qui – il faut bien le reconnaître – offrent un paysage particulièrement grandiose. Le parc des Cinque Terre bénéficie d’une réputation internationale largement méritée. Du coup, le taux de fréquentation touristique frise la saturation absolue. Les sentiers du bord de mer sont bondés, notamment la fameuse « via dell’amore » qui évoque plus les Champs Elysées en fin d’après-midi qu’une romantique balade au pied des falaises… Il faut parfois tendre l’oreille pour entendre le bruit des vagues ! Si l’on s’écarte des sentiers côtiers, l’affluence baisse d’un coup. Nous avons fait plusieurs tronçons du chemin des crêtes, magnifique lui aussi, sans croiser âme qui vive… Les touristes ne sont pas très ambitieux et le dénivelé cumulé de certains itinéraires est suffisant pour décourager les passagers des grands autocars. Les Cinque Terre constituent en effet une halte imposée sur l’itinéraire des voyages organisés en direction de Rome et de la Toscane. La majorité des visiteurs se limite donc à un bon kilomètre à pied sur la « via dell’amore » puis ils repartent dans leurs cars bondés en pestant contre ces virages multiples qui compliquent la digestion et empêchent les « Canon » et autres « Minolta » de cadrer correctement les cartes postales souvenir.

 Cinq villages donc, cinq petites baies séparées par des éperons rocheux… la montagne en arrière-plan avec des sommets à sept ou huit cent mètres… et la mer… d’un bleu à faire rêver les peintres impressionnistes. Ces cinq lieux magiques ont pour nom (du Nord au Sud) : Monterosso, Vernazza, Corniglia, Manarola et Riomaggiore. En visiteurs consciencieux, nous avons parcouru les cinq, longuement, et égrené nos pas sur les sentiers côtiers qui les relient (lorsque ceux-ci sont ouverts au public). La région a en effet lourdement pâti des tempêtes d’octobre 2011 et les coulées de boue ont non seulement causé d’importants dégâts dans les lieux habités mais aussi passablement endommagé les nombreuses terrasses qui servent de support aux chemins piétonniers. La traversée entre Corniglia et Manarola n’est pas encore rouverte au public, certains passages étant encore trop scabreux ou trop soumis à des risques d’éboulement. Heureusement, il y a le train ! La voie ferrée côtière est le seul moyen de déplacement rapide d’un village à un autre. Il n’y a pas de route qui fasse le parcours complet et les acharnés du volant sont obligés de parcourir des kilomètres pour effectuer des sauts de puce d’un lieu à l’autre. Nous avons donc suivi les conseils de la direction du parc et laissé notre voiture sur le parking de la gare de Sestri Levante, puis, munis d’un billet forfaitaire pour la journée, nous avons picoré les destinations au gré de nos envies. Deux bémols à cette description enchanteresse. Le premier concerne le stationnement. Les forfaits rails permettent de circuler entre Levanto et La Spezia qui sont les deux portes d’entrée officielles du parc. Ni l’une ni l’autre de ces deux bourgades ne nous a vraiment enthousiasmés, et aucune ne propose de parking gratuit à la journée, ce qui serait la moindre des choses. Un parking avec un stationnement horaire à un coût exorbitant ne motive guère le chaland. Nous avons donc préféré laisser notre véhicule à Sestri Levante. Le parking de la gare offre quelques places gratuites que l’on peut espérer grapiller en mi-saison. En contrepartie, il faut s’acquitter du prix du billet de train entre cette gare et Levanto, partie du trajet non incluse dans le forfait. Vous l’avez compris – et je n’insisterai pas là-dessus – qui dit zone touristique dit « pompe à fric » et ce principe a été plutôt bien assimilé par les habitants du cru. Autre bémol à signaler : le passage des trains est relativement fréquent (environ un par heure avec des fréquences plus élevées aux heures critiques) mais ils sont bondés, rarement à l’heure et dans un état de délabrement qui fait peine à voir. Les FS (Ferrovie Statale – compagnie nationale des chemins de fer italiens) voilà encore un exemple de service public qui fout le camp… Nul doute qu’un de ces quatre, un opérateur privé proposera de racheter la ligne !

 La « Via dell’amore » entre Riomaggiore et Manarola est donc le paradis des touristes pressés et la destination rêvée pour les agences de voyage. Une route assez rapide a été construite depuis La Spezia vers ces deux villages et les cars peuvent donc poser leur cargaison à une extrémité du chemin et la récupérer à l’autre. La voie piétonne a été creusée dans la falaise par les jeunes des deux villages terminaux, dans les années 1920-30. Elle est quasiment plane, assez spectaculaire, et pas trop longue à parcourir. Les grillages posés à de multiples endroits pour éviter les éboulements rocheux sont constellés de souvenirs divers laissés par les visiteurs enthousiastes et un brin mystiques : en tête du palmarès des icônes on trouve les cadenas (promesse d’une fidélité entre amants aussi peu durable que le développement effréné de notre société occidentale) suivis par les foulards, les porte-clés et les nounours. J’espère au moins que ces derniers souvenirs ont été accrochés avec le consentement de leurs jeunes propriétaires ! J’imagine mal mes enfants (lorsqu’ils étaient petits) ou mes petits enfants larguer ainsi dans la nature leurs doudous préférés même contre la promesse de rencontre d’une vierge juste avant de prendre l’ascenseur pour le paradis… Qu’ajouter sur cette Via dell’amore… pas grand chose si ce n’est que le côté merveilleux du parc est indiscutablement ailleurs sauf si l’on est fanatique de la photo de bibelots au Mont de piété. On peut donc éviter sans peine cette excursion incontournable des guides bleus, jaunes, verts ou rouges, et jeter son dévolu sur les multiples autres itinéraires possibles dans la nature environnante. Je ne rejette pas la totalité des sentiers côtiers : la balade entre Corniglia et Vernazza, une heure trente environ de montée et de descente, m’a bien plu, malgré – là aussi – une fréquentation que je n’apprécie guère usuellement. Si vous êtes marcheurs, le plus bel itinéraire c’est le sentier des Cinque Terre qui suit la ligne des sommets côtiers. Si vous êtes amateurs de dénivelé, le plus sympa c’est de partir d’un village comme Riomaggiore pour le rejoindre : une bonne montée de 600 à 700 mètres, le matin, ça met en forme pour la journée et ça permet d’éliminer pas mal de calories. Compte-tenu de l’offre gastronomique de la région, ce dernier point doit être pris en considération avec sérieux !

 Parcourir la trame de sentiers qui quadrillent le parc risque de vous occuper plusieurs journées, d’autant que les itinéraires piétonniers sympas ne s’arrêtent pas avec les frontières de la zone classée. Il est possible de faire de très belles marches dans l’intérieur du pays. Nous nous sommes aussi baladés dans le secteur du parc régional voisin de Montemarcello-Magra. Pour les randonneurs avertis on peut envisager des itinéraires sur plusieurs journées ou plusieurs semaines, au départ de Gênes, de Parme, ou même de Carrare plus au Sud. Cette région est traversée par exemple par la via Francigena, chemin de pélerinage de Canterburry  jusqu’à Rome – bientôt aussi célèbre dans le catalogue des itinéraires mystiques que la virée à Saint Jacques de Compostelle. Certains ont besoin d’une thématique, d’un support à leur imaginaire pour avoir envie de mettre un pied devant l’autre… pourquoi pas ! Cette Via Francigena a le mérite de traverser quelques villages particulièrement attractifs sur le plan historique. C’est le cas de Pontremoli, une bourgade située dans l’intérieur du pays, à l’Est de La Spezia, proposant aux visiteurs quelques belles façades de la Renaissance et quelques édifices médiévaux plutôt photogéniques. Même ambiance médiévale à Ponte Venere sur la côte, mais là, attention, affluence touristique record : de ce petit port partent de nombreuses excursions en bateau vers les villages des Cinque Terre et l’on a plus de chances de se faire marcher sur les pieds par un quidam parlant anglais, hollandais ou allemand que par un authentique paysan ligure. Si vous voulez vous balader en mer, préférez le tour des îles Levante, c’est moins prestigieux, moins cher et par conséquent moins fréquenté. Quant au port de La Spezia, comme celui de Toulon, c’est essentiellement une base militaire. Les amateurs de laids navires peints en vert de gris apprécieront, mais je doute qu’ils soient nombreux à lire mes élucubrations.

 A lire les paragraphes précédents on pourrait croire que nous avons passé nos cinq journées à marcher, à prendre des photos et à observer nos concitoyens d’un œil critique. Certes nous ne nous sommes pas privés de ces diverses occupations, mais, si je m’arrêtais là, le compte-rendu de nos exploits serait incomplet ! Nous avons aussi testé la gastronomie locale, dans la limite de nos moyens financiers et de nos capacités digestives… Les heures de marche ne m’ont pas empêché de rapporter un petit kilo supplémentaire que je n’ai pas pu laisser à la frontière et dont il va falloir que je me débarrasse promptement ; c’est dire donc que les traditions culinaires et viticoles présentent des aspects fort intéressants… Autant vous avertir toutefois que si les prix pratiqués dans les commerces alimentaires sont très corrects, il n’en est pas de même pour la restauration que je trouve globalement chère. Peu de menus offerts dans les tavola calda et autres trattoria… Il suffit de jongler avec la carte. On apprend très vite à maitriser ses désirs car les envolées lyriques lorsqu’on passe une commande se transforment en chœur de grimaces lorsque l’on voit arriver l’addition ! Il reste la solution pour les moyens budgets de se gaver de pizzas et de foccacce : on en trouve avec toutes les garnitures et toutes les sauces possibles. Elles sont excellentes. Renseignements pris, pas mal de restaurants servent du poisson et des fruits de mer frais, mais le surgelé sévit en beaucoup d’endroits. Enfin, en matière de poissons, si vous êtes lecteur régulier de « La Feuille », vous savez que je suis loin d’être un expert ! Je me suis consolé en testant la charcuterie et les fromages locaux : le choix est un peu limité mais la qualité excellente… La Ligurie est indiscutablement un paradis pour les gastronomes, de préférence un peu fortunés, et offre un éventail de plats sympas à déguster, du pesto à la farinata en passant par divers beignets de légumes. Les vignobles locaux, de petite dimension, offrent quelques crus intéressants sous réserve qu’ils soient authentiques. Conseil dans un domaine où je suis plus compétent : que ce soit pour les « blancs » ou les « rouges », évitez les multiples « cuvées du patron », comme bien souvent ailleurs elles offrent plus de mauvaises surprises que de bonnes ! Mieux vaut casser la tirelire et s’offrir un Vermentino, un Cinque Terre ou un Pigato…

Comme dans d’autres régions de montagne en Italie, l’agriculture bio se développe rapidement et beaucoup de petites exploitations se reconvertissent. L’offre est variée, mais il faudrait sans doute un séjour plus long pour avoir le temps de l’apprécier de façon un peu plus complète. Dans la plupart des cas nous nous sommes contentés de produits « fermiers » locaux, et nous avons découvert une petite charcuterie de village proposant de délicieuses spécialités. Cette dernière adresse peut bien entendu être monnayée si vous souhaitez visiter cette magnifique région dans un futur proche…

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17septembre2012

Un silence assourdissant

Posté par Paul dans la catégorie : Boîte à Tout.

Cher Monsieur le rédacteur de la « Feuille Charbinoise », mon flux RSS s’est tari ! Tous les jours je me connecte : rien ! silence ! Aucun nouveau babil sur mon blog préféré (NDLR : lecteur se la jouant hypocrite, histoire d’émouvoir le scribouillon de service).
Réponse officielle : en vue de rédiger une chronique officielle de voyage sur les « cinque terre », en Ligurie, charmante province italienne, nous nous sommes rendus sur place pendant cinq jours histoire de vérifier que les légendes concernant les spécialités culinaires de cette région reposaient sur des bases solides. Comme on ne peut pas avoir en même temps de délicieuses « foccaccie » et une connexion internet. Nous avons choisi de privilégier l’aspect matériel de notre mission documentaire.
Vous bénéficierez sous peu de tout le bénéfice qu’il est possible de vous redistribuer suite à cette expédition riche en marche à pied et en péages d’autoroute.
Ciao !

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6septembre2012

Quand voguaient les rigues sur le Rhône…

Posté par Paul dans la catégorie : les histoires d'Oncle Paul; Petites histoires du temps passé.

Oncle Paul s’intéresse aux mariniers et à la navigation fluviale sur le haut-Rhône

L’aventure commence à Seyssel, une petite ville située au Nord du lac du Bourget, sur les bords du Rhône. Depuis le Moyen-Age, Seyssel a toujours été un centre commercial actif. Il faut dire que la bourgade possède un pied côté France, un pied côté Savoie ce qui offre d’intéressantes perspectives commerciales. Depuis que Savoyards et Dauphinois ont fini de se crêper le chignon, l’histoire locale est relativement calme, ce qui explique aussi la prospérité de la petite cité. Pour les besoins de l’histoire, nous ferons appel à un personnage totalement fictif, Simon Chenaz. Il est toujours plaisant qu’une aventure aie un héros, et puis, des « Simon Chenaz », il y en a eu sans doute des centaines au cours du XIXème siècle, car la navigation fluviale était une source d’emploi importante dans cette région du Bugey. Un coup d’œil à la carte jointe sera peut-être nécessaire pour les lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec la géographie rhodanienne. Dans les chantiers de Seyssel et du village voisin d’Artemare, les menuisiers assemblent, à l’aide de bois flottés descendus du Jura, épicéa, pin ou chêne, l’une de ces barques à fond plat qui constituent le moyen de transport privilégié sur le fleuve. Selon leur taille et leur forme, leur nom varie : barcots, ratamares, sapines… les rigues sont les plus célèbres ; construites à Seyssel, on les nomme parfois sisselande ; mais lorsqu’elles proviennent du village voisin, Artemare, on les baptise alors « ratamare »  !
Le Rhône est difficilement navigable : fort courant, fonds irréguliers, nombreux passages en tresses (le cours principal se divise en multiples branches dans lesquelles le tirant d’eau est fort aléatoire). C’est un maître exigeant qui impose de sévères contraintes aux charpentiers : le fond plat est de rigueur ; l’assemblage se doit d’être particulièrement robuste ; il faut prévoir une armature solide pour pouvoir arrimer efficacement l’arboustier, ce petit mât sur lequel est fixé le câble de halage ; un gouvernail de grande dimension, l’empeinte, doit permettre des manœuvres particulièrement serrées entre les nombreux écueils. La plupart de ces embarcations seront démontées à leur arrivée à Lyon et il ne faut pas non plus que le temps consacré à leur assemblage soit trop long.

La rigue dont nous allons suivre un temps la vie mouvementée est en cours d’achèvement sur le port de Seyssel.
Son futur capitaine, le prouvier Simon Chenaz contemple d’un œil à la fois critique et admiratif la grande barque à laquelle l’équipe de menuisiers est en train de mettre la dernière main. L’embarcation est plutôt élégante avec ses deux extrémités relevées… Elle doit mesurer environ 40 mètres de long sur 6 de large, comme celle du Père Davoz sur laquelle il a fait son voyage précédent. Des dizaines de bateaux réputés sont déjà sortis de ce petit atelier. Personne ne sait exactement quand il a été fondé. Les charpentiers de bateau se transmettent leur savoir depuis la nuit des temps. Les anciens disent qu’à Seyssel on construisait déjà des rigues à la fin du Moyen-Âge.
Dans un moment, Simon donnera la main aux hommes pour faire glisser la grande barque sur un lit de rondins jusqu’au fleuve. Il observe les détails de l’assemblage avec attention car il sait que c’est à cet esquif qu’il va confier sa vie dans les jours à venir. Entreposée sur le quai, la rigue paraît indestructible ; entraînée par les flots parfois tumultueux du fleuve, elle évoque plutôt un fétu de paille ! Pendant que les apprentis vérifient une dernière fois les assemblages et les joints, il se remémore les incidents qui ont pu marquer ses nombreuses descentes du fleuve. Combien en a-t-il a son actif déjà ? Cent, deux cents ? Il ne les a jamais comptées. Ce dont il est sûr c’est qu’il n’avait pas quinze ans quand son père l’a embarqué pour la première fois, au grand dam de sa mère. Mais il fallait bien quelqu’un pour remplacer l’aîné, mort noyé dans les eaux tumultueuses, lorsque son embarcation surchargée de pierres avait bronqué contre une des piles du pont Morand à Lyon. Lorsque ses compagnons s’étaient aperçu qu’il n’était plus à son poste, à bord, c’était déjà trop tard. Après la fonte des neiges, l’eau du fleuve est glaciale et ne pardonne pas. Quant au patron, il a sans doute eu plus de chagrin pour la perte d’une partie de son chargement que pour celle d’un marinier. Il faut dire que la vie d’un homme ne comptait guère. Un marinier noyé, un autre prenait sa place. On pleurait mais la vie continuait car on n’avait pas le choix… La situation ne s’est pas améliorée, bien au contraire. Les patrons n’embauchent plus car ils savent que les voies de chemin de fer en construction vont leur faire une rude concurrence… Des mariniers qui cherchent l’embauche, ils sont bientôt plus nombreux que ceux qui naviguent…

Mieux vaut en tout cas faire la descente sur une rigue que sur un radeau. Ces derniers, simple assemblage de troncs de sapin avec des liens en châtaignier ou en noisetier, sont conçus pour n’effectuer qu’un aller simple. Une fois rendus sur les quais de Lyon et déchargés, ils sont désassemblés et leur bois est vendu pour la charpente… quand les bateliers ont réussi à les faire arriver à bon port ce qui n’est pas toujours le cas. Les rigues, elles, sont conçues pour durer. Elles font l’aller… et le retour, mais pas à la même vitesse. La descente du fleuve demande seulement deux journées de navigation ; le retour nécessite jusqu’à trois semaines et il est peu rentable de l’envisager. La quantité de marchandises que l’on transporte depuis Lyon est trop réduite ; les efforts à accomplir sont trop importants. Pour remonter le courant, les barques doivent être halées par tout un équipage de chevaux de trait guidés par des hommes (les « culs de piaux » dans le langage des mariniers). Pour rentabiliser le voyage, on embarque quelques marchandises qui prendront ensuite la direction du Duché de Savoie. Le chargement au retour n’est pas aussi pesant que les lourds blocs de pierre que l’on a convoyés jusqu’à Lyon pour les belles bâtisses bourgeoises. Les rigues hâlées à contre-courant sont parfois encordées les unes aux autres et c’est alors un équipage imposant qui préside à la manœuvre sur le chemin de halage. Ce n’est pas un, mais plusieurs coubles (quadriges de chevaux) qui sont nécessaires.

Le soleil est bas à l’horizon lorsque Simon se décide à quitter le fleuve et à remonter vers son logis. Pour l’heure il est temps qu’il partage la soupe avec son épouse et ses deux marmots. Le lendemain, il faudra se lever à l’aube, pour veiller au chargement dans les carrières. La journée commence par une messe et par la bénédiction des équipages.  Il n’est pas question que les mariniers embarquent sans ce rituel qui leur permet de bénéficier de la bénédiction de Saint-Nicolas… L’épreuve est suffisamment dure comme cela ; inutile de tenter le diable. La rigue a passé la nuit à flot, amarrée au quai, et il n’y a pas de problème à signaler. Sitôt la messe dite, l’embarcation fait ses premières armes sur le fleuve, jusqu’au quai de chargement. Simon est à la barre jusqu’aux carrières de Sainte Foy. Le bateau est solidement amarré et les lourds blocs de pierre sont acheminés à bord. Les carriers utilisent traineaux et treuils pour arriver à leurs fins. Il faudra la journée entière pour charger la rigue convenablement. Depuis qu’il est devenu « prouvier », Simon est dispensé de participer à cette corvée, mais il est dans son intérêt, à lui aussi, de veiller à l’équilibrage du chargement.

Le « vrai » départ n’a donc lieu que le lendemain, au petit matin. Même si les jours sont longs en ce mois de juin 1851, mieux vaut bénéficier du meilleur éclairage pour naviguer. Les amarres sont larguées et la première des barques se détache du rivage pour cheminer dans l’étroit canal navigable au centre du fleuve. Le courant est vif et le talent du pilote seul permet d’éviter que l’embarcation ne se mette en travers, ce qui entrainerait un naufrage immédiat. Les berges défilent rapidement et le paysage change sans cesse. Le fleuve contourne les montagnes du Bugey. Les villages se succèdent tout au long du rivage : Chanaz, Yenne, Brégnier-Cordon, Groslée… Dans le défilé de La Balme, les rapides de Yenne constituent la première épreuve de la journée. Après cela, le Rhône s’assagit un peu, mais gare à celui qui se laisse bercer par le roulis du bateau ! Peu de temps après le franchissement du pont de Groslée, les rapides de Sault Brenaz sont en vue. Ils sont difficiles à franchir. La passe, marquée par deux gros rochers, est à peine plus large que la rigue : le fond rocheux du fleuve à cet endroit ne laisse qu’un chenal étroit d’environ 6 m. Un autre pilote expérimenté, habitant du village, Gaspard Mettaz, est venu prêter main forte à Simon. Il l’accompagnera jusqu’au confluent avec l’Ain, autre épreuve redoutable pour les mariniers. La rivière d’Ain s’étale paresseusement et joue à changer de cours dans une maille particulièrement sinueuse.

La rigue arrive enfin à Lyon, au Pont Morand, en fin de journée, quarante-huit heures après sont départ. Simon est fourbu, mais le travail est accompli. Il sait qu’il n’a à attendre aucune gratitude particulière de son patron. C’est l’habitude. Le retard vaut reproche. Le travail ponctuel, bien fait, c’est la règle, un point c’est tout. Une fois la rigue déchargée, dans deux jours, elle remontera sur Seyssel pour être chargée à nouveau. Elle est neuve et peut encore faire de l’usage. Tant que la voie de chemin de fer qui se construit sur la rive du Rhône n’est pas achevée, Simon sait qu’il aura de l’ouvrage. Il ne prend pas trop au sérieux cette histoire de transport sur le rail. Quel monstre mécanique pourrait rivaliser avec sa « rigue » et ses deux cent tonnes de belle pierre blanche de Seyssel ? Il y a quelques années, c’étaient les bateaux à vapeur qui devaient lui voler son emploi. Une première liaison entre Lyon et Aix-les-Bains a bien eu lieu en août 1838, mais elle n’a pas eu d’incidence sur le trafic marchandises. Les pierres, les pommes de Seyssel, le vin blanc de Chautagne, continuent à descendre sur les barques. Les lourds bateaux à roue à aube  sont trop difficiles à manier et réservés au trafic des voyageurs. C’est que, pardi, le Haut-Rhône n’est guère comparable au Mississipi des Amériques. Le danger du rail est par contre bien réel.

Pauvre Simon ! Il ne sait pas encore que d’ici quelques années, lui-même, s’il est encore vivant, ainsi que la plupart de ses compagnons, se retrouveront au chômage. Ce n’est pas une, mais deux voies ferrées qui entrent en service à la fin du siècle et qui raflent la totalité ou presque de la mise. De 1886 à 1890, le trafic fluvial annuel passe de 250 000 à 100 000 tonnes. Le train privilégie le développement de l’une des berges au détriment de l’autre. Ainsi, les carrières de Sainte-Foy, situées du mauvais côté du fleuve, péricliteront dans la foulée. L’âge d’or des mariniers sur le Rhône est sur le point de se terminer. Pourtant, depuis l’époque romaine, que de pierres monumentales ont été ainsi charriées sur le fleuve aux humeurs imprévisibles !

Notes complémentaires – Cette chronique m’a été inspirée par une animation estivale passionnante organisée au début du mois de juillet, dans le village de Sault-Brénaz, au bord du Rhône, par la Maison du Patrimoine de Hyères sur Amby, et le musée de la pierre de Montalieu… Le vocabulaire particulier aux mariniers que j’ai utilisé à plusieurs reprises dans ce texte provient en grande partie du « dictionnaire de navigation fluvial » figurant dans les rubriques du projet Babel. Si l’étude de notre langue et de ses particularismes vous intéresse, je vous invite grandement à vous y reporter. J’apprécie beaucoup la devise de ce site et je me permets de la reprendre à mon compte : « un savoir non partagé est une coffre-fort dans le désert ! » Remarquable travail de collecte effectué principalement par Charles Berg. J’espère de mon côté ne pas avoir commis trop d’erreurs « historiques ». Merci, en tout cas, de me les signaler ; ces chroniques sont évolutives !
Illustrations
: la photo n°1 provient du site de la Maison du Haut-Rhône à Seyssel. Le modèle réduit est présenté dans le cadre d’une exposition consacrée à la batellerie au pays de Seyssel (jusqu’au 31/12/2012). Les photos 3 et 4 proviennent des archives de l’auteur. La photo n°5 provient des collections de la bibliothèque municipale de Lyon et présente une vue ancienne du pont Morand. Au fond à droite, on aperçoit de grandes barques à fond plat le long du quai de déchargement. la photo numéro 6, également le pont Morand, plus récente, provient de la base de données Wikipedia.

 

 

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